Les débuts de l’œcuménisme : les jardins de Madère

 

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19eme  siècle. Les débuts de l’œcuménisme

 

Les jardins de Madère

le petit commencement de l’engagement œcuménique de quelques catholiques à l’époque contemporaine en décembre 1889, se situe dans un jardin, à Funchal, dans l’île de Madère au large du Portugal. Deux hommes marchent côte à côte en s’entretenant.

     Le plus jeune s’appelle Fernand Portal, il a 34 ans [1]. Il est français, cévenol, fils de cordonnier. Il est entré à 19 ans chez les Lazaristes pour être missionnaire. l a été ordonné prêtre en 1880.
Il croyait qu’on allait l’envoyer en Chine. Mais sa santé qui est fragilisée depuis 1878 par une infection pulmonaire l’oblige à renoncer à cette voie. Après une dizaine d’années de professorat dans divers grands séminaires méridionaux à Tours, à Oran, à Lisbonne, à Nice et à Cahors, des hémoptysies l’obligent à un séjour au soleil.
     Cette année-là 1889, il a été envoyé à Madère pour remplacer l’aumônier de l’Hospice Marie-Amélie. Il s’embête ferme.

 

     L’autre homme, un peu plus âgé (50 ans), qui marche à côté de lui, s’appelle Charles Lindley Wood, plus connu sous son titre de Lord Halifax [2]. Il séjourne à Madère pour soigner son fils Charles, tuberculeux.

     Ce lord anglais et anglican, est un personnage passionnant, d’une famille tout à fait considérable : il a étudié au collège d’Eton puis à l’université d’Oxford et se prépare à embrasser la carrière publique, quand il est saisi par le réveil religieux qui agite son université et l’Église d’Angleterre à l’époque.
Compagnon du futur Édouard VII, il consacre sa vie à la promotion du réveil anglo-catholique dans l’Église d’Angleterre et à l’union des Églises et, dès 1867, il occupe la présidence du groupe d’études anglo-catholiques de l’English Church Union à la tête duquel il reste longtemps. C’est un mouvement dans la ligne du Mouvement d’Oxford, qui se propose de ramener l’Eglise d’Angleterre à son identité catholique (pas « romaine ») par un renouveau théologique et liturgique, (et dont un des plus éminent membre est John Henry Newman (1801-1890) qui se convertit au catholicisme en 1845 et sera créé cardinal.)

La rencontre entre les deux hommes, ce prêtre lazariste intelligent et ouvert pour son temps, grand lecteur de Newman et de Mohler et puis ce laïc anglican si proche du catholicisme, va faire merveille. Les deux hommes, passionnés d’histoire des dogmes et sensibles à la division des églises, entament une grande amitié – qui va durer près de 40 ans.

Jardins de l’Hospice Marie-Amélie

Ces conversations privées de Madère ont fait naître, surtout chez Portal pour qui elles sont un déclic, un désir d’œuvrer à l’union des deux églises. En 1890, Portal a proposé à Lord Halifax de se convertir au catholicisme, mais devant le refus très net de l’anglais, il a compris que l’entreprise à mener, bien plus intéressante, était de nouer un dialogue, sur un pied d’égalité, entre l’Eglise romaine et la Communion anglicane.

« Il y a la conduite providentielle de Dieu, mais il y a aussi un aspect qui touche à celui auquel je veux m’attacher ; la rencontre est rencontre d’un autre. Celle de Halifax par Portal a été celle d’un autre monde spirituel, le monde de l’anglo-catholicisme. L’Église […] ne reconnaissait les autres que comme extérieurs à la cité de la vérité, comme adversaires à réfuter et à combattre. Le Père Portal […] s’est vu ouvrir […] l’accès à un autre monde spirituel. Assez « autre » pour ne pas être réduit à l’identique, assez homogène et conforme pour qu’on pût parler d’union. Avec ces deux traits, on a déjà la logique de « l’Église anglicane unie, non absorbée… Portal doit à l’amitié d’Halifax d’avoir compris des choses qu’aucun livre ne peut apporter « .[3]  

 

la validité des ordinations anglicanes

Fernand Portal œuvre dès lors avec son ami lord Halifax à cette idée de réunion des Églises et obtient l’approbation personnelle du pape Léon XIII pour prendre contact avec des personnalités de l’Église anglicane. Pour provoquer une rencontre entre catholiques et anglicans, il lance un débat sur la validité des ordinations anglicanes qui semblait être un terrain possible d’entente. Fernand Portal présente en guise d’amorce au débat théologique une petite brochure intitulée Les ordinations anglicanes en décembre 1893 à laquelle répond un opus rédigé par des théologiens anglicans sous l’impulsion d’Halifax.

     En fait, Portal est assez réaliste, il croit moins à une union des deux églises qu’à un débat fraternel entre elles, en quoi peut-être consiste l’œcuménisme. Il a écrit ceci : « Ma pensée, c’est qu’il faut opérer un rapprochement, nous mettre en contact pour nous connaître, et le jour où nous serons amis, où nous nous aimerons, nous pourrons parler de choses théologiques »[4].
     La publication de ces brochures suscite de vives réactions et pour la première fois, la presse se faisait l’écho d’un débat œcuménique. Léon XIII réunit alors une commission pontificale chargée d’étudier de façon plus approfondie les ordres anglicans, comptant parmi ses membres des personnalités qui deviendront acteurs dans la crise moderniste tel Mgr Merry del Val ou le Père Duchesne.

Côté Portal et Halifax, on espère beaucoup[5].

     La décision pontificale est brutale et, par la publication de la bulle Apostolicae Curae [6] du 18 septembre 1896, elle déclare les ordinations conférées selon le rite anglican entièrement nulles. La commission a conclu pour les ordinations de l’Eglise d’Angleterre à un défaut de forme et d’intention. « De notre propre mouvement et de science certaine, nous prononçons et déclarons que les ordinations conférées selon le rite anglican ont été et sont absolument vaines et entièrement nulles… »

     Une déclaration un peu raide, mais en réalité une position « tutioriste », c’est-à-dire plus tranchée que nécessaire peut-être, mais par précaution, pour éviter de déclarer valides des ordres qui ne le seraient finalement pas. 

     Du côté de Portal, cependant, positif et optimiste, la réaction est courageuse : L’avenir est aux pacifiques, écrit-il à son ami anglais, ce que vous avez fait, vous et les vôtres, pour la réunion de la chrétienté, sera l’éternelle gloire de l’Eglise anglicane.

 

Raidissement catholique

     Ia revue Anglo-romaine est interdite. Portal doit partir pour le grand séminaire de Châlons-sur-Marne sur ordre de son supérieur général.

     Rappelé à Paris pour diriger le nouveau Séminaire universitaire Saint-Vincent-de-Paul, il fait de l’endroit un lieu d’ouverture et d’échanges, n’hésitant pas à inviter des anglicans, des protestants ou des incroyants.
     Il fonde alors une nouvelle revue, la Revue catholique des Églises, pour faire connaître les travaux de son cercle d’études et qui compte d’éminents collaborateurs. Il fonde également l’association des Dames de l’Union, sans vœux et sans costume particulier, dont la vocation est de se consacrer aux enfants et aux pauvres et dont il veut faire les « messagères de l’Unité par la Charité ».
     Il se retrouve alors à nouveau, en 1908, sous les foudres du Vatican à travers le cardinal Merry del Val devenu entre-temps secrétaire d’État du pape Pie X, qui ordonne que le père Fernand Portal, soupçonné de modernisme, soit démis de ses fonctions avec interdiction définitive de publier et de parler en public. Fernand Portal doit abandonner son poste de supérieur et cesser la parution de sa revue. Ce qui n’empêchera pas M. Portal, bientôt officieux aumônier des étudiants normaliens à Paris, d’engendrer quantité de vocations œcuménistes, Antoine Martel, Jean Guitton, Pierre Pascal, Yves Congar etc. et de frayer avec tout le monde, de Clémenceau à Teilhard de Chardin.

 

[2] Lord Halifax (1839-1934) est une figure étonnante. Son amitié avec le prince de Galles (futur Edouard VII) aurait dû l’entraîner dans la carrière politique. Mais il s’est voué toute sa vie à l’Eglise anglicane. Il a été, à la demande de Pusey, président de l’English Church Union (de 1867 à sa mort). Cette Union avait été fondée en 1844 pour défendre les intérêts de l’Eglise anglicane conçus dans le sens tractarien. Elle fusionnera, juste avant la mort de Lord Halifax, avec l’Anglo-catholic Congress. L’ecclésiologie « catholique » de l’E.C.U. n’admettait pas cependant la primauté et l’infaillibilité, même si Lord Halifax, à titre personnel, admettait la primauté romaine divina providentia, c’est-à-dire comme une réalité historique providentielle, mais non pas ex jure divino. V. l’article de Catholicisme, tome V (1962) signé… d’Y. Congar ! (JACQUEMET Gabriel , Directeur de publication. Catholisicme T5. Ed. Letouzey et Ané Paris, 1962)
[3] Yves Congar, Revue Unité des Chrétiens n°22, p. 4
[4] Cité par Jean Calvet, Mes souvenirs sur Monsieur Portal, dans R. Ladous, op. cit. p. 93.
[5] Il est évident que la promulgation par Léon XIII le 29 juin de cette année 1896 de l’encyclique Satis cognitum sur l’unité de l’Eglise, qui parle non pas d’union des églises mais exclusivement de « ramener les brebis égarées au bercail » ne devait tout de même pas laisser beaucoup d’espoir sur l’issue des travaux.

 

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