Union et désunion_ IV Le 20eme siècle

Sommaire

   
      Selon nos traditions ecclésiales et nos cultures, nous avons des représentations de l’Eglise qui nous sont propres.
     C’est ainsi que l’Eglise catholique déclare qu’en elle « subsiste » l’Eglise dans toute sa plénitude. Cela va conduire à un certain nombre de représentation ou l’Eglise Catholique est représentée par un tronc d’où les « hérétiques » de tout poil ou les « Eglises séparées » s’éloignent sous forme de branches diverses.
     L’ors de la Rencontre du Bec-Hellouin organisée par l’ACONor en 2013 le Pasteur François Clavairoly,  alors président de la Fédération Protestante de France, se représentait l’Eglise comme un buissonnement de rameaux divers…Comme dit le proverbe: « chacun voit midi à sa porte »
     L’histoire de l’Eglise doit nous rendre modestes : l’unité des chrétiens  fondée et enracinée dans la prière de Jésus (Jn 17,21) : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » est un idéal confronté à notre réalité de péché, qui n’a jamais été pleinement réalisé. Même à l’origine (Pierre et Paul au « concile de Jérusalem » s’accordent…en se séparant !)
     Je me propose dans une série d’articles de faire le point sur ces disjonctions -et aussi conjonctions- qui ont marqué  nos différentes confessions chrétiennes

Beaucoup de renseignements viennent des pages Wikipédia
Autre source, absolument indispensable à la compréhension de l’histoire des Eglises de la Réforme : https://museeprotestant.org/ 

XXIII Le début du 20eme siècle : Pie X ou la rupture avec la société moderne

     À la mort de Léon XIII, le conclave élit un inconnu à la surprise générale : le patriarche de Venise, Giuseppe Sarto (68 ans) -un ancien curé de campagne, devenu patriarche de Venise à son corps défendant-  premier pape moderne issu des milieux populaires. (Il faut dire que les jeux ont été faussés avec la maladroite intervention de l’Autriche-Hongrie qui par la voix d’un cardinal polonais, a en effet publiquement récusé l’un des favoris [1].)

Le nouvel élu prend le nom de Pie « en souvenir des Pie qui ont souffert avant lui au 19°s pour avoir courageusement luttés contre les sectes et les erreurs polluantes[2] ». Henri Tincq dit avec raison que “ Lhomme qui vient d’être élu à la charge suprême n’est pas fait pour affronter ces temps d’orage. Il fallait un géant. Or le conclave a désigné une image pieuse”[3]

l’interprétation des Ecritures

Une rafale de texte tente de faire barrage à toute interprétation scientifique qui pourrait faire apparaître une interprétation nouvelle des écrits bibliques. Pie X créé donc une commission biblique pontificale pour étudier les différents points de vue et rendre des avis pour le moins conservateurs.

Pontificat

Le nouveau pape affiche tout de suite une politique conservatrice, incapable de mesurer que le monde à changé.
En matière administrative, il se montre pourtant réformateur :
  • refonte du droit canonique, qui aboutit à la promulgation du Code de droit canonique de 1917.
  • Publication du Catéchisme de la doctrine chrétienne(Catéchisme de Pie X ),
  • réforme de l’organisation de la curie romaine.

Un monde en crise

La crise en France

     En 1905, l’Assemblée nationale vote la loi de séparation des Églises et de l’État. Or, l’Église catholique « a peine à abandonner l’idée d’une alliance de l’État et de l’Église, ou d’une position privilégiée du catholicisme religion vraie, dans l’État. Mais d’autre part, elle a également peine à accepter les règles du débat public. Surtout quand le débat porte sur les réalités mêmes de la foi, comme c’est le cas pour les sciences religieuses ». C’est donc une Église fragilisée et traumatisée qui va devoir affronter « la mise en question de son passé et des textes fondateurs par une histoire et une exégèse, qui semblent pactiser avec l’adversaire extérieur »[5].

    Globalement bien accueillie par les juifs et les protestants , la loi est combattue par le pape Pie X, bien que la majorité des  évêques français conseille de se plier à la loi (encyclique Vehementer nos[6] du 11 février 1906, allocution consistoriale Gravissimum du 21 février, et encyclique Gravissimo officii munere[7] du 10 août, (Que le chanoine Louis Duchesne baptise malicieusement « Digitus in oculo »: « doigt dans l’œil » reflétant en cela l’acceptation de la laïcité par une partie du clergé et du laïcat français.). 

     Cette opposition du pape à la loi française a pour conséquence de compromettre la création des associations cultuelles, prévues par la loi, et de faire transférer les biens immobiliers de l’Église au profit de l’État.

La crise au Portugal

     Le siècle est d’abord marqué par la proclamation de la République portugaise () : décrets anti-ecclésiastiques, confiscation des biens et propriétés de l’Église, fin des jours fériés religieux, suppression de l’enseignement de la doctrine chrétienne, loi de séparation de l’Église et de l’État (1911), mais très vite aussi début de dictatures.

Un pontificat en crise

Crise moderniste

     L’activité des exégètes protestants ne permet plus de considérer les évangiles canoniques comme une source unique non plus que comme un témoignage historique.

Le modernisme est à l’époque une tendance théologique considérée par les courants  intransigeants, comme déviante et menant à l’hérésie.

     Dans la constitution apostolique Lamentabili sane exitu [8] de 1907, Pie X condamne formellement 65 propositions dites « modernistes », rappelées dans l’encyclique Pascendi [9].Celle-ci rejette notamment les thèses du Père Alfred Loisy qui est excommunié. 

le cardinal Merry del Val mène la chasse contre Loisy (1908) pour modernisme théologique, contre Sangnier et le sillon (1910) pour modernisme social-politique.

     Les condamnations romaines « ont pour effet de constituer, de façon arbitraire, un ensemble cohérent à partir d’une galaxie fort hétérogène d’auteurs relevant de disciplines différentes et rarement d’accord entre eux sur tout. »[10]

Alfred Loisy

     L’abbé Loisy est déjà bien convaincu que la lecture fondamentaliste qui a cours alors dans l’Église catholique n’est pas  tenable. Il achève sa formation à l’École des Hautes Études et au Collège de France et devient professeur d’ Écriture sainte à l’Institut catholique de Paris.

     Parallèlement à son enseignement, il crée une petite Revue d’Enseignement biblique pour diffuser ses idées. Son propos n’est pas seulement exégétique -procéder à une étude scientifique des textes bibliques-  il ambitionne de renouveler de fond en comble la théologie catholique.

     Les menaces s’accumulent au-dessus de la tête de Loisy. Les services du Vatican créent le terme « modernisme » pour dénoncer toute recherche théologique ou exégétique qui leur paraît pactiser avec « le monde ». Ils lancent une véritable chasse aux sorcières à l’encontre de tous les fidèles suspects de cette « hérésie ». Il est sévèrement interdit aux fidèles de lire par eux-mêmes la Bible et un « serment antimoderniste » est exigé des futurs prêtres.

Plusieurs ouvrages de Loisy sont inscrits à l’ Index ; un décret pontifical condamne plusieurs de ses thèses. Finalement, en 1908, il est excommunié

    Le résumé de la position antimoderniste est donné dans le motu proprio Sacrorum antistitum[11] de 1910, encore appelé serment antimoderniste, que chaque prêtre est tenu de prononcer jusqu’à sa suppression en 1967.

     Parallèlement, Pie X encourage personnellement la constitution du réseau dit « La Sapinière » sorte de barbouzes pontificaux, créé par le cardinal Benigni et destiné à lutter contre les catholiques soupçonnés de « modernisme »[12]

Relations” avec les autres confessions chrétiennes et religions

Quelques exemples de la diplomatie vaticane de l’époque :

      • Recevant Théodore Herzl en 1904 venu lui demander son appui pour la création d’un état juif en Israël: ” En tant que chef de l’Eglise, je ne peux vous dire autre chose. Les juifs n’ont pas reconnu notre Seigneur, c’est pourquoi nous ne pouvons pas reconnaître le peuple juif. [13]
      •  A Théodore Roosewelt en visite à Rome, il fait savoir qu’il ne sera reçu que s’il renonce à visiter la communauté méthodiste.
      • Sa haine des protestants éclate dans l’encyclique Editæ Sæpe du 26 mai 1910 :Au sein de ces calamités, l’on voyait s’élever des hommes orgueilleux et rebelles, ennemis de la croix du Christ… hommes aux sentiments terrestres, ayant pour dieu leur ventre (Philip. III, 18, 19). Ceux-ci s’appliquaient, non à corriger les mœurs, mais à nier les dogmes ; ils multipliaient les désordres, relâchaient, pour eux et pour les autres, les freins apportés à la licence, méprisaient ouvertement la direction autorisée de l’Eglise, et, mettant à profit les passions des princes ou des peuples plus corrompus, en ruinaient avec une sorte de violence tyrannique la doctrine, la constitution, la discipline. Puis, imitant ces impies à qui est adressée la menace : Malheur à vous qui appelez mal le bien et bien le mal (Is. v, 20), ils ont appelé réforme ces révoltes séditieuses et cette perversion de la foi et des mœurs, se donnant à eux-mêmes le titre de réformateurs”[14]

Bilan

Ni diplomate ni savant, Pie X a fait ce qu’il avait appris à faire et ce qu’il savait faire en homme de terrain proche des gens. Et on lui doit de fort belles choses sur la communion eucharistique [15] sur la communion précoce des enfants [16], sur la liturgie [17].

Il doit beaucoup de sa raideur au cardinal Merry del Val (Rafael Merry del Val y Zulueta Wilcox ) son secrétaire d’état antifrançais.

C’est sur un homme âgé et épuisé que surviennent les nuages annonciateurs de la guerre. Adversaire de la France laïque et moderniste, de la Russie orthodoxe et de l’Allemagne protestante, mal à l’aise avec l’Italie, son seul vrai soutient est l’Empereur d’Autriche.
La guerre éclate et s’étend à toute l’Europe dans les premiers jours d’août 1914.

Pie X meurt le 20 août 1914 (à 79 ans). Il est canonisé en 1954

[1] Cet incident met fin à l’« exclusive », la possibilité pour un État catholique de récuser un postulant.
[2] Cité par Henri TINCQ in : Ces papes qui ont fait l’histoire. Ed. P0errin Paris 2007 p 128
[3] Henri TINCQ. Ces papes qui ont fait l’histoire. Ed. P0errin Paris 2007 p 130
[4] Ministre de l’instruction publique (1885) Président du Conseil (1902-1905)
[5] COLIN Pierre.L‘Audace et le Soupçon : La crise du modernisme dans le catholicisme français (1893-1914), Desclée De Brouwer, Paris 1997 (ISBN9782220038537)
[10] LAGREE Michel. Article sur:  Pierre Colin, L’audace et le soupçon. La crise du modernisme dans le catholicisme français, 1893-1914 . In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57ᵉ année, N. 2, 2002. pp. 498-500 consulté le 15/02/2024
[12] Ce réseau secret (Sodalitium Pianum (c’est-à-dire la « Compagnie de Pie ») avait principalement pour but l’expression d’un courant « intégriste » au sein de l’Église catholique, expressément opposé au « modernisme ». Il fut officiellement dissous en 1921.

XXIV Benoit XV et la Guerre

Les 60 cardinaux électeurs vont liquider le clan anti-moderniste de la curie conduit par De Lai et Merry Del Val, et élire le 3 septembre 1914 Giacomo della Chiesa 59 ans, Cardinal-Archevêque de Bologne, qui prend le nom de Benoit XV.

Il hérite d’une situatuion médiocre avec des moyens diplomatiques qui sont médiocres, à l’image des relations médiocres de Pie X avec les états laïcs.

Seuls 14 états ont une représentation auprès du Vatican.

 

Apaisement de la crise moderniste

« …A l’égard ensuite des questions, où, sans détriment de la foi ni de la discipline, on peut discuter le pour et le contre, parce que le Saint-Siège n’en a encore rien décidé, il n’est interdit à personne d’émettre son opinion et de la défendre ; mais que dans ces discussions on s’abstienne de tout excès de langage, qui pourrait offenser gravement la charité ; que chacun soutienne son avis librement, mais qu’il le fasse avec modération, et ne croie pas pouvoir décerner aux tenants d’une opinion contraire, rien que pour ce motif. »

Dès sa première encyclique Ad beatissimi apostolorum principis [1] Benoit XV siffle la fin de la récréationMême si la commission biblique continue à s’aventurer à des affirmations imprudentes, l’encyclique Siritus Paraclitus[2]  invite -et c’est une vraie rupture avec le pontificat précédent- à lire les Ecritures Saintes : « Pour Nous, Vénérables Frères, à l’exemple de saint Jérôme, jamais Nous ne cesserons d’exhorter tous les chrétiens à faire leur lecture quotidienne principalement des très saints Evangiles de Notre-Seigneur, ainsi que des Actes des Apôtres et des Epitres, de façon à se les assimiler complètement. » même si elle continue à condamner la méthode historico-critique[3]

En 1917, le Code de droit canonique mis en chantier sous Pie X est promulgué

Le serment anti-moderniste est maintenu.

 

La guerre de 1914-1918

Dès le 3 septembre Benoit XV a vécu dans la conscience aiguë de la tragédie de la guerre et n’a eu qu’un but, le rétablissement de la paix : le 8 septembre il publie une exhortation  apostolique sans langue de bois : « Nous avons été frappé d’une horreur et d’une angoisse inexprimables par le spectacle monstrueux de cette guerre, dans laquelle une si grande partie de l’Europe, ravagée par le fer et le feu, ruisselle de sang chrétien. »[4]

Les puissances centrales ne comprennent pas pourquoi le pape refuse de soutenir officiellement l’Autriche-Hongrie, seul pays officiellement catholique, et l’Allemagne, qui compte les très catholique Bavière et Rhénanie, contre des États visiblement anticatholiques : la protestante Angleterre, « oppresseur » de l’Irlande, la Russie,  schismatique, « oppresseur » quant à elle de la Pologne, mais aussi la France, « foyer de l’athéisme ».

Les positions de Benoit XV ne seront jamais comprises ni acceptées alors qu’elles sont les seules tenables. Chacun le souhaite dans son camp et l’accuse d’être dans l’autre…«Il a exhorté à maintes reprises les peuples à conclure une paix juste, et offert ses bons offices ou sa médiation en vue d’une pacification générale. Ses échecs successifs ne l’ont jamais amené à renoncer pendant le conflit, malgré l’incompréhension presque totale à laquelle il s’est heurté. Ses désirs de neutralité -bien plus, d’impartialité- ont été vécus dans les deux camps opposés comme un manque de courage politique : on était persuadé qu’il y avait bien choix, celui de l’autre camp, que le pape n’exprimait pas par hypocrisie. Car la haine de l’ennemi est constitutive de la croisade, et le pape, paradoxalement, ne peut la diriger, lui qui a des enfants dans les deux camps.[5] »

Le 1 aout 1917 il envoie une « lettre aux chefs des peuples belligérants »[6] qui sera très mal reçue parce que trop raisonnable dans un moment déraisonnable. « L’impossibilité mentale de reconnaître dans l’ennemi, vu comme responsable des atrocités, du viol du territoire, un chrétien -plus, un catholique- explique en grande partie l’incompréhension des belligérants, catholiques ou non, face au pape »[7]

Sur le terrain

     Une situation fortuite va ouvrir des horizons œcuméniques et même interreligieux inattendus : « Au front, les aumôniers des « minoritaires » (protestants et juifs) trouvent une place plus importante en proportion que leurs effectifs en chiffres absolus. Car les hommes d’Églises, qu’ils soient catholiques, protestants ou juifs, font le même métier, ils consolent, encouragent, assistent…. Quelle que soit leur foi, ils partagent la même, la foi en la victoire, et cela explique la multiplications de rencontres, improbables avant la guerre. Non seulement les croyants des différentes confessions peuvent mener un dialogue impossible jusque-là, mais encore ils côtoient des agnostiques voire des libres-penseurs, qui, pour leur part, se trouvent confrontés à la foi, voire à l’acte de foi. Une fois admise la part de la propagande édifiante, demeure la vraie nouveauté de ces rencontres spirituelles ancrées dans l’énergie commune du patriotisme et du rejet de l’ennemi.[8]»

L’autre va devenir un peu moins différent

 

Après la guerre

     Le pape se montre très pessimiste sur le règlement du conflit.

Dans son encyclique Pacem, Dei munus pulcherrimum[9] du 23 mai 1920, il désapprouve le traitement jugé trop humiliant réservé à l’Allemagne « Il est superflu de démontrer longuement que la société humaine subirait les plus graves dommages si la signature de la paix laissait subsister de sourdes haines et des rapports hostiles entre les nations. » et condamne le découpage opéré par le traité de Versailles « Si presque partout on a mis, en quelque façon, un terme à la guerre, si l’on a signé des traités de paix, on n’a pas extirpé les germes des anciennes discordes ; et vous ne doutez pas, Vénérables Frères, que toute paix est instable . »

Au sortir de la guerre, le cardinal Gasparri s’efforce de renouer les liens entre le Saint-Siège et les nations. Le nombre d’États représentés au Vatican augmente, ainsi que les nonciatures à l’étranger.

  • La France finit également par se réconcilier avec le Saint-Siège : Benoît XV canonise Jeanne d’Arc le 16 mai 1920 et à cette occasion, Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires étrangères et représentant extraordinaire de la France lors des cérémonies, rencontre le cardinal Gasparri et Benoît XV, première étape au rétablissement des relations diplomatiques entre les deux États, qui aura lieu en mai 1921.
  • Le premier concordat de la série sera signé avec la Lettonie le 30 mai 1922

Le pape Benoît XV meurt brutalement le 22 janvier 1922, après sept ans de pontificat, à l’âge de 67 ans

[3] En 1923, sous le pontificat suivant, Le Manuel biblique de Vigouroux sera mis à l’Index, et le P. Lagrange se vera empêché de publier ses travaux sur la Genèse. Le sulpicien Jules Touzard subira également les foudres du Saint-Office pour avoir mis en doute l’attribution à Moïse en personne des livres du Pentateuque : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ex%C3%A9g%C3%A8se_historico-critique_de_la_Bible#:~:text=L’ex%C3%A9g%C3%A8se%20historico%2Dcritique%20de,production%20ainsi%20que%20leurs%20destinataires.
[4]Exhortation apostolique Ubi primum. Appel à la paix entre les belligérants : https://laportelatine.org/formation/magistere/exhortation-apostolique-ubi-primum
[5] BECKER Annette. L’histoire religieuse de la guerre 1914-1918. In: Revue d’histoire de l’Église de France, tome 86, n°217, 2000. Un siècle d’histoire du christianisme en France. pp. 539-549. DOI : https://doi.org/10.3406/rhef.2000.1431 www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_2000_num_86_217_1431
[7] BECKER Annette. L’histoire religieuse de la guerre 1914-1918 op. cit.
[8] BECKER Annette. L’histoire religieuse de la guerre 1914-1918 op.cit.

XXV Pie XI entre ouverture et immobilisme

     Erudit, théologien, cardinal en 1921, il est élu l’année suivante comme candidat de compromis, et montre très vite son autorité indépendante, en refusant au camp conservateur de renvoyer Gasparri et en choisissant, à l’inquiétude des libéraux, de prendre la tiare sous le nom de Pie XI.

Il aime dire « j’aime tellement les traditions que j’en crée de nouvelles ».

 Pontificat

Il innove en donnant sa bénédiction « ubi et orbi » (à la cité et au monde) de la loggia extérieure de la basilique Saint-Pierre, ce qui constituait symboliquement, un geste politique  considérable, après l’isolement des papes de Pie IX à Pie XI se déclarants « prisonniers du Vatican[1] »depuis le  20 septembre 1870   

     Il insiste sur le rôle des laïcs : « tous les fidèles sont appelés à collaborer [à l’apostolat], car tous peuvent travailler dans la vigne du Seigneur », (aux évêques colombiens le 14 février 1934). Concrètement, il accorde son appui à l’Action catholique et aux institutions de jeunesse comme la Jeunesse ouvrière chrétienne, fondée par l’abbé Joseph Cardijn.

 Au plan politique

     Les accords du Latran de 1929 règlent la question de états pontificaux en créant un état souverain qui a pour nom Cité du Vatican.

  Dès la fin de 1925, il s’oppose férocement au mouvement monarchiste de l’Action française[2]. Sa condamnation des totalitarismes de droite comme de gauche est sans appel :

          • Mit brennender Sorge[3] contre l’idéologie du NSDAP (Parti nazi d’Allemagne) et son racisme[4] ;
          • Non abbiamo bisogno[5]  condamnant (plus mollement) le fascisme italien ;
          • Divini Redemptoris[6]  sur le communisme athée.

     En contrepoint, cette politique sur la scène internationale va se traduire par des compromis de plus en plus périlleux. Onze concordats[7] sont signés entre l’Eglise Catholique Romaine et différents états entre 1922 et 1935 dont  celui signé par le cardinal Eugénio Pacelli avec le IIIeme Reich d’Adolf Hitler en 1933, mais aussi avec l’Italie fasciste de Mussolini.

     Le 6 septembre 1938, alors que le gouvernement italien prépare les lois raciales  fascistes, Pie XI déclare à un groupe de pèlerins belges : « Par le Christ, et dans le Christ, nous sommes de la descendance spirituelle d’Abraham. Non, il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme. Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre et de prendre les moyens de se protéger contre tout ce qui menace ses intérêts légitimes, mais l’antisémitisme est inadmissible. Nous, chrétiens, nous sommes spirituellement des sémites[8] »

     Hélas, si la presse laïque s’en fait l’écho, ni l’Osservatore Romano, ni par Radio Vatican n’en font mention…

Sa vision de l’unité des chrétiens

     On peut dire -pour ne pas faire d’erreur de perspective en relisant l’histoire passé avec nos connaissances d’aujourd’hui- qu’elle est strictement limitée à la position la plus traditionnelle de l’Eglise Catholique.

     L’encyclique Mortalium animos[9] du 6 janvier 1928 « Sur les véritables principes de l’unité des chrétiens »  souhaite le retour au sein de l’Église Catholiques Romaine de ceux « qui ont eu le malheur de s’en séparer » et tente de mettre un coup d’arrêt a toute velléité de dialogue

Cependant l’ Esprit-Saint travaille.

 

Les conversations de Malines [10]

     En ce XXe siècle commençant, l’idée œcuménique fait son chemin, à l’initiative de la sphère protestante avec les grands rassemblements du mouvement « Foi et constitution » d’Edimbourg[11] (1910) plus tard de Stockholm[12] (1925), de Lausanne[13] (1927) qui mettent en contact le monde anglican anglo-américain avec les calvinistes, les luthériens et aussi les orthodoxes.

On est également dans la suite de cette Grande Guerre qui a beaucoup rapproché les aumôniers militaires de différentes religions au sein des unités, mais aussi dans les camps d’officier notamment, des catholiques, des protestants et des orthodoxes.

Et puis se pose aux églises la question de la concurrence dans les pays de mission qui est un contre témoignage.

     L’occasion d’une avancée est fournie par la conférence anglicane de Lambeth de 1920, qui lance un vibrant appel à l’unité chrétienne. Cet  appel de Lambeth a été communiqué au pape et à un certain nombre d’évêques catholiques.

   Le Père Portal a été immédiatement frappé de ce fait nouveau, dont l’importance ne semblait pas avoir été perçue en milieu catholique et, soucieux d’en profiter pour relancer l’idée de contacts entre les deux Églises en vue d’explorer les possibilités éventuelles d’un rapprochement, il eut l’idée d’y intéresser le cardinal Mercier, archevêque de Malines-Bruxelles, qui avait reçu cet appel et répondu personnellement à l’archevêque de Cantorbéry

Portal, après un premier contact, lui écrivit une longue lettre[14] , où il développait ses vues en rappelant ce qu’avaient été en réalité les tentatives des années 1890 : «Dans la pensée des initiateurs du mouvement, la question des Ordres [c’est-à-dire la validité des ordinations anglicanes] n’était choisie que comme un terrain de rencontre où anglicans et catholiques pourraient examiner ensemble non seulement la valeur des Ordres mais toutes les questions qui les séparent »

Le card. Mercier avait déjà fait une démarche auprès de Benoit XV qui n’avait pas répondu.[15] Mais à l’automne, Portal et Halifax décidèrent de revenir à la charge et réussirent à rallier le card. Mercier à l’idée d’entretiens dans son palais épiscopal avec quelques représentants de l’Église d’Angleterre, pour de simples « conversations » privées, visant à se documenter réciproquement et ne pouvant dès lors donner lieu à aucune publicité.

Ces conversations ont lieu effectivement, à quatre reprises, de 1921 à 1926, sur deux ou trois jours chaque fois, entre des représentants des deux églises, avec beaucoup de respect et d’amitié. Il est convenu que chaque parti présente des exposés qu’on mettrait ensuite en débat, en essayant de faire la lumière sur les divergences doctrinales, et en centrant le travail sur la nature de l’Eglise.

Le card. Mercier en ayant référé au pape Pie XI, la réponse du pape, qui évoqua le souvenir de ses rencontres avec des scholars d’Oxford et avec des orthodoxes russes se déclara convaincu de leur entière bonne foi, et fut tout à fait positive : «Je ne vois que du bien à ces réunions » de Malines. Sauf qu’il y avait erreur sur le fond de la démarche de Mercier-Portal-Halifax[16]

A partir de la 3ème conversation, à Noël 1923, ces échanges œcuméniques deviennent connus du grand public, et une certaine opposition se manifeste. Le Cardinal, qui est critiqué dans son propre diocèse, publie en janvier 1924, une lettre pastorale restée célèbre, dans laquelle il écrit : “Pour rien au monde, je ne voudrais autoriser un de nos frères séparés à dire qu’il a frappé en confiance à la porte d’un évêque catholique romain et que cet évêque catholique romain a refusé de lui ouvrir.”

Lorsque la mort, la même année 1926, du cardinal Mercier, en janvier, et celle de l’abbé Portal, en juin, met fin aux conversations de Malines, on peut dire que ces rencontres n’ont pas fait réellement bouger les lignes théologiques et ecclésiales, mais elles restent fortement symboliques par la méthode employée dans ces conversations bilatérales. Le  cardinal Mercier écrit dans une lettre de janvier 1924 :

Les hommes sont faits pour s’aimer les uns les autres et il n’est pas rare que des cœurs mutuellement étrangers qui auraient pu, à distance, se croire ennemis, goûtent, à se comprendre, un charme pénétrant qu’ils n’auraient pas soupçonné.
Et il ajoute  le rapprochement des cœurs n’est pas l’unité de la foi, mais il y dispose.

     

Les intuitions de Dom Lambert

Octave Beauduin, est belge, jeune prêtre à l’époque de Rerum Novarum, il s’engage en 1899 dans la congrégation des prêtres du travail, par sensibilité à la détresse religieuse et humaine de la classe ouvrière. Et puis sa quette spirituelle le mène chez les moines bénédictins du Mont-César à Louvain

Il devient Dom Lambert Beauduin. Il a 33 ans.

Il  y trouve au  monastère des ouvertures inattendues. Jusque-là, comme quasiment tous les prêtres de paroisse, il n’avait vu dans la liturgie selon ses propres souvenirs qu’une « série de prescriptions minutieuses et arbitraires imposées, croirait-on, pour exercer la patience de ceux qui les étudient et les accomplissent ».

Au Mont-César, le prieur est Dom Columba Marmion (que Jean-Paul II a béatifié en  2000) un maître spirituel grâce à qui le jeune Dom Lambert commence à pénétrer la richesse de l’Ecriture sainte, de la prière chorale, de la liturgie dans son ensemble. Et le jeune moine, comprenant l’impact que la liturgie peut avoir dans la formation chrétienne et la vie quotidienne de l’Eglise, lance, un véritable « mouvement liturgique » dans le clergé paroissial, avec l’encouragement de ses supérieurs et du Cardinal Mercier.

     Bientôt, il est envoyé à Rome en 1921 pour faire un cours de liturgie à l’institut Saint-Anselme : par un de ses élèves Dom Olivier Rousseau[17], il est mis en contact avec l’émigration russe – qui fuit le bolchévisme.
Découverte émerveillée du monde orthodoxe.
      Il y a une attention très grande portée par l’Eglise catholique (de France notamment) au monde orthodoxe, avec un certain nombre d’œuvres entreprises pour favoriser les rapprochements, ou simplement déjà aider les exilés russes
     Un projet élaboré par le P. Lambert, appuyé par le cardinal Mercier et présenté à Pie XI par un jésuite influent, le P. Michel d’Herbigny, aboutit à la publication en mai 1924 de la lettre apostolique Equidem Verba par laquelle le pape donne mission à l’ensemble de l’Ordre bénédictin de travailler au rapprochement avec le monde orthodoxe.

Cet appel restera presque sans écho. En fait, l’ordre bénédictin en tant que tel refuse de s’impliquer, mais Dom Lambert Beauduin obtient de ses supérieurs l’autorisation de fonder un « monastère de l’Union », où l’on vivra la liturgie selon les deux rites, latin et oriental, et où l’on travaillera la question du rapprochement des Eglises.

Le Monastère de l’Union à Amay sur Meuse

     Grâce à sa famille, qui n’est pas dans la gêne, Dom Lambert achète l’ancien carmel d’Amay-sur-Meuse, où son « monastère de l’Union » ouvre ses portes le 25 novembre 1925. Avec dom Ildefonse Dirkx cédé par le Mont-César, le Père L. Gillet, qui assistera le fondateur pendant trois mois

Trois mois plus tard est fondée la revue Irénikon

D’entrée de jeu, dom Lambert Beauduin met les choses au point: «Ni prosélytisme, ni bienfaisance, ni conception impérialiste», lit-on en sous-titre dans un article-programme de la revue, bien trop risquée dans ces années 20, qui va lui faire rapidement des ennemis.

      Il aurait pu s’en douter déjà lorsque paraît, le 8 janvier 1928, l’encyclique Mortalium animos [9]. Au fond, ce n’est pas le monde oriental qui fait peur à Pie XI, mais plutôt ces grandes conférences œcuméniques de Stockholm ou de Lausanne, qui laissent présager que les Eglises issues de la Réforme vont se fédérer – il y a des rapprochements, notamment dans le monde anglo-américain-  qui font peur au Saint-Siège[18].

     L’encyclique brocarde une espèce de « panchristianisme » illusoire, fondée sur un prétendu humanisme et un indifférentisme doctrinal très dangereux. Cette encyclique est un vrai choc dans les milieux qui travaillent à l’amitié entre les différentes confessions, un vrai coup d’arrêt aux entreprises œcuméniques naissantes[19].

    Dom Lambert se sent visé par l’encyclique, parce qu’il n’est pas dans la ligne, et menacé (il faut dire que son ami et protecteur le cardinal Mercier est mort depuis deux ans). Il décide, quant à lui, de patienter en attendant des jours meilleurs[20].
Mais ce sont des jours pires qui arrivent : Des affrontements se font jour quant à la vocation de la communauté. Alors que dom Lambert Beauduin veut l’affirmer comme un essai de véritable communion, les autorités épiscopales, dont Mgr d’Herbigny, souhaitent avancer dans un sens plus prosélyte, et constituer un monastère uniate.
Cette vision ne correspond pas à celle de dom Lambert qui, réputé pour son caractère bien trempé, le fait savoir haut et fort ce qui l’amène à être exclu de l’abbaye en 1932, puis interdit de séjour en Belgique.

     Pendant cette longue période, ses idées feront peu à peu leur chemin : « Travailler aujourd’hui patiemment pour les générations futures et prendre d’abord le temps de se connaître mutuellement. » Avec le génie qui le caractérise, Beauduin pose les jalons successifs du long cheminement vers l’unité : « se connaître, se comprendre, s’estimer, s’aimer ». Ces quatre balises figurent telles quelles dans six œuvres de dom Lambert et en outre plusieurs fois ailleurs sous des formes équivalentes: c’est dire l’importance qu’il attribue à cette méthode.

     En 1951, à l’âge de 78 ans, réhabilité (officieusement) par Rome, Beauduin pourra prendre place discrètement à l’hôtellerie de son monastère déménagé à Chevetogne[20].

Il y décédera le 11 janvier 1960

“Suites” œcuméniques autour du Monastère de l’Union d’Amay-sur-Meuse (en 1939 à Chevetogne):

      • l’abbé Couturier, oblat du monastère, devient l’apôtre de la semaine de prière pour l’Unité et réunit, en 1937, à l’abbaye cistercienne de Notre-Dame des Dombes une équipe œcuménique de théologiens qui deviendra, en 1942, le « Groupe des Dombes ».
      • début d’août 1932, séjourne à l’hôtellerie du monastère, tout à fait par hasard en même temps que l’abbé Couturier, un jeune dominicain. Il s’appelle Yves-Marie Congar. Son ouvrage justement célèbre « Chrétiens désunis » (1937)  s’inspirera assez largement de conférences de dom Clément Lialine, moine d’Amay.
      • Très prudemment, la revue Irénikon continue à nourrir la réflexion.
      • En 1950 (enfin !) l’objectif propre de Chevetogne en tant que « Monastère de l’Union » sera reconnu par Rome.

 

Les semaines de l’abbé Couturier

La jeune communauté bénédictine a été privée brusquement de son fondateur, elle est suspectée par Rome dans ses moindres actions et les jours de la revue Irénikon, sont menacés plus d’une fois. Mais elle continue son chemin, avec un recrutement assez baroque, mais très riche en personnalités fortes[21].

     Dans le jardin de l’hôtellerie du monastère à l’été 1932, il y a un prêtre séculier, d’une cinquantaine d’années, qui marche dans l’allée. Il est arrivé le 16 juillet, pour passer un mois de repos et de retraite. Il vient de Lyon, où il est professeur de sciences au collège des Chartreux. Il s’appelle Paul Couturier[22]. C’est un homme ouvert, grand lecteur de Teilhard de Chardin dont il aime l’idée d’une humanité tout entière unie dans le Christ. C’est la première fois qu’il vient à Amay, qui lui a été recommandé par un ami lyonnais.

Celui qui va devenir le grand apôtre français de l’œcuménisme ne sait alors quasi rien des questions œcuméniques – sauf qu’il s’occupe activement depuis 1923 de l’aide aux russes orthodoxes réfugiés à Lyon, et qu’il est touché par leur belle liturgie. Au monastère d’Amay, cet été-là, l’abbé Couturier passe un mois enchanteur, pratique la liturgie grecque ou slave de la chapelle byzantine du monastère, lit et prend des notes dans la bibliothèque, et conversation avec les moines .

Lorsqu’il quitte Amay, au mois d’août, il emporte certes des icônes russes et des numéros d’Irénikon dans sa valise, mais dans son cœur il emporte la certitude œcuménique d’avoir à travailler et à prier toute sa vie pour l’union des Eglises, avec une méthode, celle qu’il vient de découvrir dans le testament spirituel du cardinal Mercier, qu’on lui a fait lire : “Pour s’unir,  il faut s’aimer, pour s’aimer, il faut se connaître, pour se connaître il faut aller à la rencontre l’un de l’autre.”   

     Paul Couturier fait profession en 1933 comme oblat du Monastère de l’Union.

À son retour, il organise un triduum de prière pour l’unité des chrétiens à Lyon, en janvier 1933. En 1934, c’est une octave de prière qui s’étend du 18 au 25 janvier et s’inscrit dans le sillage de l’octave pour l’unité créée par sous l’impulsion du Révérend Spencer Jones, un anglican, et du Révérend Paul Watson, un épiscopalien, converti au catholicisme. Le but de la semaine de prière était alors la conversion à Rome de tous les chrétiens séparés. Pie X, Benoît XV, Pie XI, avaient encouragé cette pratique.

     Seulement, l’abbé Couturier voit bien que cette prière, si l’on insiste à temps et à contretemps sur le « retour au bercail des chrétiens séparés » ne sera jamais qu’une prière de catholiques, qui prient pour les autres chrétiens. Or, ce qu’il a compris à Amay, c’est qu’il faut prier non pas pour les autres mais avec les autres.
Pour rendre cette semaine de prière vraiment œcuménique, il faut en élargir l’esprit. « Ni la prière catholique, dit-il, ni la prière orthodoxe, ni la prière anglicane, ni la prière protestante ne suffisent. Il les faut toutes, et toutes ensemble ».
 
     Couturier n’est pas (et ne sera jamais) un théologien de l’œcuménisme mais c’est un spirituel qui a réfléchi, et des 1935, il commence à publier des textes pour assurer l’esprit de cette prière[23].
Lui parle des « bases psychologiques :
  1. l’universalité,
  2. le respect de la spécificité confessionnelle,
  3. l’humilité et la pénitence.  Sur ce troisième point, dans un contexte d’après l’encyclique Mortalium animos, il faut admirer la hardiesse de son invitation faite aux catholiques à reconnaître à la fois leurs propres fautes contre l’unité dans le présent, et celles de leur Eglise dans le passé.
     Le succès de la Semaine de prières pour l’unité a été assez large dès le départ – même s’il n’a pas été unanime. Dans beaucoup de villes on a célébré cette semaine de prière, souvent accompagnée de conférences sur les autres confessions.
     Ce qui est intéressant, c’est que la semaine de prière est d’abord une proposition faites aux catholiques. Mais à partir de 1935, c’est vraiment une organisation conjointe avec les autres confessions, même s’il n’y a pas avant 1948 de célébrations encore interconfessionnelles (chacun prie encore la même semaine, mais de son côté). 
     A partir de 1936, on voit le synode national des églises réformées l’adopter [24], les archevêques anglicans la recommander officiellement à leurs fidèles en 1939. Et puis en 1942, le mouvement « Foi et Constitution » (qui va être inclus dans le COE lors de sa création officielle en 1948) change la date de son propre octave de prière (traditionnellement à la Pentecôte depuis 1920) pour adopter les dates proposées par l’abbé Couturier (18-25 janvier).
     Enfin, à partir de 1960, le Secrétariat pour l’unité des chrétiens (qui vient d’être créé à Rome) co-organise, chaque année la semaine, son thème, son déroulement, en lien étroit avec le Conseil Œcuménique des Eglises [25].

Yves Congar, le théologien

     Dans les allées du parc d’Amay-sur-Meuse, dans ce début d’août 1932, nous allons croiser, séjournant aussi à l’hôtellerie du monastère, tout à fait par hasard en même temps que l’abbé Couturier, un personnage absolument capital de l’œcuménisme catholique français.

     Il s’agit d’un jeune dominicain. Il s’appelle Yves-Marie Congar, il a 28 ans, il vient d’être ordonné prêtre, très bien formé : étudiant à l’Institut catholique avec  l’abbé Lallement, puis chez les dominicains du Saulchoir, lié avec les P. Couturier, Dubarle, et surtout Marie-Dominique Chenu qui devient son ami pour la vie ;
     En contact aussi avec l’Allemagne de Luther qu’il a visitée et qu’il aime[26], avec le grand théologien suisse protestant Karl Barth, et enfin dans les milieux parisiens qu’il approche, avec Mounier, Lev Gillet, Berdiaev.
Le jeune P. Congar a connu et fréquenté tous les chrétiens intelligents du premier XXe siècle.

Tout ce bouillonnement à la fois intellectuel et spirituel, chez ce jeune dominicain, fait jaillir en lui ce cri, face à ce qu’il observe, dans son Eglise : « Mon Dieu, pourquoi votre Eglise, qui est unique, sainte et vraie, a-t-elle souvent ce visage austère et décourageant, alors qu’elle est en réalité pleine de jeunesse et de vie ? « » Et au cœur de cette profession de foi, il y a déjà la question qui va le hanter toute sa vie, qui est celle de l’unité de l’Eglise. Dans son Journal du Concile (24 novembre 1962), il y a cette note : « Mon Dieu, qui m’avez fait comprendre, dès 1929-1930, que si l’Eglise changeait de visage, si elle prenait simplement son vrai visage, si elle était tout simplement l’Eglise, tout deviendrait possible sur la voie de l’unité[27]. »

Et naturellement, en ce début des années 30, parce qu’il veut connaître le terrain et visiter les lieux où l’on se soucie d’un renouveau de l’ecclésiologie et de l’unité des chrétiens, son chemin passe par Amay-sur-Meuse. Je cite : « Le monastère occupait un ancien carmel. On y était à l’étroit. Les livres de la bibliothèque débordaient dans les couloirs. L’Office et l’eucharistie étaient célébrés simultanément en rite latin et rite oriental (…). Je me documentais à la bibliothèque et j’eus avec plusieurs des Pères attachés à l’œuvre des conversations qui me révélaient quelque chose des profondeurs, soit de la tradition orientale, soit des problèmes de l’unité. C’est alors que je me liai avec Dom Clément Lialine d’une amitié qui a duré jusqu’à sa mort et qui m’a infiniment apporté. Dom Lialine avait un extraordinaire don d’amitié. Chez lui, le moine, le Slave, avec sa faculté de lire au-dedans des choses, l’homme étonnamment cultivé, curieux et informé, l’ami fidèle et délicat, ne faisaient qu’un (…) [28].

    « Un prêtre de Lyon se trouvait en même temps que moi au monastère d’Amay, l’abbé Paul Couturier. Je me rappelle très bien telle conversation d’alors, dans l’allée du jardin. L’abbé Couturier me développa une vue de l’Eglise d’une inspiration assez bergsonienne : il y avait dans l’Eglise « un élan de vie »…[29]

     En 1937, il publie un livre fondamental, qui s’intitule Chrétiens désunis. Principes d’un œcuménisme catholique[30]. Ce livre forme le premier volume d’une nouvelle collection éditions du Cerf intitulée « Unam Sanctam ». Le but du livre est de prouver que le problème de l’unité chrétienne n’est pas une simple question de retour des « dissidents » à l’unité romaine. Pour Congar, il n’y aura pas d’œcuménisme sans un élargissement des cœurs, et même une « dilatation maximale de la catholicité »: c’est-à-dire que plus on est catholique, en extension et en compréhension, plus on pourra inclure un jour les valeurs chrétiennes authentiques dont vivent les frères « séparés ».

[2] L’Action française, est jugée coupable d’irréligion ‘(Bien qu’amplement soutenue auparavant par le clergé français). L’ allocution consistoriale de Pie XI du 20 décembre 1926, en guise de clôture d’une série de condamnations plus ou moins indirectes, interdit explicitement toute participation au mouvement, de même que la lecture de ses publications. Neuf jours plus tard, les écrits de Charles Maurras, fondateur du mouvement, étaient mis à l’Index de même que le journal “Action française”.
[7] TINCQ Henri. Ces papes qui ont fait l’histoire. Coll. Tempus, Ed. Perrin Paris 2007 pp200-204
[10] Pour plus de détails voir : AUBERT Roger. Les conversations de Malines (1921-1926). Le cardinal Mercier et le Saint-Siège. In: Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques, tome 53, 1967. pp. 87-159. www.persee.fr/doc/barb_0001-4133_1967_num_53_1_54761 
[11]La Conférence missionnaire mondiale d’Édimbourg est traditionnellement considérée comme le point de départ symbolique du mouvement œcuménique contemporain. Historiquement parlant, cela peut se discuter ; car c’est depuis 1854 en tout cas que se sont tenues à intervalles irréguliers des conférences missionnaires dont certaines portaient le titre d’« œcuméniques », comme la plus importante, celle de New York, en 1900  Concernant l’impact des mouvements missionnaires sur l’œcuménisme. À l’origine, la conférence en Écosse (imaginée dès l’année 1907 et proposée par les Américains) aurait dû porter le titre de « 3e Conférence œcuménique », mais le comité international préparatoire estima qu’il devait être abandonné, pour deux raisons qui ne manquent pas d’intérêt si elles sont relues après cent ans : a)- les sujets abordés auraient dû être plus larges ; b)- un certain nombre d’Églises historiques comme les catholiques ou les orthodoxes. auraient dû participer. (https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses1-2010-1-page-71.htm?ref=doi )
[12]La conférence de Stockholm ne conduisit pas à la réunification des Églises chrétiennes mais elle posa sûrement les bases d’une intervention dynamique des Églises dans les affaires de ce bas monde. DIMANOPOULOU-COHEN Pandora. Art Le mouvement du christianisme pratique dans le contexte d’entre-deux guerres : entre science, religion et idéologie in :  https://books.openedition.org/pur/154452?lang=fr#ftn18
[13] HDGSON Leonard. Le Mouvement de Lausanne : son Passé, son Présent et son Avenir . In: Études théologiques et religieuses, 9e année, n°4-5, 1934. pp. 191-208 in : www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1934_num_9_4_1306
[14] Citée en annexe II in :  AUBERT Roger. Les conversations de Malines (1921-1926).op cit p 128-130
[15] AUBERT Roger. Les conversations de Malines (1921-1926).op cit p 92-93
[16] “Le Saint Père a pleinement approuvé ce que Votre Éminence a fait jusqu’ici. Tâcher d’éclairer nos frères qui sont dans l’erreur, disait-il, et de les amener ainsi à la vérité et à l’unité, c’est bien faire œuvre d’apostolat, non seulement permise, mais très méritoire. Les apôtres ne faisaient pas autre chose.” in : AUBERT Roger. Les conversations de Malines (1921-1926).op cit Annexe VII p134
[17] Olivier Rousseau (1898-1984). Entre à l’abbaye de Maredsous en 1916, études au Mont-César (Louvain) puis à Saint-Anselme (Rome). Admirateur du mouvement liturgique fondé par dom Beauduin en 1909, il est initié par lui à Rome aux projets en faveur de l’union des Eglises. En 1930, il peut le rejoindre à Amay-sur-Meuse. Il y sera maître des novices (pendant 18 ans), vite associé, puis responsable d’Irénikon (ce jusqu’en 1971). Il jouera un rôle actif à Vatican II (influence dans la rédaction des textes sur la liturgie, l’épiscopat, les églises locales…).
[18] Voir l’analyse de Dom O. Rousseau, « Pourquoi une introduction à l’œcuménisme », dans Irénikon, t. XXXII, 1959, p. 23-47, qui fait remarquer qu’après ce coup d’arrêt, Pie XI, dans la deuxième partie du pontificat, se consacre davantage aux Missions.
[19] Lev Gillet, très découragé, passe à l’orthodoxie. Naturellement, ce n’est pas la seule raison du passage de L. Gillet, qui connaissait de nombreux russes, par la captivité pendant la Grande Guerre
[21] Il est vrai que Beauduin disait : « Des individus parfaits, juxtaposés, délivrez-nous Seigneur » (Archives d’Amay-Chevetogne, lettre de dom Lambert à un prieur, 14 mars 1924).
[23] P. Couturier, « Psychologie de l’octave des prières du 18 au 25 janvier », dans Revue apologétique, décembre 1935, p. 648-703
[24] Une note de Congar dans l’avant-propos de Chrétiens désunis (1937) expose ceci : « Le synode national des églises réformées de France, réuni du 23 au 25 juin 1936, a adopté à l’unanimité le vœu suivant : Le synode national, apprenant qu’un effort d’intercession pour l’unité de l’Eglise serait fait le quatrième dimanche après Noël dans de nombreux milieux orthodoxe, anglicans et catholiques romains, a) accueille avec émotion et avec joie cette initiative b) et propose aux pasteurs de l’Union d’orienter ce jour-là le culte dominical vers l’ « unité » chrétienne et en particulier de joindre les prières de l’Eglise Réformée de France à celles des autres fractions de l’Eglise universelle .
[25] On peut signaler aussi que Jean XXIII choisit de faire l’annonce de la convocation du concile Vatican II en janvier 1959, pendant la Semaine de prière pour l’Unité, date évidemment hautement symbolique..
[26] Voir dans Une vie pour la vérité. Jean Puyo interroge le P. Congar, Paris, Centurion, 1975, p. 58-64, où le P. Congar admet : « L’Allemagne, je l’ai toujours rencontrée » donnant ensuite de nombreux détails sur son admiration pour Luther (« un des plus grands génies religieux de toute l’histoire », p. 59, « Luther est un géant », p. 61).
[27] Dans Mon Journal du Concile, 24/11/1962. in FOUILLOUX, Étienne. “frère Yves, cardinal Congar, dominicain, itinéraire d’un théologien.” Revue Des Sciences Philosophiques et Théologiques, vol. 79, no. 3, 1995, pp. 379–404. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/44408338. Accessed 21 Feb. 2024.
[28] Dom Clément (Constantin) Lialine (1901-1958) était né dans une famille fervente orthodoxe de Saint-Petersbourg (son père, le général Lialine, avait épousé une fille naturelle du Grand Duc Constantin Nikolaïevitch, le bénédictin était donc l’arrière-petit-fils du tsar Nicolas II !). Etudiant à l’institut d’agronomie de Gembloux, il s’était converti au catholicisme et était entré à Amay en 1928. In : Van PARYS Michel, « Dom Clément Lialine, théologien de l’unité chrétienne », dans Irénikon, 2003, vol. 76, 2-3, p. 240-269.
[29]  CONGAR Yves, Chrétiens en dialogue, contributions catholiques à l’œcuménisme, Paris, Cerf, « Unam Sanctam » n° 50, 1964, p. XVIII-XIX.
[30] CONGAR Yves (Fr Marie Joseph) Chrétiens désunis. Principes d’un œcuménisme catholique . Coll Unam Sanctam 1.Ed. du Cerf Paris 1937

XXVI  Pie XII Le diplomate

« Le monde attendait un prophète, un diplomate est venu »

     Eugenio Pacelli  est nonce apostolique pendant la Première Guerre mondiale en Bavière puis en Allemagne, où il assiste à la naissance du parti nazi.
Négociateur de plusieurs concordats, il est créé cardinal en 1929 puis nommé en février 1930 secrétaire d’État du pape Pie XI.
Il travaille avec lui au quotidien, en particulier sur les relations avec l’Allemagne où Hitler prend le pouvoir avec la complicité du Chancelier du Reich, le catholique conservateur Franz Von Papen.
Le 20 juillet 1933, le cardinal Pacelli signe un concordat[1] avec Franz von Papen, représentant le nouveau Chancelier du Reich allemand Adolf Hitler. L’Allemagne nazie ne respectant pas le concordat, le cardinal Pacelli envoie 55 notes de protestations au gouvernement allemand entre 1933 et 1939…qui ne servent à rien.
En mars 1937, il rédige à la demande du pape, avec le cardinal-archevêque de Munich, le texte de l’encyclique: Mit brennender Sorge condamnant (sans toutefois la nommer) l’idéologie nazie
Ses capacités de diplomate, sa connaissance de l’Allemagne, et la confiance de Pie XI, (qui meurt en 1939), en font le favori du conclave, qui l’élit peu avant le début de la seconde guerre mondiale le 2 mars 1939.

Il prend le nom de Pie XII

L’encyclique Summi Pontificatus

Pie XII donne le cadre théologique et diplomatique de ses prises de position dans sa première encyclique  Summi Pontificatus [2] du 20 octobre 1939.

Il y confirme les condamnations de Pie XI contre les différentes formes de racisme et de nationalisme ou de lutte des classes, dénonçant « l’oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien par la communauté d’origine et par l’égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu’ils appartiennent ». Il s’y dresse, mais sans les nommer, contre le nazisme, le fascisme mais aussi le communisme et le libéralisme sans Dieu [3] comme responsables de la guerre, qui n’apportera pas de solution (« l’esprit de la violence et de la discorde verse sur l’humanité la sanglante coupe de douleurs sans nom »).

L’encyclique cite la Pologne mais ne nomme et encore moins ne condamne ni Hitler ni Staline.

La guerre

Une position politique ambigüe

     La modération de langage si chère aux diplomates, devient ici une faiblesse. La Pologne ne souffre  pas. Elle est envahie et sa population asservie. De même pour les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la France.

     Le positionnement neutre [4] du Vatican revient de fait à protester contre les fascismes mais à collaborer avec eux, directement ou indirectement.

Pie XII et le génocide des Juifs

     Le pape Pie XI, dans les derniers mois de sa vie, avait commandé la rédaction d’une troisième encyclique, dans laquelle il entendait condamner clairement le racisme et l’antisémitisme, marquer une rupture cinglante avec le IIIe Reich, et appeler les catholiques à protéger les Juifs.
Mais cette encyclique, qui aurait pu changer le cours de l’histoire, restera inachevée.
     En pleine tempête mondiale, Pie XI meurt le 10 février 1939 et Pie XII, décide, sitôt élu, de mettre de côté cette ébauche d’encyclique et entreprend de rétablir des relations plus amicales avec le régime allemand.
On n’y reviendra plus.

     Le Vatican se borne à lutter, par l’intermédiaire de ses nonces, contre les lois raciales qui se multiplient en Italie, en Allemagne, dans les pays satellites comme la Hongrie, la Slovaquie ou la France de Vichy. Ces pressions, réelles, comme celles de Cesare Orsenigo, nonce à Berlin, n’impressionnent pas les autorités allemandes.

     Le 18 septembre 1942, Giovanni Montini substitut à la secrétairerie d’état (et futur Paul VI) lui écrit que « les massacres prennent des proportions effrayantes » et les diplomates américains, anglais, brésiliens, uruguayens, belges et polonais l’avertissent que le « prestige moral » du Vatican est sévèrement compromis par sa passivité face aux atrocités : ils joignent le rapport du bureau de Genève de l’Agence juive pour la Palestine pour convaincre le cardinal Luigi Maglione, secrétaire d’état du Vatican, qui leur avait répondu que les rumeurs n’étaient pas vérifiées.

     Après le rapport précis et accablant du Gouvernement polonais en exil à Londres sur l’extermination des Juifs sur le sol de la Pologne occupée [5] du 10 décembre 1942, toutes les nations alliées, condamnent officiellement l’extermination des Juifs par les nazis et annoncent que les responsables n’échapperont pas au châtiment.

     Harold Tittmann suggère au card. Maglione de faire une déclaration similaire. Le card. Maglione lui répond que le Vatican « ne peut dénoncer publiquement des atrocités particulières »

    Toutefois, devant ces faits et ces pressions, le 24 décembre 1942, dans son long message de noël radiodiffusé Pie XII évoque très brièvement « les centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive » et appelle à la paix [6].

« Jusqu’à la fin de la guerre, les interventions du Vatican ne manquent pas, mais elles passent toutes par le canal des chancelleries et des églises locales. Le monde avait besoin d’un prophète, mais c’est un diplomate qui a été élu à la tête de l’Église. Pie XII avait pour principe de ne couper aucun pont avec personne. Peut-on lui en faire grief ? Après guerre, dans les milieux juifs, des témoignages de personnes célèbres – Golda Meir, Albert Einstein, l’historien Pinchas Lapide – attesteront que cette stratégie d’interventions individuelles et discrètes ainsi que la mise en œuvre des réseaux d’assistance de l’Église étaient la seule solution possible et qu’elles ont permis de sauver des milliers de juifs. [7]»

     Le soucis principal de Pie XII et de son secrétaire d’état le Card. Luigi Maglione est plus la prise de pouvoir des communistes et l’arrivée des armées de Staline en Europe de l’ouest que le sort des Juifs, même si son attitude personnelle lors des neuf mois d’occupation allemande de Rome fut exemplaire. [8]

L’après seconde guerre mondiale

Les avancées œcuméniques sont surtout le fait des Eglises Protestantes, même si des voix catholiques individuelles se font entendre… et abondamment réprimé par Rome.

1948 Création du Conseil Œcuménique des Eglises (COE)

Le Conseil œcuménique des Églises a ses origines dans le mouvement œcuménique des xixe et xxe siècles, dont la Conférence missionnaire d’Édimbourg en 19104. En 1920, une lettre du Synode orthodoxe de Constantinople
invite à la création d’une organisation pour toutes les confessions chrétiennes.

     En 1937, les dirigeants de 100 Églises donnent leur accord, mais la Seconde Guerre mondiale freine le projet.

     En 1948, 147 confessions chrétiennes chrétiennes sont réunies pour la fondation du Conseil œcuménique des Églises et la première assemblée générale à Amsterdam [9].

     L’Église catholique, qui n’est pas membre du COE, a un statut d’observatrice

Vraies et fausses réformes de l’Eglise

     Vraies et fausses réformes de l’Eglise. Ce livre du dominicain Yves Congar raconte comment l’Eglise est en perpétuel état de réforme, pourquoi elle a besoin de se réformer en permanence. Et Congar ecclésiologue pense qu’il faut faire non pas une théologie de l’institution-Eglise dans la stratosphère, mais une étude de la communauté vivante des fidèles. Du coup il parle de la sainteté de l’Eglise, mais aussi des difficultés, des tentations, le pharisaïsme notamment.

     C’est un livre très audacieux, et pour un œcuméniste, un livre sans complaisance. Congar -malgré son admiration pour Luther (qu’il appelle « un des plus grands génies religieux de toute l’histoire »)- refuse la majuscule à la réforme de Luther. Et il étudie longuement la possibilité d’une réforme sans schisme.  Vraies et fausses réformes de l’Eglise (1950) vaut à Congar les pires ennuis, il est interdit d’enseignement, exilé à Jérusalem puis en Angleterre.

     Quand on regarde les dates, les contextes, on est frappé par la date de parution de Vraies et fausses réformes : 1950. C’est la sinistre « Année sainte » !

1950. L’Année Sainte ouvre une ère de glaciation et d’immobilisme farouche

     Une drôle d’année sainte.

De motione œcumenica

     On entre dans la deuxième mi-temps du règne de Pie XII : ère de glaciation et d’immobilisme farouche, qui commence en fanfare avec De motione œcumenica [10] du 20 décembre 1949 sur (contre) l’œcuménisme. Cette instruction du Saint-Office rappelle tous les dangers de l’œcuménisme et spécialement l’irénisme, qui « sous le faux prétexte que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous sépare » abîme, a ses yeux, la doctrine catholique.  L’instruction met en garde contre ces « conférences mixtes entre catholiques et non-catholiques », qui sont, dit-elle, bien utiles pour que les non-catholiques connaissent mieux l’Eglise romaine, mais qui « créent facilement pour les catholiques un grave danger d’indifférentisme ».

Humani generis

     Humani generis [11] est promulguée le 15 août 1950, concernant des « opinions et erreurs modernes menaçant de miner les fondements de la doctrine catholique ». Elle s’oppose notamment à la Nouvelle Théologie.

     La Nouvelle Théologie ou le Ressourcement est un courant de pensée catholique apparu durant les années 1930, qui exerça une influence déterminante non seulement sur le déroulement de Vatican II mais aussi sur ses conséquences. Ses principaux représentants sont Henri de LubacPierre Teilhard de ChardinHans Urs von BalthasarYves CongarKarl RahnerHans KüngEdward SchillebeeckxMarie-Dominique ChenuLouis BouyerJean DaniélouPierre GanneJean Mouroux et Josef Ratzinger futur pape Benoît XVI.

Elle prône un retour aux sources du christianisme, notamment à travers les Pères de l’Église, et prend ses distances avec l’hégémonie de la scolastique.

Les Prêtres-ouvriers[12]

   Au point de départ, un livre célèbre, La France, pays de mission ? des abbés Daniel et Godin dont la sortie en librairie le 12 septembre 1943 a, au dire des contemporains, éclaté comme une « bombe » dans le milieu catholique.

« [Votre livre] éclaire pour moi tout ce que je sentais confusément, écrit François Mauriac à Yvan Daniel. Peut-être n’osons-nous pas aller jusqu’à la conclusion logique : il faudrait que tout le vieux système saute. Il faudrait que des hommes mariés, s’ils sont ouvriers et saints, puissent être prêtres et distribuer le pardon et le corps du Seigneur à leurs camarades. Il faudrait une explosion formidable qui ferait sauter tout ce qui s’accumule depuis des siècles entre les pauvres et le Dieu des pauvres. Ce sont des vues humaines ; le Christ saura bien vous aider à faire la trouée. En tout cas, au milieu de tant de luttes, de victoires, de fatigues mortelles, redites-vous que vous êtes le Béni du Père, car vous donnez corps et âme à la seule cause qui vaille de vivre et de mourir [13] »

     Il y a des initiatives individuelles de prêtres ouvriers au début du xxe siècle: par exemple Charles Boland, ingénieur puis prêtre liégeois, descend à la mine de Seraing en 1921, Michel Lémonon devient mineur à Saint-Étienne en 1935. Ces prêtres sont confrontés à la déchristianisation et à la misère des ouvriers dans les villes à la suite de la révolution industrielle et en témoignent, et prennent parti.

     L’entre-deux-guerres voit la naissance de l’Action catholique, notamment la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) au sein de laquelle des aumôniers considèrent que la paroisse traditionnelle est devenue essentiellement bourgeoise : les prêtres, centrés sur les problèmes matériels, les exigences liturgiques et la pastorale des œuvres, se sont coupés du milieu ouvrier, perçu comme massivement déchristianisé.

Il appartient dès lors à des militants de les évangéliser tout en prolongeant cet engagement dans des structures syndicales, toujours au nom de leurs convictions religieuses.

En 1954 Pie XII sabote « l’expérience des Prêtres-Ouvriers », Jean XXIII l’achève.

     Désapprouvant la proximité croissante des Prêtres-Ouvriers avec le PCF et la CGT, (Toujours cette peur panique du communisme) Pie XII impose en 1954 de fortes restrictions à l’expérience en limitant la durée du travail à trois heures par jour et en interdisant l’engagement syndical.

(En 1959 Le pape Jean XXIII, très attaché à la conception traditionnelle du sacerdoce décide une suppression complète du travail en usine et étend cette mesure aux prêtres marins de la Mission de la mer.)

Yves Congar

     Vraies et fausses réformes de l’Eglise (1950) vaut à Congar les pires ennuis. Mais en même temps – et bien au-delà de l’anecdote –  le nonce à Paris, qui s’appelle Angelo Roncalli, s’est procuré ce livre de Congar, et il l’a lu et annoté… avec passion, parce que le livre raconte que ce n’est pas un péché de penser que l’Eglise catholique doive se réformer. Et cette idée-là touche beaucoup le nonce de Paris.

     Et puis un autre Monsignore, qui s’appelle Giovanni-Battista Montini, proto-secretaire d’état de Pie XII, a demandé personnellement à Congar de lui offrir un exemplaire du livre, parce que comme le livre est interdit et épuisé, on ne le trouve plus. Il veut le lire, et il le lit lui aussi, avec passion.

Fin de règne

A partir de 1954 la santé de Pie XII, physique et mentale va déclinant se reposant dans les mains d’un médecin indélicat et la prise de pouvoir d’une gouvernante toute puissante (Mère Pascalina) favorisent l’immobilisme des institutions

Les jugements des témoins s’en ressentent (pour un diplomate, il est « fatigué, pétrifié dans sa gloire » [14]). Dans ses dernières années, il est confronté à des visions, confiées au card. Tardini, dont une de Jésus citée par l’Osservatore Romano. Pie XII aurait eu trois fois dans les jardins du Vatican la vision du miracle du soleil de Fátima. Cela attire le propos ironique du cardinal Tisserant (« Que voulez vous, c’est de son âge »).

Il meurt le  9 octobre 1958

D’après Jean Guitton, il aurait dit de lui-même qu’il était « le dernier pape Pie », l’« ultime chaînon d’une longue dynastie ». Et c’est un jugement très pertinent. « Issue des modèles dépassés du XIXeme siècle, la centralisation romaine aura atteinte, sous son long règne de dix neuf ans, son appogée avec tous ses exès. Mais elle brille de ses derniers feux. Pie XII c’est à la fois l’apothéose et la fin d’une époque [15] »

Et puis vient le jour où Mgr Roncalli va s’appeler Jean XXIII
et Mgr Montini deviendra Paul VI.
Et les choses changeront enfin.
[3] NDLR : Le libéralisme « avec Dieu » serait-il plus acceptable ? Jen doute fort !
[4] De Gaulle définira Pie XII avec un respect non dénué de double sens : « sous la bienveillance de l’accueil et la simplicité du propos je suis saisi par ce que sa pensée a de sensible et de puissant. Pie XII juge chaque chose d’un point de vue qui dépasse les hommes, leurs entreprises, leurs querelles. Mais il sait ce que celles-ci leur coûtent et souffre avec tous à la fois. […] Pour lui tout dépend donc de la politique de l’Église, de son action, de son langage, de la manière dont elle est conduite. C’est pourquoi le Pasteur en fait un domaine qu’il se réserve personnellement et où il déploie les dons d’autorité, de rayonnement, d’éloquence que Dieu lui a impartis. Pieux, pitoyable, politique, au sens le plus élevé que puissent revêtir ces termes, tel m’apparaît, à travers le respect qu’il m’inspire, ce pontife et ce souverain » De Gaulle Charles, Mémoires de guerre : l’unité (1942-1944), vol. II, Paris, Plon, 1956.
[5] Le Rapport Raczynski. Note du ministre des Affaires étrangères Edward Raczynski du 10 décembre 1942, « The Mass Extermination of Jews in German occupied Poland, Note addressed to the Governments of the United Nations on December 10th 1942 » publiée ensuite (dès le 30 décembre 1942) par le ministère polonais des Affaires étrangères à l’attention du grand public, sous forme d’une brochure : https://www.projectinposterum.org/docs/mass_extermination2.htm .
[7] TINQ Henri art : Vatican : l’heure de vérité sur les silences de Pie XII dans Le Point.fr publié  le 01/03/2020 in  https://www.lepoint.fr/societe/vatican-l-heure-de-verite-sur-les-silences-de-pie-xii-01-03-2020-2365103_23.php#11 Voir aussi du même auteur : Ces papes qui ont fait l’histoire, Ed. Perrin Paris 2007 coll. Tempus, pp 235-242
[8] le cardinal Maglione assure que « l’avenir de l’Europe dépend d’une résistance victorieuse de l’Allemagne sur le front russe. L’armée allemande est le seul rempart possible contre le bolchevisme. Si celui-ci s’écroule, le sort de la culture européenne est scellé »in : FRIEDLANDER Saul,  L’Allemagne nazie et les Juifs 1939-1945 Chapitre IX. Octobre 1943-mars 1944,  Les années d’extermination., sous la direction de FRIEDLANDER Saul. Le Seuil, Paris 2008  coll. L’Univers historique, p. 665-736. URL : https://www.cairn.info/les-annees-d-extermination-l-allemagne-nazie-et-le–9782020202824-page-665.htm
[10]https://laportelatine.org/formation/magistere/instruction-de-motione-oecumenica  Le texte est signé du cardinal Marchetti-Selvaggiani (1871-1951)  ami personnel de jeunesse de Pie XII (qu’il était seul au monde à tutoyer) alors secrétaire du Saint-Office (n.b. jusqu’à la réforme de 1965, la congrégation est dirigée par un Secrétaire, c’est le pape qui est de jure le préfet) – et co-signé par l’assesseur Alfredo Ottaviani. Bref, l’aile marchante !  Pour comprendre dans quel climat tombe l’instruction, il faut aussi regarder l’important dossier publié quelques semaines plus tôt (DC n°1062, 12 février 1950, c. 199-226) – notamment l’article du Figaro (11 janvier 1950) intitulé « L’année du grand retour » signé par le Pasteur Boegner (l’un des six présidents du COE), en réponse au message de Noël radiodiffusé de Pie XII : https://www.vatican.va/content/pius-xii/it/speeches/1949/documents/hf_p-xii_spe_19491224_radiomessage-holy-year.html )
Tout en reconnaissant que l’appel de Pie XII est « d’une émouvante chaleur », Boegner rappelle que « l’émotion ne suffit pas » en la matière, et de constater que l’Eglise romaine se présente toujours comme la « détentrice exclusive de la vérité chrétienne », et que « toute exigence de vérité ressentie hors d’elle n’est à ses yeux que l’effet trompeur d’une orgueilleuse illusion ». Le printemps 1950 n’annonce guère d’été œcuménique.
[13] Cité dans : CUCHET Guillaume, Nouvelles perspectives historiographiques sur les prêtres-ouvriers (1943-1954) in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2005/3 (no 87), pages 177 https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2005-3-page-177.htm?contenu=article
[14] HILAIREYves-Marie. Histoire de la papauté : 2000 ans de mission et de tribulations. ed. Tallandier Paris, p 463
[15]TINQ Henri. Ces papes qui ont fait l’histoire. op. cit. p 248

XXVII Jean XXIII et l’ouverture au souffle de l’Esprit-Saint

Un diplomate atypique

On ne peut comprendre l’action du pape Jean sans se plonger, même superficiellement, dans son parcours.[1]

Angelo Giuseppe Roncalli est ordonné en 1904. Appelé à  la curie romaine en 1921,à la Propaganda Fide (future Congrégation pour l’évangélisation des peuples). Ayant fait un sermon sur « le nationalisme comme amour de la patrie » par opposition à une « militarisation de la nation », il apparait comme rétif à la ligne de dialogue avec Mussolini que suit alors Pie XI.

     Celui-ci s’en débarrasse en le nommant en 1925 archevêque, official puis délégué apostolique en Bulgarie.
Il arrive dans un climat tendu qu’il finira par apaiser en faisant appliquer un principe simple : « les bons sentiments vers nos frères séparés ne sont pas suffisants, si vous les aimez vraiment, donnez-leur le bon exemple et transformez votre amour en action ».
     Délégué apostolique en Grèce et en Turquie de 1934 à 1944, il joue un rôle important dans le sauvetage des réfugiés d’Europe centrale vers la Palestine pendant la guerre, des victimes du nazisme, juifs, surtout mais aussi membres du clergé venus de toute l’Europe et particulièrement de Hongrie et de Bulgarie.
Ces gestes, pour ceux qu’il nomme les “cousins et compatriotes de Jésus” auraient sauvé de 24.000 à 80.000 Juifs, ce qui justifie pour la fondation internationale Raoul Wallenberg de demander son inscription comme juste entre les nations.
    Pie XII choisit Roncalli comme Nonce apostolique en France en 1944 peut-être en signe d’agacement, montrant qu’il n’envoie pas à Paris un diplomate de premier rang[2]. Sur place cet « électron libre » agace et déconcerte, tant le gouvernement français que la curie romaine (qui peu à peu se réduit au seul bon vouloir de Pie XII).

Premier observateur du Saint-Siège à l’UNESCO, il est créé cardinal en 1953, au moment de son départ. ll reçoit la barrette de cardinal du président (socialiste) Vincent Auriol, qui en avait fait la demande, au titre d’un ancien privilège des souverains français. 😉 [3]

Il est nommé Patriarche de Venise la même année 1953. Il a 71 ans

A la mort de Pie XII, dont le pontificat monarchique a éclipsé la présence de personnalités fortes au sein du Sacré Collège, aucun successeur ne se dégage. Ils ne sont que 53 cardinaux à entrer en conclave le 25 octobre 1958. Après trois jours et dix tours de scrutin infructueux, le cardinal Roncalli, 76 ans, apparait comme un «pape de transition» idéal au terme d’un conclave cherchant à assurer un changement sans rupture.

Il est élu Pape de l’Eglise Catholique le 

Jean XXIII – 1958

Début du Pontificat

Deux jours après son élection, alors qu’il n’a pas eu connaissance des recherches d’ouvertures de concile des papes précédents, il exprime l’idée de rassembler un concile devant son secrétaire, Loris Capovilla, le 2 novembre 1958[4]

     Dès le début de son pontificat, il met l’accent sur l’aspect pastoral de sa charge ; c’est ainsi qu’il est le premier, depuis Pie IX, à sortir de l’enceinte du Vatican après son élection, ce qui lui permet d’assumer pleinement son rôle d’évêque de Rome.
Il prend solennellement possession de la basilique Saint-Jean-de-Latran le 23 novembre et visite les paroisses romaines.
Le 26 décembre il est le premier Pape Romain à rendre visite aux prisonnier de la prison romaine « Regina coeli »

Avant l’ouverture du concile

     Dès le 25 janvier 1959, jour de clôture de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, Jean XXIII achevant le tour des basiliques majeures de Rome convoque le collège des cardinaux et leur annonce la convocation d’un concile œcuménique en ces termes : « une invitation aimable et répétée à nos frères des Eglises chrétiennes séparées à participer avec nous à ce festin de grâce et de fraternité auquel tant d’âmes aspirent de tout les points de la terre[5] »

On ne peut pas dire que la nouvelle enthousiasme les 17 cardinaux présents !

Commission anté-préparatoires

    Le 17 mai 1959, le pape annonce la création d’une commission anté-préparatoire présidée par le cardinal secrétaire d’État. Les universités catholiques, les Sacrées congrégations et tous les évêques sont alors invités à exprimer leurs conseils et leurs vœux (consilia et vota) sur les sujets à aborder lors du concile.

     En un an, 76,4 % d’entre eux répondent (soit 2 150 réponses). Les principales demandes sont celles d’une meilleure définition du rôle des évêques, d’une clarification du rôle des laïcs dans l’Église et de la place que doit y tenir l’Action catholique. Beaucoup de réponses réclament la condamnation du marxisme, de l’existentialisme et du relativisme doctrinal et moral ( Sur les 84 évêques français qui répondent, une trentaine seulement se préoccupe de l’œcuménisme, pour les autres c’est un non-sujet[6]. Et quant aux évêques italiens, à part quelques-uns qui hasardent qu’il ne faudrait pas trop faire de définitions dogmatiques, notamment pour ne pas créer de nouvelles difficultés dans le dialogue œcuménique, les autres s’en moquent totalement, et sont beaucoup plus préoccupés de la manière dont le Concile pourraient renforcer les pouvoirs de l’ évêque et sanctionner les erreurs modernes, spécialement en matière de mœurs[6]. Bref, on est loin des préoccupations œcuméniques.)

Le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens

     Le jésuite allemand Augustin Bea[8] qui dans les années 50, c’était un grand professeur d’exégèse biblique à Rome, qui avait fait partie du brain trust de Pie XII, dont il était le confesseur est créé cardinal en décembre 1959 et quelques mois plus tard le premier président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens[9] qui est créé le 5 juin 1960. C’est la première fois que le Saint-Siège mettait en place une structure consacrée uniquement aux questions œcuméniques. Ce sera l’une des commissions préparatoires au Concile et aura pour résultat la présence de plusieurs dizaines d’observateurs d’Églises chrétiennes non catholiques

Encyclique Mater et Magistra

Mater et magistra[10] a été écrite à l’occasion du 70eme anniversaire de l’encyclique sociale Rerum novarum du pape Léon XIII. Il fait également référence à l’enseignement social du pape Pie XI dans Quadragesimo anno, et du pape Pie XII dans une émission de radio donnée le 1er juin 1941.
Elle se développe en quatre parties
    • Première partie : Les enseignements de l’encyclique Rerum novarum et ses développements opportuns dans le magistère de Pie XI et de Pie XII
    • Seconde partie : Précisions et développements apportés aux enseignements de Rerum novarum.
    • Troisième partie : Nouveaux aspects de la question sociale.
    • Quatrième partie : Renouer des liens de vie en commun dans la vérité, la justice et l’amour.
C’est une “mise à jour” “aggionamento” de la doctrine sociale de l’Eglise Catholique.

L’aggiornamento de l’Eglise Catholique, c’est précisément la feuille de route que le pape à fixée au concile à venir

[1] Je recommande pour ceux qui veulent aller plus loin la lecture du livre de Peter Hebblethwaite s.j. : Jean XXIII, le pape du concile (HEBBLETHWAITE Peter. Jean XXIII, le pape du concile. Bayard Editions, Paris 2000 pour l’édition française).
[2] De Gaulle, qui irritait Pie XII, avait exigé le remplacement de Valeri trop compromis avec Pétain
[4] HEBBLETHWAITE Peter. Jean XXIII, le pape du concile. Op.cit. p 338
[5]  Ce que la version officielle transformera en « une invitation renouvelée aux fidèles des communautés séparées à Nous suivre, eux aussi, aimablement, dans cette recherche d’unité et de grâce » in Documentation Catholique 1959, 388,  cité dans HEBBLETHWAITE Peter. Jean XXIII, le pape du concile. Op.cit. p 354
[6] Hilaire Yves-Marie. Les vœux des évêques français après l’annonce du Concile de Vatican II (1959). In: Le deuxième Concile du Vatican (1959-1965) Actes du colloque organisé par l’École française de Rome en collaboration avec l’Université de Lille III, l’Istituto per le scienze religiose de Bologne et le Dipartimento di studi storici del Medioevo e dell’età contemporanea de l’Università di Roma-La Sapienza (Rome 28-30 mai 1986) Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 101-117. (Publications de l’École française de Rome, 113)
[7]Certains évêques italiens sont sensibles aux détails : le Concile devrait interdire les « concours de beauté » et les « campings » qui ne favorisent pas la bonne tenue morale, comme chacun sait. (MOROZZO DELLA ROCCA  Roberto. I « voti » dei vescovi italiani per il Concilio. In: Le deuxième Concile du Vatican (1959-1965) Actes du colloque organisé par l’École française de Rome en collaboration avec l’Université de Lille III, l’Istituto per le scienze religiose de Bologne et le Dipartimento di studi storici del Medioevo e dell’età contemporanea de l’Università di Roma-La Sapienza. Op.cit. p 119-137 www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_act_113_1_3366 )
[8] Fait rare dans l’Eglise Catholique moderne, Augustin Béa est créé cardinal (1959) avant d’être ordonné évêque (1962) https://fr.wikipedia.org/wiki/Augustin_Bea

[10] https://www.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_15051961_mater.html


XXVIII  Le concile Vatican II_Ouverture (11 octobre 1962)

Le concile Vatican II est ouvert le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII devant 2540 patriarches, cardinaux, évêques, supérieurs majeurs. Cette cérémonie publique réunit les représentants de 86 gouvernements, organismes internationaux, et invités. Parmi eux, grande nouveauté, 53 « observateurs chrétiens » non catholiques représentant dix-sept Églises ou fédérations d’Églises ( qui assisteront aux travaux sans droit de parole ni de vote) ce qui en fait réellement, contrairement aux conciles précédents un évènement tourné vers le monde et non replié sur lui-même.

Le résultat sera la promulgation de deux constitutions dogmatiques : sur l’Eglise ( Lumen gentium) et sur la révélation divine (Dei verbum), une constitution sur la liturgie (Sacrosanctum concilium), et une constitution pastorale sur L’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et spes); 9 décrets dont un sur l’œcuménisme (Unitatis redintégratio) et 3 déclarations dont un su la liberté religieuse (Dignitatis humanae) et un sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes (Nostra aetate)

Dans sa présentation des textes du Concile Vatican II[1] Christoph Théobald donne l’architecture du travail accompli :

« Le corpus s’organise en fait autour de trois pôles :

     A première vue, la structure des textes semble être bipolaire : tendue entre I’Eglise et la société, entre la perspective «ad intra » et le rapport de l’Eglise « ad extra ». Mais une analyse plus détaillée met en évidence un troisième pole : il se situe en biais par rapport au plan ecclésiologique et sociétaire, avec des textes très controversés pendant le concile et postérieurement, sur la Révélation et sa transmission, la foi et la liberté de conscience (principalement la constitution Dei Verbum et la déclaration Dignitatis humanae).

     La manière de concevoir la relation à Dieu se répercute dans la manière de se rapporter aux autres. Vatican II est le premier concile à avoir envisagé systématiquement ce type de question en distinguant entre relations œcuméniques (décret Unitatis redintegratio), rapport aux religions non chrétiennes (déclaration Nostra aetate), rapport à  I’ athéisme, et présence dans la société moderne (constitution pastorale Gaudium et spes).

     Ces deux axes du corpus, !’axe théologal (ou axe vertical) et le plan des relations (ou axe horizontal), se croisent finalement dans l’Eglise, dans la conscience qu’elle prend d’elle-même (constitution Lumen gentium), inaugurant -peut-être pour la première fois- ce qu’on a appelé une conversion de l’Eglise, tout comme dans la redéfinition des rapports entre ses principaux acteurs (décrets sur le ministère des évêques et des prêtres, sur la rénovation de la vie religieuse et l’apostolat des laïcs)

Discours d’ouverture

Le discours d’ouverture prononcé par Jean XXIII à suscité peu de commentaires. Et pourtant :

« Il faut que, répondant au vif désir de tous ceux qui sont sincèrement attachés à tout ce qui est chrétien, catholique et apostolique, [la] doctrine [de l’Eglise catholique] soit plus largement et hautement connue, que les âmes soient plus profondément imprégnées d’elle, transformées par elle. Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration ; et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral.[3] »

 

Ce que le pape dit, contrairement à tout ce qui était affirmé jusque là, c’est qu’il ne faut pas absolutiser la forme. Et qu’il est urgent d’exprimer la doctrine catholique de façon compréhensible par tous. Le pape insiste sur le « caractère surtout pastoral » — plutôt que doctrinal — de l’enseignement du concile : l’Église doit chercher à enseigner le message du Christ à la lumière de l’évolution constante du monde contemporain.

AFP PHOTO / CHRISTOPHE SIMON
[1] VATICAN II. L’intégralité. Introduction de Christophe Théobald s.j. Coll. Bayard compact. Ed. Bayard Paris 2002. Introduction p V
[2] Réf : Groupe des Dombes : Pour la conversion des Eglises. Ed. Centurion Paris 1991, cité par Christoph Théobald in : VATICAN II. L’intégralité. Introduction de Christophe Théobald s.j. op. cit

XXIX Le concileVatican II_1ère session(13 octobre – 8 décembre 1962)

Les commissions

Le 13 octobre la première « congrégation générale » (réunion plénière de l’Église universelle) est présidée par le cardinal Tisserant, doyen du Sacré Collège. Se produit alors un «coup de théâtre», préparé par des échanges entre plusieurs archevêques représentatifs d’épiscopats européens, choqués par la mainmise des bureaux romains sur l’assemblée des évêques : les cardinaux Achille Liénart, de Lille, et Joseph Frings, de Cologne, contestent vigoureusement

le cardinal Liénart

la composition des commissions préparatoires et les méthodes de travail prévues par la curie romaine, qui conduisent à un simple enregistrement de textes préfabriqués : ils exigent que le concile puisse délibérer librement. À une immense majorité, les évêques décident alors par un vote de ne pas procéder comme prévu par les commissions préparatoires, mais de se consulter par groupes nationaux et régionaux, ainsi que dans des réunions plus informelles.

Pour débloquer le concile, les cardinaux Léon-Joseph Suenens, Giacomo Lercaro, et Julius Döpfner, trois des quatre modérateurs, semblent avoir été à l’origine d’un changement de procédure immédiatement accepté par Jean XXIII.

Le 16 octobre les commissions conciliaires sont élues à partir des listes proposées par les conférences épiscopales. La plus importante d’entre elles est celle présentée par « l’alliance européenne », constituée autour de la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche, les Pays-Bas et la Suisse : 80 % de ses candidats sont élus.

Schéma sur la liturgie

La discussion ne pose pas de problèmes majeurs sauf le barrage systématique du card Ottaviani sur l’usage de l’obligation du latin pour la liturgie. L’intervention du Patriarche Maximos IV marque les Pères conciliaires : « La valeur quasi absolue assignée au latin dans la liturgie, l’enseignement et !’administration de l’Eglise latine nous apparait, a nous, Eglise d’Orient, comme assez anormale. Le Christ, après tout, parlait la langue de ses contemporains.  [En Orient), la langue liturgique n’a jamais t’te un problème. Toutes les langues sont liturgiques, comme le dit le Psalmiste: « Louez le Seigneur, tous les peuples. »  Le latin est une langue morte tandis que l’Eglise est vivante, au contraire, et sa langue, véhicule de la grâce du Saint-Esprit, doit également être vivante car elle s’adresse a nous, êtres humains et non aux anges[1]»

Le schéma sur la liturgie est accepté comme base de discussion par 97% des votants

Schéma sur les sources de la Révélation

 Après avoir abordé le schéma sur la liturgie qui ne pose pas de problème majeur, les Pères examinent les cinq chapitres du schéma sur la Révélation.

C’est un sujet explosif : qui montre bien la prise de pouvoir du concile sur ses travaux et son ordre du jour

1 La théorie des deux sources
Depuis le concile de Trente il était admis que la Tradition était une source de vérités doctrinales à coté et a égalité, avec celles formulées dans le Nouveau Testament. Cette théorie des « deux sources » était domaine réservé du Pape et de la curie
2 l’inhérence des Ecritures
Toute l’Ecriture , dans tous ses détails, est dictée par Dieu aux auteurs et ne peut donc contenir d’erreur ni religieuse, ni profane
3 l’Ancien Testament
N’a de raison d’être que comme élan vers le Nouveau Testament
4 Le Nouveau Testament
Ils est historiquement vrai dans tous les faits, actes et paroles de jésus tels que rapportés dans les évangiles
5 Les Ecritures dans la vie de l’Eglise
Autorité de la vulgate considérée comme un élément de la Tradition

Les cardinaux Liénart, Frings, König rejettent le schéma. Léger, Alfrink ,demandent l’élaboration d’un nouveau texte.

     La perplexité envahit les Pères Conciliaires : si certains acceptent le schéma comme base de départ, d’autres le refusent carrément, jugeant sa problématique contraire à l’orientation œcuménique impulsée par Jean XXIII au concile.

Devant cette incertitude, le conseil de présidence propose, le 21 novembre, un vote sur l’acceptation du texte comme base de discussion. Mais la question est posée à l’envers : le texte doit-il être renvoyé en commission ?  La différence est importante, dans la mesure où la majorité des 2/3 est requise. Poser la question ainsi présuppose que le texte est a priori valable et que c’est aux adversaires de faire la preuve de leur nombre. Le résultat est ambigu : 60 % des Pères repoussent le texte. La majorité qualifiée n’est pas atteinte ; en principe, la discussion devrait continuer, malgré le désaveu mathématique.

     C’est alors que Jean XXIII décide de retirer le schéma et de confier sa refonte à une Commission mixte (Commission doctrinale – Secrétariat pour l’unité des chrétiens), réaffirmant ainsi l’orientation œcuménique initiale.

Ca peut sembler de la « magouille » interne. Mais c’est révélateur de ce qui va être le fonctionnement du concile pendant quatre ans : une lutte entre une minorité conservatrice[2]  et une majorité qui souhaite une ouverture sur le monde moderne[3]. Et derrière cette dispute, c’est œcuméniquement, la possibilité d’un dialogue avec « les hérétiques » (dixit la minorité) qui est en jeu.

Schéma sur l’Eglise

Début décembre, quand on en vient à examiner le schéma sur l’Église élaboré par la Commission doctrinale, plusieurs des Pères, dont le card. Montini, archevêque de Milan et futur pape, le jugent insuffisant.

Ce qui est en jeu est la conception même de l’Eglise. Le card. Ottaviani et le Saint-Office (ancien nom du dicastère pour la doctrine de la foi) défendent dans le schéma de Ecclesia une vision purement hiérarchique et cléricale ou les non-clercs sont appelés au mieux les fidèles, des ouailles, ou au pire le troupeau et n’on pas de rôle.

Le problème est qu’au cours du 20ème siècle l’Eglise à découvert les laïcs qui avaient acquis, principalement à travers l’Action Catholique et aussi grâce au travaux de théologiens comme Congar ou Philips,  une certaine visibilité. Et qu’il fallait en dire quelque chose d’intelligent. Ensuite vient la question des membres de l’Eglise. Il s’agit de situer les « autres chrétiens » dit « séparés »

Le card. König dans son intervention demande que soit ajouté un exposé sur « le Peuple de Dieu ». Mgr De Smet, rappelle avec force que « La hiérarchie dans l’Eglise n’est qu’un ministère, un moyen transitoire. La hiérarchie passera, mais le Peuple de Dieu lui, demeurera éternellement. Il souligna que tous les chrétiens jouissaient de la même dignité; le Pape lui même était un parmi les fidèles du christ[4] »

Ce schéma sera lui aussi renvoyé en commission pour être amendé

Bilan de la première session

Si le bilan de la première session est maigre – aucun texte n’a été voté –, l’entité conciliaire a commencé à prendre corps : les Pères ont noué des contacts les uns avec les autres et avec les observateurs chrétiens non catholiques.

     Surtout, face à la curie Romaine -et spécialement au card Ottaviani et son âme damnée Sebastiaan Tromp s.j. respectivement préfet et secrétaire du Saint Office, les Pères conciliaires ont pris leur autonomie et mis le concile sur les rails que Jean XXIII désirait. Les fruits sont à venir.

Dans son discours de clôture, le 8 décembre, Jean XXIII exprime le vœu de voir le concile achevé pour Noël 1963. (En fait in faudra attendre encore jusqu’en 1965)

[1]  O’MALLEY John W. L’évènement Vatican II. Ed Lessius. Bruxelles 2011 p 190
[2] Les membres de la minorité sont davantage soucieux de conserver le dépôt de la foi dans son intégrité. Ils sont très sensibles aux « dangers » que font courir à celle-ci les « erreurs modernes » que sont le marxisme, l’évolutionnisme et le laïcisme. Ils dénoncent une tendance au relativisme dans le mouvement œcuménique et dans les invitations à accepter la légitimité du pluralisme dans l’Église.
     Ses leaders sont les cardinaux Alfredo OttavianiGiuseppe SiriErnesto RuffiniMichael Browne. Il faut aussi mentionner l’évêque de Segni, Carli, et le supérieur des Spiritains, Marcel Lefebvre. Les membres de la minorité se retrouvent au sein du Coetus Internationalis Patrum.
     L’action de la minorité a donné lieu à des critiques, notamment pour certaines pratiques d’obstruction. Mais il faut noter qu’il s’agissait pour ses membres d’une question de conscience. Dans la mesure où les membres du concile ont toujours souhaité parvenir à un consensus général, de nombreux textes présentent des formules de compromis, dont l’ambiguïté nuit à la qualité
[3] Pour cela ils préconisent, entre autres, une plus grande liberté pour la recherche théologique et exégétique, une plus grande confiance dans le laïcat chrétien, un style de gouvernement moins administratif et plus évangélique et une participation effective des évêques diocésains à la direction de l’Église.
     Ses leaders sont les cardinaux Giacomo LercaroLéon-Joseph SuenensJulius DöpfnerJoseph FringsFranz KönigBernard Jan Alfrink et le patriarche Maximos IV.
[4]PEDOTTI Christine. La bataille du Vatican. 1962-1965. Plon Paris 2012 p 190

XXX Le concile Vatican II_Inter session  1962 – 1963

Le travail des commissions

La commission centrale

 
     Deux problèmes liés apparaissent : La nomination par le pape des cardinaux-préfets à la tête des commissions correspondant à leur dicastères et le nombre élevé de documents produits par ces commissions.
La commission centrale va jouer le rôle de « super commission » avec comme rôle de faciliter la mise en œuvre de l’agenda, résoudre les conflits entre responsables de commissions et veiller à ce que les documents produits soient conformes aux objectifs fixés par Jean XXIII lors du discours d’ouverture[1]
     La préparation des sessions ultérieures commence et le nombre de schémas réduit de 70 à 17[2].

La commission mixte

    
     Crée à la grande consternation du card Ottaviani et des membres de la commission théologique, la commission mixte crée par ordre du pape et réunissant à parité des membres de la commission théologique et des membres du secrétariat pour l’unité des chrétiens se réunit une première fois en février 1963 pour reprendre le schéma sur la révélation.
     L’attitude et les propos du card Ottaviani sont tellement outrageants que la discussion est renvoyée en commission de coordination dirigée par le cardinal secrétaire d’état Cicognani qui rend son avis le premier mars : si la commission mixte ne trouvait pas d’accord il faudrait un concertation des présidents Ottaviani et Béa pour sortir de l’impasse.  C’était indiquer -sans le dire- que l’avis de la commission théologique et de son président ne pouvait prévaloir ni de fait, ni en droit, et que le concile était libéré de la tutelle du Saint-Office.
     Cela aura une grande importance pour la suite.
     Le card. Lefebvre (évêque de Bourges) enfonce le clou en déclarant « Qu’il me soit permis de demander que ce pouvoir dont ils [les membres des Congrégations romaines] ont acquis forcement l’habitude – ce qui se comprend facilement -, ils l’exercent de manière plus effacée et même qu’ils l’abandonnent afin d’être, au concile, évêques avec leurs frères dans l’épiscopat, recherchant soigneusement, fraternellement avec eux, sous l’autorité du souverain pontife et avec !’aide de !’Esprit-Saint, la vérité qui libère et le bien de l’Eglise[3]. »

Encyclique Pacem in Terris

    Le 11 avril 1963, Jean XXIII publie l’encyclique Pacem in terris[4], qui utilise la notion de signes des temps, compris comme signes de la présence continue et efficace de Dieu dans l’histoire des hommes. Cette notion se retrouvera dans la constitution Gaudium et Spes.

C’est en quelque sorte le testament spirituel de Jean XXIII.

A sa lecture U-Thant, secrétaire général de l’ONU se déclare « bouleversé, Kennedy et Kroutchev affirment l’avoir découvert avec le plus grand intérêt[5].

     Pacem in Terris est la première encyclique qu’ un pape n’adresse pas aux seuls catholiques mais plutôt « à tous les hommes de bonne volonté ».

En plein contexte de guerre froide, le pape explique que les conflits « ne devraient pas être résolus par les armes, mais plutôt par la négociation (93)». Il souligne l’importance du respect des droits de l’homme comme conséquence essentielle de la compréhension chrétienne de l’être humain. L’encyclique établit clairement que «… chaque homme a le droit de vivre, à l’intégrité physique, et aux moyens de subsistance nécessaires à un développement de vie correct…(11) ».

Le droit à émigrer est proclamé, venant confirmer solennellement un texte antérieur (Exsul Familia, 1952[6]) de Pie XII : « Tout homme a droit à la liberté de mouvement et de séjour à l’intérieur de la communauté politique dont il est citoyen ; il a aussi le droit, moyennant des motifs valables, de se rendre à l’étranger et de s’y fixer. Jamais l’appartenance à telle ou telle communauté politique ne saurait empêcher qui que ce soit d’être, comme membre de la famille humaine, citoyen de cette communauté universelle où tous les hommes sont rassemblés par des liens communs. (25)». Il s’agit donc pour le pape d’un droit humain fondé sur l’idée de fraternité universelle.

De même, le devoir pour les entreprises de ne pas forcer des populations à émigrer en masse pour trouver du travail ailleurs est souligné: « Nous estimons opportun que, dans toute la mesure du possible, le capital se déplace pour rejoindre la main-d’œuvre et non l’inverse. Ainsi, on permet à des foules de travailleurs d’améliorer leur condition sans avoir à s’expatrier, démarche qui entraîne toujours des déchirements et des périodes difficiles de réadaptation et d’assimilation au nouveau milieu.(102)   »

Le pape distingue trois traits qui caractérisent son époque, qu’il appelle signes des temps : « la promotion économique et sociale des classes laborieuses, l’entrée de la femme dans la vie publique, et plus de peuples dominateurs et de peuples dominés. (40-42) »

C’est une encyclique à relire d’urgence pour le monde d’aujourd’hui.

Mort de Jean XXIII et élection de Paul VI

      À l’issue d’une longue agonie, et au terme d’un court pontificat de presque cinq ans, Jean XXIII meurt dans la soirée du 3 juin 1963 au Palais apostolique, le Lundi de Pentecôte, à l’âge de 81 ans.

De fait, en vertu de la Constitution Apostolique Vacantis Apostolicae sedis[7] le concile est suspendu en attente de la décision du nouveau pape de poursuivre ou non.

En 1958 les cardinaux avaient élu un « pape de transition » et ils ne se doutaient surement pas à quel point ils avaient raison…et tord ! Ils ont élu Roncalli parce qu’il ne pouvaient encore élire Montini. Mais en fait -encore une surprise de l’Esprit-Saint-  ils ont élu l’avenir de l’Eglise en croyant transiger avec son passé. Le monde entier s’est ému, à la grande surprise de fonctionnaires de la curie romaine. Congar écrira dans ses mémoires : « Tout le monde a eu le sentiment, en Jean XXIII, de perdre un père, un ami personnel, quelqu’un qui pensait à lui et qui l’aimait [8]»

Paul VI

     Le 21 juin 1963, le cardinal Giovanni Battista Montini, archevêque de Milan, est élu pape par les 80 cardinaux présents (soit la totalité du Sacré Collège) sous le nom de Paul VI[9] en référence bien sûr à st Paul, apôtre des nations.

Carrière

     C’est un proche (très proche) de Jean XXIII[10] avec une longue carrière au sein du Vatican jusqu’à devenir le substitut pro-secrétaire d’État de Pie XII. Ce qui ne signifie pas qu’il adopte les points de vue de ce dernier[11].

     Il est ordonné et nommé archevêque de Milan en 1954. « Bien que le siège archiépiscopal de Milan soit considéré comme illustre, Montini ressent cette nomination comme une sanction et il n’a peut-être pas tord : Selon certains, Pie XII lui aurait « suggéré » de renoncer à cette promotion, probablement parce qu’il ne voulait pas de lui comme successeur. Quelques auteurs, dont Jean Guitton, l’ont en effet affirmé. Le philosophe et ami de Montini dira plusieurs décennies plus tard : « Il y a des choses que je sais et qui sont difficiles à dire. Il est certain que ce fut dramatique. À un certain moment, Pie XII a conçu pour Montini de la défiance. Il a compris que c’était son devoir d’empêcher Montini de devenir pape[12]»

     Plusieurs prises de position politiques lui sont en effet reprochées au sein même de la secrétairerie d’État. De plus, il adopte des positions différentes du Saint-Siège, quand il défend sans ambigüité le livre Vraie et Fausse Réforme de l’Église d’Yves Congar ou encore quand il dit à Marcel Lefebvre que l’Église ne doit pas condamner « Réarmement moral », organisation pourtant critiquée par le Saint-Office en 1955. Enfin, quand Alcide de Gasperi était président du Conseil, Montini l’encouragea discrètement, en contradiction avec les instructions de Pie XII, à se rapprocher du Parti Socialiste Italien, dirigé par Pietro Nenni, pour éloigner ce dernier des communistes.

     Au concile, après s’être montré plutôt discret[13] Mais le 5 décembre il s’associe au card Suenens pour demander que tout le travail conciliaire soit centré sur l’Église « ad intra et ad extra »

Reprise et réorganisation du concile

 

Paul VI annonce, dès le lendemain de son élection, qu’il souhaite voir le concile se poursuivre et reprendre ses travaux le 29 septembre 1963, jour de la St Michel Archange.

Il en modifie la structure : par la nomination des modérateurs, Paul VI peut sembler ôter au Conseil des présidents tout service actif. Rien n’est moins vrai. En réalité, il lui adjoint trois nouveaux membres et il lui donne la responsabilité de faire en sorte que le règlement soit observé et que toute difficulté qui pourrait surgir à son sujet soit résolue. Dans le même temps, il confirme le card. Felici dans sa fonction de secrétaire général.

Lorsque le Concile s’ouvrit a nouveau, les quatre modérateurs avaient également été nommés membres de la Commission de coordination, une nomination qui facilite la communication et la coordination entre les deux organes. Trois modérateurs sont parmi les chefs de file de la majorité: Dopfner, Lercaro et Suenens.

[1] O’MALEY John W. L’évènement Vatican II. Ed Lessius Bruxelles 2011.
[2] « Quelques jours après, le 4 décembre 1962, le cardinal Suenens, interprétant les désirs de nombreux Pères et aussi celui du pape, demandait que tout le travail conciliaire soit centré sur l’Église ad intra et ad extra (cf. AS, I, iv, 222). C’était équivalemment demander une révision du programme, qui était déjà à l’étude. Le lendemain, 5 décembre, un fascicule était distribué aux Pères. Il donnait le sommaire de vingt projets de schémas, en précisant que ces derniers devaient être étudiés par les Commissions conciliaires de manière à être ramenés en cas de besoin à des principes généraux, et unifiés lorsqu’ils traitaient du même sujet » in : LEFEUVRE G. Les Actes du Concile Vatican II (suite). In: Revue théologique de Louvain, 11ᵉ année, fasc. 3, 1980. pp. 339.En ligne : www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1980_num_11_3_1781 Consulté 15/03/2024
[3] PEDOTTI Christine. La bataille du Vatican. Plon Paris 2012 p 209
[5] TINCQ Henri. Ces papes qui ont fait l’histoire, Ed. Perrin Paris 2007 coll. Tempus p 277
[8] Cité in : PEDOTTI Christine. La bataille du Vatican. Plon Paris 2012 p 220
[10] Il est le seul cardinal invité à loger au Vatican durant la première session du concile
[11] Un exemple permet de mieux comprendre le rôle d’intermédiaire joué par le card. Montini dans son rôle de substitut : le père Yves Congar et le père Féret publient dans La Maison-Dieu un article critiquant la nouvelle traduction latine du psautier engagée par Pie XII. Recevant le père Congar le 21 mai 1946, Montini dialogue avec lui sur ces critiques puis sur les thèses d’avant-guerre du père relatives à l’œcuménisme, jugées suspectes par Rome. Montini transmet aux dicastères compétents des dossiers, envoyés par le père Congar, sur l’œcuménisme. Il apporte aussi son soutien au père Henri de Lubac, théologien controversé depuis son ouvrage Surnaturel. En 1948, il réussit à convaincre Pie XII de recevoir en audience Bruno de Solages, recteur de l’Institut catholique de Toulouse, suspecté d’approuver les idées du père Teilhard de Chardin. Le 1er septembre de la même année, il épargne de l’Index le livre de Maxence Van der Meersch, La Petite Sainte Thérèse. Puis, en mars 1949, il reçoit le frère Roger Schutz et Max Thurian, responsables de la Communauté de Taizé, pour entamer avec eux un dialogue œcuménique et préparer leur audience prochaine avec le pape.
[13] TINCQ Henri. Ces papes qui ont fait l’histoire. Op. cit. p 284

XXXI  Le concile Vatican II_2ème session (29 septembre – 4 décembre 1963)

Dans les mois qui précédent la tenue de la deuxième session plénière, Paul VI invite notamment d’autres observateurs laïcs catholiques et non-catholiques, avant de supprimer l’exigence du secret qui prévalait lors des sessions plénières.

La Curie

Le 21 septembre Paul VI réunit les membres de la curie, et leur parle avec chaleur de leur rôle de façon élogieuse. Il fait état cependant de trois points délicats à améliorer :

  1. La Curie aura à accepter que les évêques résidentiels jouent un rôle plus actif dans les congrégations
  2. Il attend que la Curie coopère avec le concile
  3. Il estime raisonnable que la curie se réforme et transforme son mode de fonctionnement.

Il laisse entendre qu’il retire la réforme de la curie de l’agenda du concile et attend des proposition de la curie elle-même[1].

 

Discours d’ouverture

Le pape annonce et présente son projet d’encyclique sur l’Eglise[2], réaffirme la nature pastorale du concile et l’importance de l’aggionamento. Il demande pardon aux « frères séparés » pour les blessures que l’Eglise Catholique leur auraient infligées, et les assure du pardon de leurs offenses. Enfin il assure que l’Eglise regarde le monde avec bonté[3]

Il ressort clairement que conformément au souhaits des pères de la majorité l’Eglise sera le thème majeur du concile

La 2ème session

Pendant cette session, les pères conciliaires approuvent la constitution Sacrosanctum Concilium sur la liturgie (par un vote de 2147 voix contre 4) ainsi que le décret Inter Mirifica sur les moyens de communications de masse.

Schéma sur l’Eglise

     Les travaux avancent sur les schémas traitant de l’Église, réduit de 11 à 4 chapitres : le mystère de l’Eglise, sa constitution hiérarchique, le Peuple de Dieu et l’appel à la sainteté auquel in fine s’ajoutera un chapitre sur la Vierge Marie. Il s’ouvre sur les mots qui vont le désigner : Lumen gentium (Lumière des nations). Les chapitres sur l’œcuménisme, l’évangélisation, la vie religieuse, les relations Eglise-états ont été retiré pour être traités ailleurs. Les chapitres sur le magistère, l’obéissance et l’autorité disparaissent du concile en tant que thèmes distinct. Et le texte s’appuie sur des références bibliques abondantes.

Le mystère de l’Eglise

     La question est œcuménique : l’Eglise Catholique est-elle, à elle seule, l’Eglise du Christ ? Les deux premières versions du document l’affirment. Cependant la manière de dire les autres communauté chrétiennes évolue. Une certaine communion est reconnue qui permet le salut. « nos frères séparés font partie de l’Eglise d’une façon voulue par le Christ ». Les versions ultérieures vont plus loin affirmant « que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ (LG 8) »

Sa constitution hiérarchique

     La proposition de réinstaurer un diaconat permanent et de l’ouvrir aux hommes mariés fait débat.

     L’autre point important est la personne de l’évêque qui n’a pas été réglé au concile Vatican I. L’évêque est  institué, jusqu’à Vatican II, dans un célébration appelée « consécration » sans qu’on sache si elle conférait un ministère ou une dignité ecclésiastique. En simplifiant est-il pasteur ou préfet ? Avec la dernière version du schéma les choses sont claires : l’évêque est ordonné. La consécration épiscopale est la plénitude du sacrement de l’ordre (contrairement au concile de Trente qui mettait l’accent sur le sacerdoce presbytéral) De même les trois missions de l’évêque : Enseigner, sanctifié et gouverner la partie du Peuple de Dieu qui lui est confiée, il exerce ce gouvernement de plein droit en communion avec les autres évêques et non comme délégué par le Pontife romain.

     Ce principe de collégialité va être attaque par le card. Ruffini et la minorité prétextant que le Christ à confié l’Eglise à Pierre seul. Suite à diverses magouilles des conservateurs[4] le vote sur le chapitre II est retardé d’une quinzaine de jours mais le résultat est sans appel en faveur du texte (moins de 10% contre)

     C’est le card. Ottaviani qui va déclencher l’affrontement le plus violent du concile : La question la plus importante, celle de la relation entre l’assemblée et les commissions, n’était toujours pas résolue, du moins pas dans la tête d’un certain nombre d’acteurs des du Concile. Le 8 novembre, soit huit jours après le vote, Ottaviani rappela aux pères que la valeur de celui-ci était purement «indicative», en d’autres termes, que la Commission disposait de l’autorité nécessaire pour en faire ce qu’elle voulait. II leur rappela, en outre, que la Commission était l’organe compètent pour trailer ces matières et que les pères eux-mêmes avaient élu ses membres pour qu’ils conseillent le Concile sur les sujets pertinents en matière de dogme et de foi catholiques. « Pourquoi, demanda-t-il, les modérateurs n ‘avaient-ils pas soumis leurs «points» à [‘examen de la Commission doctrinale, avant d’aller plus loin le 14 octobre ? »[5].

     C’est le card. Frings qui répondit : D’abord, il avait défendu les décisions du concile : « Le vote du 30 décembre est parfaitement clair, quoique seulement indicatif, et je m’étonne que le cardinal Browne, vice-président de la commission de théologie, ait pu mettre cela en doute. La commission n’ a rien d’autre a faire qu’a exécuter et a obéir au concile. Elle n’a pas de nouvelles vérités à inventer. Elle n’est qu’un instrument dont l’unique raison d’être est de suivre la volonté exprimée par le concile. » A ce moment déjà, le cardinal avait été interrompu par des applaudissements nourris. Et il continuât en s’en prenant directement au Saint-Office Office (qui portait avant 1908 le nom de Sainte Inquisition romaine et universelle), et en pointant les condamnations prononcées sans explications : « Personne ne doit être jugé et condamné sans être entendu, sans savoir ce qu’on lui reproche et sans avoir la possibilité de corriger ce qui peut lui être reproché…/…Le mode d’action du Saint-Office qui ne convient plus du tout à l’époque actuelle, et est cause de scandale dans le monde ».

     Le cardinal Ottaviani réclamait la parole pour répondre lui-même à l’accusation qui était portée contre ses services et contre lui.  Il commença : « Je proteste au plus haut point contre ce qui vient d’être dit, sans doute par ignorance – pour ne pas employer un autre terme contraire a la charité… »  Et vint immédiatement !’argument d’autorité : « En attaquant le Saint-Office, on offense le pape qui en est lui-même le préfet. » Et d’ajouter sur le fond, i.e. sur la collégialité : « Si l’on définit la collégialité de l’épiscopat alors qu’il n’est pas prouvé que le collège des apôtres ait agit en tant que tel en dehors du concile de Jérusalem, alors on porte atteinte à la primauté de Pierre.[6] »

     L’intervention d’Ottaviani, en particulier sa réprimande publique des modérateurs, fâcha beaucoup d’ évêques, au point de les amener a considérer en privé la possibilité de lui retirer la fonction de président de la Commission. Des membres de celle-ci firent même parvenir à Paul VI une pétition pour qu’ Ottaviani soit remplacé, mais rien ne fut entrepris en ce sens.

Le Peuple de Dieu :

     Le paragraphe introductif exprime la philosophie du chapitre : » Les pasteurs n’ont pas été institués comme tels pour assumer à eux seuls toute la charge do corps mystique du Christ, mais bien pour nourrir et conduire les fidèles de telle sorte que chacun à sa façon et selon son ordre apporte son concours à l’œuvre commune »

Que les laïcs participent à la mission du Christ sembla à certains relever de l’ « hérésie protestante » Le card Ruffini et le clan conservateur se révélaient peu capable de se hisser au niveau de « l’évènement Vatican II » et menaient une guerre de tranchée perdue d’avance pour que soit préservée et conservée la « tradition [7]»

L’appel à la sainteté :

     Comme on peut l’imaginer cela ne posa pas de problème particulier. Le souhait de l’abolition du régime d’exemption de certains ordres religieux masculin sera réalisé dans le code de droit canonique de 1983.

La vierge Marie :

     Un point sensible, pas encore abordé, va être la place du schéma sur la Vierge Marie. Doit-il garder un statut indépendant ou doit-il être inclus dans la constitution sur l’Eglise ? l’inclure équivalait pour les plus mariolâtres faire affront à Marie, lui garder un statut indépendant revenait à lui donner plus de place qu’a la Trinité…

     Un premier schéma avait été préparé avant le Concile, intitulé La bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère des hommes. Il devait primitivement faire partie du schéma sur l’Église, puis fut érigé en schéma séparé. Le conseil de présidence chercha à faire voter ce texte assez précis sur la médiation de Marie, la Co-rédemption, la virginité « in partu » , bref un texte qui était loin d’être « œcuménique », à la fin de la première session du Concile et à l’occasion de la fête du 8 décembre 1962.
     Mais l’Assemblée réagit négativement: les Pères redoutaient la dogmatisation hâtive de formules nouvelles. Ils préférèrent passer en priorité au débat sur l’Eglise.
     Lors de la deuxième session, en 1963 et au cours du débat sur l’Eglise, le problème de la place du document consacré à Marie se posa à nouveau. Une question fut soumise aux votes des Peres: «Vous plait-il de faire du schéma sur la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, le dernier chapitre du schéma sur l’Eglise ?» Aussitôt deux cardinaux plaidèrent successivement le contre (Santos, de Manille) et le pour (König, de Vienne).
     Le sens de la question était le suivant : voter pour, c’était souligner que la Vierge appartient au corps de l’Eglise, la « relever de son excommunication ecclésiale », disait-on avec humour dans les couloirs ; c’était aussi stopper les tendances inflationnistes de la mariologie spécialisée; voter contre, c’était juger qu’une telle intégration de Marie à l’Eglise la ravalait au niveau des autres chrétiens, entreprise minimisante, car Marie « transcende » l’Eglise.
     Une propagande intense, et parfois même passionnelle, se développa jusqu’au moment du vote qui donna le résultat suivant : pour 1 114 voix ; contre 1 074.
     Le Concile se trouvait donc coupé en deux à 40 voix de différence. Ce fut la consternation, comme l’année précédente à propos du schéma sur la révélation. II y eut des larmes. Ce vote manifestait cependant une large volonté de porter un coup d’arrêt au mouvement marial tel qu’il se développait jusqu’alors, au bénéfice d’une théologie mariale ressourcée, plus sobre, plus biblique et rapportée au mystère du salut.
     Une commission de conciliation fut alors nommée, qui se trouvait d’ailleurs en présence de divers contre-projets.
     A la fin de la deuxième session, Paul VI donna les indications suivantes dans son discours de clôture : il convient d’intégrer Marie au schéma sur l’Église ; mais il faut aussi manifester son éminence par rapport A l’Église, en la proclamant «Mère de l’Eglise » (ce que le Concile se refusera de faire) ; on doit enfin viser à retrouver l’unanimité conciliaire.[8]

     C’est ainsi que fut abandonnée l’idée d’un texte isolé au profit de la rédaction d’un chapitre consacré à la mère de Jésus dans la constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium (LG).

L’ œcuménisme

     Le 18 novembre le schéma sur l’œcuménisme est débattu dans l’aula. Il comporte cinq chapitres : 1) Principes catholiques de l’œcuménisme. 2) Pratique de l’œcuménisme. 3)Chrétiens séparés de l’Eglise Catholique. 4)Attitude catholique envers les non-chrétiens et en particulier les Juifs. 5) A propos de la liberté religieuse.
     La discutions sur les chapitres 4 et 5 est reportée
     Le schéma est présenté par Mgr Martin, évêque de Rouen, avec émotion. Les différents chapitres seront abondements amendés, mais sans jamais en modifier le sens. Il sera voté à la session suivante sous le titre Unitatis redintégratio
     Le concile Vatican II a notamment pour but de promouvoir l’unité des chrétiens. Les divisions des chrétiens sont l’objet de scandale pour le monde et cette division s’oppose à la volonté du Christ et à la prédication de l’Évangile. Le mouvement œcuménique est une aspiration légitime pour une Église unie de tous les chrétiens.
     Le texte final affirme que l’unité des chrétiens a été voulue par Dieu lui-même. C’est le sens de Jn 17, 21.

Principes catholiques de l’œcuménisme.

« In Unum Sint » : le Nouveau Testament exige l’unité pour répandre la bonne nouvelle. Comme il n’y a qu’un seul corps et un seul esprit, tous deviennent un dans le Christ par le baptême dans une seule Église.
Les schismes et les scissions sont condamnés par saint Paul dans les épîtres aux Corinthiens. Les différences doctrinales et hiérarchiques n’empêchent pas la fraternité baptismale et eucharistique des catholiques, orthodoxes et protestants en Orient et en Occident.
Étant donné que, sous le souffle de la grâce de l’Esprit saint, beaucoup d’efforts s’accomplissent par la prière, la parole et l’action pour arriver à la plénitude de l’unité voulue par Jésus Christ, le saint Concile exhorte tous les catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre une part active à l’effort œcuménique. La charité et la sollicitude sont aussi encouragées. Le dialogue permet la compréhension et l’estime entre communautés. Il faut aussi reconnaître la catholicité du patrimoine commun entre catholiques, orthodoxes et anglicans.

Pratique de l’œcuménisme.

     Le besoin de parvenir à l’unité implique une rénovation de l’Église, ce qui a une grande valeur œcuménique. L’œcuménisme amène nécessairement une conversion du cœur et requiert la prière en commun. Ne pas accomplir l’unité veut aussi dire de ne pas reconnaitre ses péchés (cf. 1 Jn 1, 10).
     Une autre exigence de l’œcuménisme est la reconnaissance de l’histoire, de la culture et de l’état des frères séparés. La théologie et la formation du clergé doivent aller dans ce sens. L’explication de la foi catholique doit être profonde et ordonnée, et surtout accessible au langage des frères séparés.
     Par la collaboration œcuménique, l’union des chrétiens est déjà exprimée et peut servir comme remède aux maux contemporains comme la pauvreté, la misère et l’absence de logements.

Chrétiens séparés de l’Eglise Catholique.

Il y a eu des divisions en Orient à la suite du concile de Chalcédoine et du concile d’Éphèse, puis vint le grand schisme en 1054.

En Occident, la Réforme protestante a créé des communions nationales et confessionnelles sur des questions doctrinales plus sérieuses. La Communion anglicane est la plus catholique des Églises réformées.

Les Églises et communautés ecclésiales séparées en Orient
L’Orient a des Églises particulières qui conservent leurs rites liturgiques honorables. Le message oriental mérite la considération universelle.
L’Orient a une grande richesse spirituelle qui s’exprime notamment par les hymnes, la tradition sainte et le monachisme. Une longue succession apostolique est respectée et les orientaux communient dans la concélébration de l’Eucharistie dans un vrai sacerdoce.
Les règles particulières des Églises d’orient ne sont pas en conflit avec l’Église de Rome. Leur diversité culturelle est héritière des Pères de l’Église. Le concile recommande aux catholiques romains d’établir des relations avec les orientaux établis en Occident.
Les Églises et communautés ecclésiales séparées en Occident

Les différences entre l’Église catholique et les Églises protestantes sont importantes. La croyance en Jésus Christ est cependant commune. Le rôle des Saintes Écritures est important, mais il existe une différence sur le lien entre Église et Écritures. Seul le sacrement du baptême est commun. Ils reçoivent des grâces et leur foi au Christ produit des fruits

Comme d’habitude le card. Ruffini sonne la charge : 1°) Le Christ n’a fondé qu’une seule Eglise, et elle est Catholique Romaine. 2°)Les fautes ne sont pas à attribuer à l’Eglise en tant que telle, mais à ses membres. 3°) Quitter l’Eglise à cause des pécheurs en son sein est péché en soi. 4°) La seule vraie Eglise espère le « retour » des protestants. 5°)Le dialogue avec les non-catholiques n’est bon que s’il suit les directives du Saint-Siège.

La suite du débat est reporté à la troisième session

Fin de la 2èmè session. Discours de clôture de Paul VI

     La deuxième session s’achève le 4 décembre par la promulgation de la constitution sur la liturgie « Sacrosanctum concilium » en ces termes : « Tout l’ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans cette Constitution ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulgué pour la gloire de Dieu.
Rome, à Saint-Pierre, le 4 décembre 1963.
Moi, Paul, évêque de l’Église catholique. »

Ainsi le Pape se situe comme un évêque parmi ses pairs au sein du collège épiscopal, détruisant ainsi toute contestation possible de la collégialité de la part de la minorité

Dans son discours de clôture, Paul VI annonce son intention de se rendre à Jérusalem. C’est la première fois depuis plus de cinq cent ans qu’un pape quittera l’Italie. C’est en janvier 1964, sur les lieux supposés de la Passion du Christ, qu’il rencontrera le patriarche Athénagoras.

[1] Et c’est peut-être adroit vis-à-vis de la curie, mais maladroit vis-à-vis du concile. Cette tendance « interventionniste » de Paul VI traduit son besoin de contrôler, différent de Jean XXIII qui faisait plus confiance à l’action de l’Esprit-Saint.
[2] Ecclésiam suam qui sera présentée le 6 aout 1964. Ce qui est curieux alors que c’est précisément le thème majeur du concile
[3] O’MALLEY John W.  L’évènement Vatican II. Ed Lessius. Bruxelles 2011 p 236-237
[4] PEDOTTI Christine. La bataille du Vatican. 1962-1962. Plon Paris 2012 p 255-271
[5] O’MALLEY John W.  L’évènement Vatican II. Op. cit.  p 253
[6] PEDOTTI Christine. La bataille du Vatican. 1962-1962 op. cit. p 278-279
[7] Qui n’est en fait que l’Eglise telle que l’a conçue les conciles de Trente et surtout de Vatican I
[8] Cf. Marie à Vatican II : la théologie mariale du concile in : https://arras.catholique.fr/page-24374.html

XXXII  Le concile Vatican II_2ème inter-session (5 décembre 1963 – 13 septembre 1964)

Pèlerinage de Paul VI en Terre sainte (du 4 au 6 janvier 1964) [1]

Dans une note personnelle du 21 septembre suivant, le pape trace les principaux traits que devra revêtir ce voyage : « simplicité, piété, pénitence et charité ».« Nous avons décidé, après mûre réflexion et non sans avoir beaucoup prié, de Nous faire pèlerin sur la terre de Jésus Notre Seigneur… Nous verrons ce sol béni, d’où partit Pierre et où nul de ses successeurs ne revint ».

     Outre la venue du pape sur les pas du Christ, ce pèlerinage aura aussi une vocation œcuménique. Il rencontre à cette occasion le patriarche œcuménique de Constantinople Athénagoras Ier[2]. Paul VI déclara notamment : « grande est notre émotion, profonde est notre joie, en cette heure vraiment historique où, après des siècles de silence et d’attente, l’Église catholique et le Patriarcat de Constantinople se retrouvent à nouveau… »[3]

À l’issue de leurs allocutions respectives a lieu un entretien en français entre les deux hommes ; décision est prise de créer une commission où théologiens catholiques et orthodoxes discuteront sur les questions qui les divisent. À la fin de cet entretien, le pape offre un calice en or au patriarche (symbole de la communion entre les deux Églises voulue par le pape) et ils récitent ensemble le Notre Père, l’un en latin et l’autre en grec

Encyclique « Ecclesiam suam » (6 aout 1964) 

     Dans Ecclesiam suam [4], Paul VI, qui se réfère à maintes reprises aux encycliques de ses prédécesseurs, en particulier de Pie XII et de Jean XXIII, indique avec insistance qu’il s’abstient délibérément de porter quelque jugement personnel que ce soit sur les points de doctrine soumis au concile Vatican II, « instrument providentiel du renouvellement »

Divisée en trois parties correspondant aux trois «  voies » (spirituelle, morale et apostolique) indiquées à l’Église, l’encyclique traite d’abord de la « conscience de l’Église » c’est-à-dire sur la nécessité pour elle d’approfondir la conscience qu’elle a d’elle-même. Puis le pape en vient au « renouvellement de l’Église », qu’il conçoit, reprenant une expression de son prédécesseur Jean XXIII, comme un aggiornamento et auquel il assigne deux orientations : l’esprit de pauvreté sans mépris du progrès humain et l’esprit de charité. La troisième partie, traite du « dialogue » que doit avoir l’Église vivante avec tous les hommes.

Les travaux des commissions conciliaires

Entre la deuxième et troisième session, les schémas  proposés sont à nouveau révisés, en tenant compte des remarques formulées par les pères conciliaires : les 17 schémas sont réduits à six auxquels il faut ajouter sept propositions. Sur certains sujets, les projets ne retiennent que quelques principes fondamentaux devant être approuvés pendant la troisième session, mais que des commissions postconciliaires développeront par la suite.

Quinze femmes (huit religieuses et sept laïques) ainsi que d’autres laïcs catholiques s’ajoutent au nombre des observateurs.

[3] Il s’agit d’une entrevue historique puisque c’est la première fois depuis 1439 (concile de Florence) que les primats des Églises de Rome et de Constantinople se rencontrent. Les deux hommes multiplient les gestes d’amitié : ils se prennent par la main, se montrent très émus.

XXXIII  Le concile Vatican II_ 3ème session (14 septembre – 21 novembre 1964)

     La troisième session s’ouvre par une messe qui constitue une première: Paul VI concélèbre entouré de vingt-quatre prêtres issus de dix-neuf nations différentes. Il s’agit pour le pape de mettre en œuvre concrètement sacrosanctum concilium promulgué à la fin de la deuxième session.
C’est un signe fort d’adhésion du pape aux réformes liturgiques.

Au cours de cette session, qui débute le 14 septembre 1964, les pères conciliaires font progresser un grand nombre de propositions.

Le schéma au sujet de l’œcuménisme (Unitatis Redintegratio)[1]

 
     Pendant la 2eme inter-session, le décret fut retravaillé de manière à adopter un ton plus œcuménique encore. Si la structure générale en trois chapitres ne change pas, un préambule est ajouté. [2]
     Ce texte corrigé est présenté au cours de la troisième session du concile, du 5 au 7 octobre 1964. Le texte amendé devait être soumis au vote définitif le 20 novembre 1964.

Le 19 novembre, à leur grande surprise, les pères conciliaires reçurent une liste de dix‐neuf amendements supplémentaires « en vue d’une clarté plus grande du texte », introduits par le Secrétariat pour l’Unité, qui accueillait ainsi « les suggestions [ordres] bienveillantes exprimées par l’autorité [papale] », selon l’annonce du secrétaire général du concile.

Le pape cherchait sans doute à apaiser par là les craintes de la minorité en vue d’obtenir un vote unanime. Le nombre des corrections demandées par cette minorité a étonné: cherchait-elle un report de la promulgation du décret ou espérait-elle, à travers cette demande papale de modifications (quarante au départ, semble-t-il), indisposer la majorité conciliaire au point que celle-ci rejetât le schéma? Ces questions se sont posées sérieusement à l’époque. Si cette intervention papale indirecte a produit une très mauvaise impression sur les pères conciliaires et surtout sur les observateurs non catholiques, on peut néanmoins considérer que la teneur même du décret n’en a pas été affectée : elle exprime clairement et franchement l’ouverture œcuménique de l’ensemble de l’Église catholique.

Le 21 novembre, jour de la promulgation solennelle, le schéma recueillit d’ailleurs 2137 votes positifs et seulement 11 négatifs. C’était pour ainsi dire l’unanimité.

Contenu

      Ce décret Unitatis redintegratio rompt avec un ton et un vocabulaire encore en vigueur sous Pie XII. Désormais, pour qualifier les chrétiens non catholiques, on ne parle plus d’hérétiques et de schismatiques, mais de frères séparés, ce qui est un progrès considérable dans la façon de considérer l’autre

     Le mouvement œcuménique lui-même est considéré comme né sous l’action de l’Esprit Saint.
     Dans les divisions chrétiennes intervenues au cours de l’histoire, des fautes ont été commises aussi par des catholiques. Les responsabilités sont partagées.
     Même si c’est par la seule Église catholique du Christ que peut être obtenue toute plénitude des moyens du salut, les autres chrétiens « se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique, et les Églises et communautés séparées elles-­mêmes ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut ». D’un point de vue spirituel notamment, l’Église catholique elle-même est appelée à se purifier et à se renouveler de jour en jour.
     La prière en commun, la connaissance réciproque, la formation œcuménique et la collaboration avec les frères séparés, au service de la paix et de la justice sociale notamment, sont fortement encouragées.

     Parmi les frères séparés, Unitatis redintegratio opère cependant une distinction assez nette entre les Églises orientales, et les Églises et Communautés ecclésiales séparées en Occident. Avec les premières, une union intime s’est maintenue en raison de « vrais sacrements » et de la succession apostolique (n° 15), tandis qu’avec les secondes, il existe « des différences considérables… surtout dans l’interprétation de la vérité révélée » (n° 19).

     Au terme de cet exposé, le concile se tourne vers l’avenir avec confiance et « souhaite instamment que les initiatives des enfants de l’Église catholique progressent unies à celles des frères séparés, sans mettre un obstacle quelconque aux voies de la Providence et sans préjuger des impulsions futures de l’Esprit-Saint » (n° 24).

 

Le schéma au sujet des Églises orientales catholiques (Orientalium Ecclesiarum) [3]

     À l’ouverture du concile, pas moins de neuf schémas avaient été préparés par la Commission orientale, dont le projet de texte sur l’unité de l’Église, qui serait retenu par les pères conciliaires comme base de rédaction du décret sur l’œcuménisme.
     Les huit autres projets, en décembre 1962, seraient officieusement rassemblés et abrégés en un schéma unique, intitulé désormais décret sur les Églises orientales.
     Amendé selon les observations émises au cours de celle-ci et fortement abrégé, le schéma fit l’objet d’une discussion publique, dans l’aula conciliaire, à partir du 15 octobre 1964.
     Le cardinal König de Vienne, notamment, pointa les faiblesses du schéma du point de vue œcuménique. En somme, ce qui est reproché au texte, c’est d’être encore trop marqué par le vieil esprit de l’uniatisme ou du retour des orthodoxes à l’Église catholique, et pas assez par le nouvel esprit authentiquement œcuménique.
     L’ensemble du texte fut renvoyé à la Commission orientale pour y être révisé selon les 1920 amendements proposés.  Ainsi le titre fut-il clarifié et précisé: « Des Églises orientales catholiques », pour donner partiellement satisfaction aux orthodoxes et aux œcuménistes.

Contenu

     Seules les communautés orientales unies à Rome sont concernées par la discipline édictée par le concile. Quant au choix du Rite (n° 4), malgré les 719 placet juxta modum (oui, mais ), la commission maintint le principe de base qu’en devenant catholique, chacun devait rester fidèle à son Rite d’origine, c’est-à-dire s’inscrire à la branche catholique correspondante de celui-ci. Néanmoins, selon le jugement du Saint-Siège, des circonstances particulières pourraient justifier le passage à un autre Rite.
     Pour ce qui est de l’institution patriarcale (catholique) (n° 7-11), on en resta au texte approuvé, en lui reconnaissant déjà une large ouverture et en estimant que les esprits n’étaient pas prêts pour des modifications plus radicales. Jusqu’à un certain point, un ton plus œcuménique fut également imprimé au décret, en donnant la priorité au dialogue entre Églises par rapport à l’union de groupes ou au passage d’individus de l’orthodoxie au catholicisme.

     Ce texte final recueillit en session publique, le 21 novembre 1964, 2110 votes positifs et 39 négatifs, alors que la veille, il y avait encore 135 non placet pour l’ensemble du schéma. Toute la discussion autour de ce schéma aide à comprendre que les orthodoxes y aient vu une certaine contradiction avec le décret sur l’œcuménisme: l’Église catholique semblait reprendre d’une main ce qu’elle avait donné ou laissé tomber de l’autre (un certain prosélytisme d’union à Rome).

 

Le schéma au sujet de l’Église (Lumen Gentium) [4]

Structure

 

Le mystère de l’Église

    1. Le peuple de Dieu
    2. La constitution hiérarchique de l’Église et en particulier l’épiscopat
    3. Les laïcs
    4. La vocation universelle à la sainteté dans l’Église
    5. Les religieux
    6. L’Église en marche : son caractère eschatologique et son union avec l’Église du ciel
    7. La bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l’Église

 Analyse [5]

 

     Ses huit chapitres se regroupent deux par deux. Les deux premiers portent respectivement sur le mystère de l’Église et sur le peuple de Dieu.

     Le premier chapitre situe l’Église dans les missions de la Trinité (LG 2-5). Il déploie les métaphores bibliques (LG 6), y compris celle du corps (LG 7), seules habilitées à désigner adéquatement ce mystère, et montre comment cette réalité, à la fois visible et invisible, dont le symbole professe l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité  subsiste dans (subsistit in) l’Église catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui» (LG 8).
     Cette formule, savamment choisie pour éviter la simple identification, ne correspond pas seulement au décentrement déjà évoqué, mais ouvre aussi l’espace nécessaire pour la rénovation et la réforme d’une Église « à la fois sainte et appelée à se purifier »  et pour un dialogue, surtout œcuménique.
     Lumen gentium situe donc cette Eglise dans l’histoire, en la désignant par le terme « peuple messianique» (LG 9) et en montrant sa fonction sacerdotale (LG 10-11), prophétique (LG 12) et royale (LG 13-17) (cette dernière étant identifiée à sa catholicité déjà évoquée précédemment).
     Après avoir traité de ce qui concerne l’ensemble des chrétiens, les chapitres III et IV abordent la constitution hiérarchique de l’Église, en particulier l’épiscopat, et l’identité des laïcs.
     Ces développements sont parmi les plus novateurs du Concile; ils réussissent à rééquilibrer l’ecclésiologie de Vatican I, unilatéralement centrée sur le pape (LG 18), en définissant la sacramentalité du ministère épiscopal (LG 19-21) et en introduisant le concept de « collégialité » (LG 22-23). Ces deux apports de l’Écriture et de la Tradition constituent avec le ministère de Pierre et de ses successeurs le fondement de l ‘unité: « Les Églises particulières sont formées à l’image de l’Église universelle; en elles et à partir d’elles existe l’Église catholique une et unique » (ibid.).

     Les chapitres V et VI de lumen gentium reviennent d’abord sur ce qui est commun à tous les chrétiens, le but de leur existence ecclésiale ou l’appel universel à la sainteté (V), vécu par chacun de manière unique et par certains au sein de la vie religieuse (VI).

     Les deux derniers chapitres de la constitution continuent sur cette lancée en parlant d’abord du caractère eschatologique de l’Église en marche et son union avec l’Église du ciel (VII) ensuite, et pour finir, de la bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l’Eglise (VIII).

  

Faits saillants

Le mystère de l’Église (chapitre I)

Ce chapitre part du dessein universel de salut du Père, inauguré par la mission du Fils, et continué par la sanctification par l’Esprit Saint. Il articule les différentes images de l’Église, et en particulier celles de l’Église comme royaume et comme corps mystique du Christ. Il présente finalement la nature à la fois visible et spirituelle de l’Église en reprenant l’analogie des deux natures du Christ. Il articule ainsi les deux modèles de l’Église, comme société organisée d’une part et comme corps mystique d’autre part. Ainsi, l’Église continue la mission du Christ avec ses pauvres moyens et ses propres pécheurs.

Elle est mystère et sacrement car elle est le signe visible d’une réalité toute spirituelle.

Peuple de Dieu (chapitre II) [6]

     Cette constitution dogmatique sur l’Eglise pose le principe de la possibilité du salut des non-chrétiens, qui ignorant l’Évangile sont « ordonnés au Peuple de Dieu » : les Juifs, « peuple très aimé du point de vue de l’élection…car Dieu ne regrette rien de ses dons ni de son appel », des musulmans, « professant avoir la foi d’Abraham », et de tous ceux qui ignorent Dieu, Dieu voulant, comme Sauveur, amener tous les hommes au salut.

     Lumen gentium, souligne la possibilité du baptême de désir implicite[7] : « À ceux-là mêmes qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie ».(LG 16)

      Lumen gentium n’en affirme pas moins la nécessité pour l’Église catholique de soutenir les missions pour la conversion déplorant que les hommes, égarés dans leurs raisonnements, ont délaissé le vrai Dieu pour des êtres de mensonge, servi la créature au lieu du Créateur et rappelle le commandement : « Prêchez l’Évangile à toutes créatures. »

Marie

   Le chapitre sur Marie fut l’objet de débats. Le plan initial prévoyait un document distinct dédié au rôle de Marie afin de rendre Lumen gentium davantage « œcuménique », c’est-à-dire moins offensif pour les protestants, qui voient (avec raison)  l’hyperdévotion mariale comme infondée scripturairement.
     De son côté, les Pères regroupés dans le courant traditionaliste « Coetus Internationalis Patrum[8] » souhaitait l’établissement d’un document spécifique sur la Vierge Marie et sa place dans l’Église et non pas seulement le chapitre VIII de Lumen gentium. Ce groupe était aussi favorable à la proclamation d’un dogme déclarant Marie, médiatrice de toute grâce et corédemptrice .
     Cependant, les pères conciliaires ont souligné que le schéma sur  Marie devait être traité et intégré dans la constitution sur l’Église, puisque la place de Marie est dans l’Église et pas en dehors, et encore moins au-dessus.

L’idée retenue a finalement été de donner à la Vierge Marie une place importante dans le document sur l’Église, c’est-à-dire de prendre le parti d’évoquer Marie à travers sa place « dans le mystère du Christ et de l’Église », sans plus.

    La constitution dogmatique Lumen gentium « Lumière des nations » fut solennellement promulguée le 21 novembre 1964 par le pape Paul VI  en communion avec les Pères conciliaires, les évêques assemblés l’ayant approuvée par 2 151 voix contre 5, non sans que celui-ci, cédant sans doute à la pression du courant traditionaliste, exige la présence d’une note explicative préliminaire[9] (curieusement placée à la fin du document dans les Actes du Concile (Acta Synodalia))

Autres travaux

 
     De nombreux évêques proposent un schéma au sujet du mariage, prévoyant une réforme du droit canon ainsi que de nombreuses questions d’ordre juridique, cérémonial et pastoral, en exprimant le souhait de le voir être rapidement approuvé par un vote.
Mais le pape ne le soumet pas aux suffrages des pères conciliaires.
     De même, Paul VI demande (il faut entendre: ordonne) également aux évêques de déléguer la question de la contraception artificielle à une commission d’experts religieux et laïcs qu’il a formée.

Les schémas  au sujet de la vie et du ministère des prêtres, de l’activité missionnaire de l’Église, sont renvoyés aux commissions pour être profondément remaniés.

Le travail continue sur les schémas restants, en particulier ceux sur la place de l’Église dans le monde moderne et la liberté religieuse. Une controverse se déroule à propos des amendements au décret sur la liberté religieuse, le vote ne peut avoir lieu au cours de la troisième session, mais Paul VI promet que ce décret sera le premier à être examiné au cours de la session suivante.

 Clôture de la troisième session

   Paul VI clôt la troisième session le 21 novembre 1964 Dans son discours il annonce sa décision de en réduire à une heure au lieu de trois la durée du jeûne pré-eucharistique et en déclarant formellement Marie Mater Ecclesiae (mère de l’Église) contre l’avis de la commission doctrinale.

     Une fois encore, à la fin de cette difficile semaine, les pères conciliaires devaient faire face à un événement inattendu à propos d’un document qui, après d’éprouvantes discussions, leur paraissait achevé. Ils entendaient, de la bouche du pape, que, par le biais de cette déclaration, celui-ci avait conçu quelque chose qui « couronnait» Lumen gentium.
     Cela voulait dire qu’il s’agissait d’une démarche dépassant et surpassant ce qui avait été approuvé par le Concile. Philips jugea que cette déclaration constituait une affirmation délibérée, par le pape, de sa primauté.

Ce jour-là, le visage de Paul VI était sinistre tandis qu’on l’emmenait vers l’extérieur de la basilique, dépassant, rangée après rangée, les évêques qui applaudissaient pour la forme ou même pas du tout, dans certains cas. Les décrets importants sur l’Église et sur l’œcuménisme avaient été approuvés et promulgués, mais à quel prix? Personne ne doutait que la semaine écoulée avait sérieusement endommagé la relation entre le pape et l’assemblée. La perte de confiance pourrait-elle être restaurée? À quoi ressemblerait la session suivante? Le Concile se terminerait-il de la même manière que cette troisième session? Les évêques rentrèrent chez eux, la tête et le cœur remplis de ces questions troublantes [10]

[5] THEOBALD Christoph. Vatican II, l’Intégrale. Introduction. Bayard Paris 2002 p VIII à X
[6] SIMON Maurice. Lumen gentium et les non-croyants. In: Revue théologique de Louvain, 17ᵉ année, fasc. 1, 1986. pp. 38-54. www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1986_num_17_1_2162
[7] Le « baptême de désir implicite » s’appuie sur l’idée est que si quelqu’un est droit, généreux, sincère, on peut présumer que s’il avait eu pleine connaissance du Christ et de l’Évangile, il aurait sûrement accepté le baptême et que donc il pourrait être sauvé.  L’obligation du baptême est ainsi maintenue, mais dans les faits c’est reconnaître que le salut n’est pas assuré par l’accomplissement d’un rite mais par l’attitude intérieure : le baptême de salut implicite permet à des millions voire des milliards d’hommes que certains croyaient damnés pour l’Éternité de se retrouver dans la même situation dans l’au-delà que les baptisés, baptisés sans le savoir. L’extension de la notion de baptême de désir, puis de baptême de désir implicite implique une rupture avec la théologie de saint Augustin par l’idée d’un salut rendu accessible par le Christ à toute l’humanité à travers le temps et l’espace et pas seulement aux baptisés ; cette idée était présente dès le début de l’Église, les théories de saint Augustin ne constituant pas un dogme de l’Église catholique et n’ayant jamais été admises dans les Églises orthodoxes.
[9] De par l’autorité supérieure (le pape) est communiquée aux Pères une note explicative préliminaire au sujet des « modi » concernant le chapitre 3 du schéma sur l’Église. La doctrine exposée dans ce chapitre 3 doit être expliquée et comprise selon l’esprit et le libellé de cette note. Mgr Philips dans une lettre, datée de Louvain, du 1 déc. 1964,  demandait au cardinal Ottaviani de faire savoir publiquement que la « Note explicative » concernait les amendements du chap. Ill et non l’ensemble de la constitution. Cette demande ne fut pas reçue à l’époque. Toutefois, la lecture des Acta Synodalia permet actuellement de fixer exactement la portée limitée de la Note explicative. Dans les Acta Synodalia Vaticani II, Vol. III,  Pars VII/, le texte de la communication annonçant la Nota explicativa praevia,  est repris, et il y est dit deux fois qu’elle concerne le chap. Ill de Lumen gentium (p. 10). De  plus, cette Nota est présentée après la Relalio generalis du chap. III (p. 55).  In : Primauté et Collégialité. Le dossier de Gérard Philips sur la Nota Explicativa Praevia (Lumen gentium, chap. III) . Introduction historique, annotations et annexes par Jan GROOTAERS. Préface de G. Thils. (Bibliotheca Ephe.meridum theologicarum Lovaniensium, LXXII). Leuven, University Press et Peeters. 1986. (https://www.proquest.com/openview/43ac692f373140485c5f575797bea945/1?pq-origsite=gscholar&cbl=1817117 )
[10] O’Malley John. L’évènement Vatican II. Lessius Bruxelles 2011 p 339

XXXV Le concile Vatican II_4ème session (14 septembre 1965 – 8 décembre 1965)

Onze schémas sont inachevés au terme de la troisième session, et les commissions travaillent à leur donner une forme définitive dans la période qui sépare les deux sessions. En particulier, le schéma XIII, qui traite de la place de l’Église dans le monde moderne, qui est revu par une commission qui, grande nouveauté, inclut des laïcs.

     Paul VI ouvre la quatrième et dernière session du concile le 14 septembre 1965, et institue le Synode des évêques. Le motu proprio Apostolica sollicitudo [1] instituant le synode des évêques est promulgué dès le lendemain, 15 septembre. Cette structure, destinée à se rassembler à intervalles réguliers, doit poursuivre la coopération entre les évêques et le pape après la fin du concile.
     Il annonce également son intention de se rendre à l’ONU ou il se ferait l’écho des voix conciliaires pour « proclamer un message de concorde, justice, amour fraternel, et paix, parmi tous les hommes qui sont aimés de Dieu et dotés de bonne volonté [2]»

Les travaux du concile

Décret sur la liberté religieuse

     La première question débattue lors de la quatrième session, comme promis par le pape, est le décret sur la liberté religieuse, sans doute le plus controversé des documents conciliaires [3].

     La liberté religieuse est l’objet de la déclaration Dignitatis Humanae [4], votée le 7 décembre 1965. Le texte ne traite pas de la liberté dans l’Église mais du libre exercice de la religion dans la société civile. Il affirme que les pouvoirs publics ne doivent pas imposer ou interdire une option religieuse. La déclaration énonce notamment qu’« en matière religieuse nul ne [peut être] forcé d’agir contre sa conscience » (§ 2) et que « personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré lui » (§ 10). Toutefois, la déclaration n’évoque pas la « liberté de conscience ». Cette dernière avait en effet été qualifiée par Grégoire XVI de « délire » dans l’encyclique Mirari vos en 1832, expression reprise dans l’encyclique Quanta cura de Pie IX en 1864.

La nature de l’articulation entre liberté de conscience et liberté religieuse reste objet de débats

     Il est à noter qu’ avant le concile, l’Église n’exigeait la liberté que pour elle-même, se réservant la possibilité, lorsqu’elle était majoritaire, d’interdire les autres confessions, ou, au mieux, de les « tolérer », comme dans le concordat espagnol de 1953. Cette exigence de liberté pour elle-même associée à une « intolérance » pour les autres confessions constituait un « double standard ». Désormais l’Église se pose en défenseur de toutes les libertés religieuses.

     Aucun document n’a rencontré autant d’hostilité de la part de la minorité conciliaire. Le texte avait d’abord été conçu comme un chapitre du décret sur l’œcuménisme, destiné à régler le problème des tracasseries antiprotestantes dans les pays traditionnellement catholiques comme l’Espagne et la Colombie. La version finale a une autre perspective : répondre aux reproches d’intolérance adressés à l’Église catholique, et revendiquer, face aux États totalitaires marxistes, la liberté de culte pour les chrétiens.

     Dignitatis humanae fonde la liberté religieuse sur la dignité de la personne. La déclaration est fortement influencée par Pacem in terris, qui reprend les points les plus importants de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.      La première partie du texte s’adresse à tout homme et utilise surtout le langage de la raison. La deuxième partie, qui relève davantage du registre théologique, montre que cette doctrine de la liberté est impliquée par la foi chrétienne. Le § 11, en particulier, propose une méditation sur la prédication de Jésus et des apôtres, qui ne repose aucunement sur la contrainte.

     La première mouture est votée par 1 997 voix contre 224. L’organisation de l’Église catholique, qui ne fonctionne pas par majorité simple, rend le chiffre des opposants très important.
Après de nouvelles révisions, il est voté à une majorité de 2 308 pour et seulement 70 voix contre.

La Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps (Gaudium et spes [5])

Plan

      • Avant-propos (1 à 3)
      • Introduction : La situation de l’homme dans le monde moderne (4 à 10)
      • Première partie – L’Église et la vocation humaine (11 à 45)
        • Chapitre I – La dignité de la personne humaine (12 à 22)
        • Chapitre II – La communauté humaine (23 à 32)
        • Chapitre III – L’activité humaine dans le monde (33 à 39)
        • Chapitre IV – Le rôle de l’Église dans le monde moderne (40 à 45)
      • Deuxième partie – De quelques problèmes plus urgents (46 à 93)
        • Chapitre I – Dignité du mariage et de la famille (47 à 52)
          • Introduction (53)
          • Situation de la culture dans le monde actuel (54 à 56)
          • Quelques principes relatifs à la promotion culturelle (57 à 59)
        • Chapitre III – La vie économico-sociale (63 à 72)
        • Chapitre IV – La vie de la communauté politique (73 à 76)
        • Chapitre V – La sauvegarde de la paix et la construction de la communauté des Nations (77 à 90)
      • Conclusion (91 à 93)

Résumé

     La première partie a pour titre « L’Église et la vocation humaine » et s’articule en quatre chapitres. Les deux premiers sont, nous l’avons dit, ceux qui sont apparus le plus tôt dans la rédaction, comme une introduction aux chapitres spéciaux sur les diverses questions de la vie sociale. Ils ont désormais pour titres : « La dignité de la personne humaine » et « La communauté humaine ». Suit un chapitre III, devenu vraiment le chapitre central, où est élaborée, dans le contexte des humanismes modernes, une théologie du sens de « l’activité humaine dans l’univers », et du sens même de toute l’activité quotidienne des hommes. La réalité du péché n’est pas ignorée, mais le Concile n’a pas hésité à manifester l’achèvement de l’activité humaine dans le Christ ressuscité, à travers le mystère pascal, et le rapport entre toute l’œuvre de l’homme et « la terre nouvelle, les cieux nouveaux », le royaume éternel que le Christ remet à son Père.

     Le chapitre IV ramène, dans ce contexte anthropologique, christologie et eschatologique d’ensemble, à la considération de l’Église, non seulement porteuse de ce message, mais aussi « sacrement » du salut et de l’unité de l’humanité réconciliée. Cette Église est donc du ciel, mais bien dans le monde cependant. Et le Concile de s’efforcer de faire voir tout ce qu’elle peut offrir à l’homme et au monde, et de même ce qu’elle en reçoit (« Rapports mutuels de l’Église et du monde »).

     Dans ce cadre, le Concile veut traiter « De quelques problèmes plus urgents ». C’est le titre et c’est le sens de la Deuxième Partie de Gaudium et spes. Il s’agit d’aider les hommes autant qu’il est possible en projetant sur ces problèmes la « lumière des principes qui nous viennent du Christ ».

      Les domaines ainsi retenus sont : la famille (ch. 1) ; la culture (ch. 2) ; la vie économico-sociale (ch. 3) ; la communauté politique (ch. 4) ; la communauté des nations à construire et la paix à sauvegarder (ch. 5). Même sur ces sujets l’enseignement du Concile est particulièrement autorisé. Celui que donne un pape ou l’autre a toujours un caractère quelque peu personnel, l’enseignement du Concile a l’avantage d’être celui de tout l’épiscopat, et d’avoir été soumis effectivement à la critique des deux mille évêques réunis.

Un document clé

     Gaudium et spes sera vite retenu comme l’un des deux documents clés du Concile. Un peu injustement sans doute en ce qui concerne d’autres textes importants, pour beaucoup le Concile tout entier ce fut : Lumen gentium, donc l’Église dans sa nature et dans sa structure, et Gaudium et spes, l’Église dans le monde, l’Église envoyée au monde.
Gaudium et spes: est approuvée en dernière lecture le 7 décembre 1965 par 2 309 voix contre 75 et 7 votes nuls.

Le voyage de Paul VI à l’ONU (4 – 5 octobre 1965)[6]

  Le souci de rendre l’Église présente au monde moderne et à ses problèmes était chez Paul VI une véritable hantise. L’idée lui vint d’assurer un plus grand retentissement à son appel de Bombay en en faisant parvenir officiellement le texte au Secrétaire Général des Nations- Unies.
     Le message fut remis à Monsieur U Thant le 15 janvier 1965. La réponse fut immédiate : «Je suis si profondément ému par cet appel, répondait U Thant le 20 janvier, que je suis prêt, au nom des Nations-Unies, à examiner immédiatement s’il serait possible à Votre Sainteté de paraître devant l’Assemblée Générale siégeant en séance spéciale au cours de sa 19e session.»[7]
Les accords furent pris, et ce fut finalement au cours de la 20e session, le 4 octobre 1965 — l’année où l’O.N.U. fêtait le vingtième anniversaire de sa fondation — que Paul VI parut à New- York devant les représentants de la quasi totalité des nations du monde. Seuls les représentants de l’Albanie s’étaient abstenus.
«Jamais plus la guerre! Jamais plus la guerre! C’est la paix, la paix qui doit guider le destin des peuples et de toute l’humanité
Et le pape indiquait les voies pour la construction de la paix : «La première est celle du désarmement. Si vous voulez être frères, laissez tomber les armes de vos mains.» Puis le respect de la vie : «Votre tâche est de faire en sorte que le pain soit suffisamment abondant à la table de l’humanité, et non pas de favoriser un contrôle artificiel des naissances, qui serait irrationnel, en vue de diminuer le nombre des convives au banquet de la vie. [8]»
Paul VI eut un long entretien, au cours de ce voyage, avec le Président Johnson. Il célébra une messe au Yankee Stadium devant 90.000 personnes, et rentra à Rome, où il fit son entrée dans l’assemblée conciliaire réunie à Saint-Pierre le 5 octobre dès sa descente d’avion pour rendre compte de son voyage.

Reprise des travaux du concile

Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (Nostra Ætate[9])

     La déclaration est un texte bref et concis, qui choisit s’appuyer sur  l’humanité commune. Les peuples forment une « unique communauté », en vertu d’une même origine, et «d’une seule fin dernière : Dieu, dont « la bienveillance et l’offre de salut s’adresse à tous ».

     Dans ce mouvement, le texte va d’abord poser un regard sur les religions les plus éloignées (animisme, religions orientales), pour en venir aux plus proches : l’islam puis le judaïsme.

     Le « commun » de l’origine et du devenir ultime de l’Homme encadrent donc un regard en lequel un autre  « commun » -celui d’une proximité de doctrine- s’amplifie au fur et à mesure, pour culminer en Dieu. Ce mouvement montre que les relations interreligieuses ne visent pas un syncrétisme, puisque c’est de Dieu seul que peut venir -et que viendra- l’unité.

     Elles invitent plutôt, par la contemplation de ce qui nous est commun, à vivre plus intensément de ce que Dieu nous a déjà donné, et à le cultiver, particulièrement en faisant progresser entre nous la charité et l’estime.

     La Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (Nostra Ætate) est approuvée en dernière lecture le 28 octobre 1965 par 2 221 voix contre 88 et 1 vote nul.

Le Décret sur le ministère et la vie des prêtres (Presbyterorum Ordinis) [10]

     Globalement bien accueilli sauf que la position latine du célibat ecclésiastique est remis en question par une petite minorité de de  pères conciliaires (entre autres les Brésiliens). En réaction, Paul VI retire la question de l’agenda conciliaire en faisant savoir par une lettre au card Tisserand, doyen du Sacré Collège, lue dans l’Aula, qu’il n’envisageait pas de modification de la discipline de l’Eglise Catholique Romaine sur ce sujet. Un des aspect remarquable du document est qu’il insiste sur le rôle du prêtre « en communion hiérarchique avec l’évêque » ce qui met l’accent sur l’autorité épiscopale, détenteur de la plénitude du sacerdoce.

Le texte présente d’autres aspects remarquables.

      • Le ministère (service) est d’abord presbytéral (en communion avec les autres prêtres et avec l’évêque) avant d’être sacerdotal. Leur première fonction est d’enseigner la Parole de Dieu (PO n°4 // LG 28). Administrer les sacrement vient en second (même si évidement ce n’est pas secondaire) (PO n°5 )
      • La sainteté et la vertu personnelle

Le Décret sur le ministère et la vie des prêtres (Presbyterorum Ordinis) est approuvé en dernière lecture 7 décembre 1965 par 2 390 voix contre 4.

La Constitution dogmatique sur la Révélation divine (Dei Verbum)[11]

     Dei Verbum (DV), refait le point sur la manière dont Dieu se révèle à l’homme dans les Saintes Écritures

La révélation elle-même

     La révélation exprime la volonté qu’a Dieu de se faire connaître aux hommes : « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même ». Cette révélation a d’abord commencé par la parole des prophètes et l’histoire du peuple élu, puis Dieu lui-même, en la personne du Christ, est venu se révéler aux hommes.
     Tout ce qui est alors nécessaire à l’homme pour rejoindre la vie divine est alors révélé, et « il n’y a plus à attendre de nouvelle révélation officielle avant l’apparition dans la gloire, de Notre-Seigneur Jésus-Christ ».
Cette révélation est consignée par écrit dans les Saintes Écritures.

La transmission de la révélation divine

     Le concile a souhaité rappeler ensuite que la transmission de cette révélation s’est faite en premier lieu par les apôtres. La compréhension sans cesse approfondie des mystères de Dieu, les exemples qu’ont donnés les apôtres et leur successeurs deviennent la Tradition.

     Cette connaissance pratique de ce qui a été révélé une fois pour toutes, acquise « par la contemplation et l’étude qu’en font les croyants qui les gardent dans leur cœur, par la pénétration profonde des réalités spirituelles qu’ils expérimentent, par la proclamation qu’en font ceux qui avec la succession épiscopale ont reçu un charisme assuré de la vérité »

L’inspiration divine de l’Écriture et son interprétation

     L’Écriture doit être tenue comme des assertions du Saint-Esprit. C’est pourquoi il faut que l’exégète cherche profondément le sens des textes en tenant compte du genre littéraire et des manières de faire de chaque époque. Il faut faire attention au fait que les paroles divines passant par les langues humaines sont devenues semblables au langage des hommes.

L’Ancien Testament

     Dans cette Écriture sainte même l’Ancien Testament a une valeur impérissable. Avec le peuple élu, Dieu se révèle, en paroles et en actions, comme « l’unique Dieu véritable et vivant ».

     L’Ancien Testament prépare l’avènement du Christ, témoigne d’une véritable pédagogie divine et cache le mystère du salut… En d’autres termes, le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien, et, dans le Nouveau, l’Ancien est dévoilé.

Le Nouveau Testament

     L’importance du Nouveau Testament est claire, c’est l’excellence de la Révélation. En particulier, les Évangiles possèdent une supériorité méritée sur toute l’Écriture car on y trouve les gestes et les paroles du Christ, le Verbe qui s’est fait chair dans la plénitude des temps.

     Ces quatre Évangiles, d’origine apostolique, transmettent fidèlement ce que Jésus a fait et enseigné en réalité. Les auteurs sacrés les ont composés en « choisissant certains de nombreux éléments transmis soit oralement soit déjà par écrit, [en] rédigeant un résumé des autres, ou [en] les expliquant en fonction de la situation des Églises »… Cependant, le canon du Nouveau Testament ne se limite pas aux Évangiles, il contient aussi des épîtres de saint Paul et d’autres écrits apostoliques. Ceux-ci racontent les débuts de l’Église et exposent sa doctrine authentique.

La Sainte Écriture dans la vie de l’Église

     La Sainte Écriture en entier est importante dans la vie de l’Église. Cette dernière l’honore comme elle le fait avec le Corps du Christ. Elle est, pour l’Église, son point d’appui et, pour les chrétiens, la nourriture de leurs âmes et la source de leur vie spirituelle.

     Et afin que l’accès nécessaire à cette Écriture soit ouvert à tous, l’Église, en premier lieu, encourage la diversité de traduction à partir des textes originaux ; de même, elle s’efforce dans les études bibliques pour la munir d’explication.

     Dans le même sens, l’Église doit baser toutes ses études théologiques sur l’Écriture… la prière elle-même doit aller de pair avec la lecture divine. Ainsi le concile incite-t-il à cette lecture vitale tous les fidèles, surtout les religieux, et demande-t-il de faire diffuser l’Évangile à tout le monde, même aux non-chrétiens.

La Constitution dogmatique sur la Révélation divine (Dei Verbum) est approuvée 18 novembre 1965 en dernière lecture par 2 344 voix contre 6.

Un certain nombre de textes sont approuvés en dernière lecture sans débats

  • 28 octobre 1965 : Le Décret sur la charge pastorale des évêques dans l’Église (Christus Dominus  [12]) est approuvé en dernière lecture par 2 319 voix contre 2 et 1 vote nul.
  • 28 octobre 1965 : Le Décret sur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse (Perfectae Caritatis [13]) est approuvé en dernière lecture par 2 325 voix contre 4.
  • 28 octobre 1965 : Le Décret sur la formation des prêtres (Optatam Totius [14]) est approuvé en dernière lecture par 2 318 voix contre 3.
  • 28 octobre 1965 : La Déclaration sur l’éducation chrétienne (Gravissimum Educationis [16]) est approuvée en dernière lecture par 2 325 voix contre 35.
  • 18 novembre 1965 : Le Décret sur l’apostolat des laïcs (Apostolicam Actuositatem [17]) est approuvé en dernière lecture par 2 340 voix contre 2.
  • 27 décembre 1965 : Le Décret sur l’activité missionnaire de l’Église (Ad Gentes [18]) est approuvé en dernière lecture par 2 394 voix contre 5.

Fin de la quatrième session

L’événement marquant des derniers jours du concile est la visite à Rome du patriarche grec-orthodoxe de Constantinople Athénagoras Ier.

Paul VI et le patriarche expriment dans une déclaration commune leur regret des actions qui ont conduit au Grand Schisme entre les Églises orientales et occidentales, et lèvent solennellement l’excommunication et l’anathème que leurs prédécesseurs s’étaient lancés lors de celui-ci.

Veillée œcuménique

     Dans la basilique ou Jean XXIII avait annonce sa décision de réunir un concile et d’y inviter !es frères chrétiens séparés, Paul VI, en soutane blanche, très ému, a réuni pour une prière œcuménique les observateurs non catholiques. Les cardinaux et les évêques sont nombreux a être présents, vêtus de la manière la plus simple : soutane noire, ceinture, croix et calotte.
     Il y a eu en alternance les lectures, les chants des psaumes et les prières, et l’un des pasteurs en entonnant un chant n’avait pu, lui non plus, retenir le tremblement de sa voix.
     Le pape au début de son intervention, avait dit d’abord « Messieurs » puis, il s’était repris : « Laissez­ nous vous appeler Frères, Frères et Amis clans le Christ ! »
     Pour finir, tous avaient récité le Notre-Père puis chante le Magnificat. L’action de grâce du cantique évangélique de Marie ne pouvait pas blesser la sensibilité des frères protestants car, oui, le Seigneur était a l’œuvre et faisait des merveilles, et tous en étaient les témoins comblés de grâces.[19]

La clôture définitive du concile a lieu le 8 décembre 1965

Chaque document se termine par le texte :
«Tout l’ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans cette Constitution (Décret, Déclaration) ont plu aux pères du Concile.
Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulgué pour la gloire de Dieu».
Signé : Moi, Paul, évêque de l’Église catholique.
Suivent les signatures des pères conciliaires.

Paul VI, dans la foulée, crée une commission pontificale pour les médias, annonce un jubilé du 1er janvier au 26 mai 1966, change le nom du « Saint-Office » en « Congrégation pour la doctrine de la foi » et rend permanents les secrétariats pour la promotion de l’unité des chrétiens, pour les religions non chrétiennes et pour les non-croyants.

[2] O’MALLEY John. L’évènement Vatican II. Lessius Bruxelles 2011 p 350
[3] Voir : MINNERATH Roland. La déclaration Dignitatis humanae à la fin du Concile Vatican II. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 74, fascicule 2, 2000. pp. 226-242.www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_2000_num_74_2_3532
voir aussi: JOBIN Guy, « Gaudium et spes est-il un classique ? », Revue d’éthique et de théologie morale, 2013/1 (n°273), p. 9-30. DOI : 10.3917/retm.273.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2013-1-page-9.htm
[6] Martin Jacques. Les voyages de Paul VI. In: Paul VI et la modernité dans l’Église. Actes du colloque de Rome (2-4 juin 1983) Rome : École Française de Rome, 1984. pp. 317-332. (Publications de l’École française de Rome, 72) www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_72_1_2417
Voir : HERVEAU Joseph. Nostra Aetate et le dialogue interreligieux à Vatican II in : https://revue-educatio.eu/wp-content/uploads/2017/04/V-3.3-Herveau-MF_20170409.pdf
voir l’analyse du texte in : DEMERS Bruno, « Les « nouvelles » notions de révélation et de foi de Dei Verbum et la catéchèse », Revue Lumen Vitae, 2013/1 (Volume LXVIII), p. 19-35.: https://www.cairn.info/revue-lumen-vitae-2013-1-page-19.htm
[19] PEDOTTI Christine. La bataille du Vatican. Plon Paris 2012

XXXVI Le concile Vatican II_Bilan

     Quand le 11 octobre 1962 Jean XXIII ouvre le concile Vatican II, cela fait quatre siècles que le concile de trente à été clôturé et presque un siècle que le précédent a été suspendu « sine die » pour cause de guerre, et certains voient déjà Vatican II comme l’achèvement de Vatican I.
     Le fait que la constitution dogmatique, Pastor Æternus de Vatican I, qui devait être un traité complet sur l’Église du Christ, soit restée inachevée et que seule la dernière partie sur le rôle de la papauté dans l’Eglise et son dernier chapitre sur l’infaillibilité pontificale sont votés et promulgués en juillet 1870 par le pape Pie IX en l’absence d’un texte complet, a donné une place et une importance disproportionnée à la question de l’infaillibilité pontificale.

Quand Jean XXIII convoque un concile qu’il veut « Pastoral » cela suscite des réaction positive chez les uns, négatives chez les autres, sans que personne ne sache vraiment ce que le pape à dans la tête. Et il n’est pas sûr que Jean lui-même en ait une idée claire. Mais ce qu’il veut pour l’Eglise c’est une « mise à jour » un aggiornamento. Aujourd’hui avec l’informatique on sait tous ce que cela représente. Mais en 1962…

Le résultat

     « Les grandes orientations conciliaires n’ont pas surgi inopinément d’un vide intellectuel : elles plongent des racines profondes dans le mouvement des esprits depuis deux ou trois décennies en divers pays.
     Ce mouvement a des sources, des foyers privilégiés dont il conviendrait de dresser la carte : des écoles de théologie, des Universités prestigieuses, telle Louvain, des publications, des ordres ont concouru au renouvellement des perspectives.
     La réunion du Concile a soudain ménagé à tous ces mouvements épars un point de convergence, elle leur a offert une caisse de résonance et une possibilité de se traduire en des textes à l’échelle de l’Église universelle. Le même phénomène a joué pour les attentes confuses, les aspirations implicites du peuple chrétien à travers le globe. »[1]

     Si l’on se rappelle l’insistance de Paul VI sur l’Église qui n’est pas à elle-même sa propre fin, car elle est tout entière du Christ et tout entière des hommes, il semble pertinent d’ordonner les textes du Concile en fonction de cette double relation ad intra et ad extra, la constitution Lumen gentium sur l’Eglise étant au centre de la pensée conciliaire.

  • La relation avec Dieu et le Seigneur est manifeste avec la constitution Dei verbum sur la Révélation dont le Christ est « le médiateur et la plénitude », et celle sur la liturgie Sacrosanctum concilium qui met « Dieu à la première place.
  • La relation avec les hommes et le monde est explicitée par la constitution pastorale Gaudium et spes, les déclarations sur la liberté religieuse dans Dignitatis humanae, les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes dans Nostra aetate
  • Le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio promeut le dialogue avec les autres chrétiens, dont les relations avec l’Église catholique sont explicitées au chapitre II de Lumen gentium.
  • Tous les autres décrets sont une application de tel ou tel chapitre de cette constitution dogmatique, qui est vraiment au cœur de l’œuvre du Concile : sept décrets traitent respectivement de la charge pastorale des évêques, du ministère et de la vie des prêtres, de leur formation, de l’apostolat des laïcs, de la rénovation et de l’adaptation de la vie religieuse, des Églises catholiques orientales, de l’activité missionnaire de l’Église.
  • L’éducation chrétienne fait l’objet d’une déclaration.

(Pour plus de détail, voir la relecture de Cl. Bressolette [2])

Les textes

     Les Pères conciliaires ont massivement approuvé ces textes. Et d’abord les quatre « piliers » que sont les constitutions conciliaires :

    • Constitution sur la sainte liturgie « Sacrosanctum concilium » par 2147 contre 4 soit 98,8%.  (C’est cette constitution qui est débattue et votée la première et c’est un bon test pour les Pères. Puisqu’il s’agit d’aggiornamento, ils vont pouvoir se compter sur ce sujet emblématique entre ceux tenant du statut quo qui forment le courant « conservateur », et un courant « progressiste » qui veut faire évoluer les choses.)
    • Constitution dogmatique sur l’Eglise « lumen gentium» par 2151 contre 5, soit 99,8%.
    • Constitution dogmatique sur la révélation divine « Dei verbum » par 2344 contre 6, soit 99,7%.
    • Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps « Gaudium et spes » par 2039 contre 75 soit 85,3%.
     Sont tout aussi massivement approuvés les décrets sur l’œcuménisme (99,5%) ; sur la liberté religieuse (96,7%) ; sur les relations avec les religions non chrétiennes (96,1%) ; sur la charge pastorale des évêques (99,9%) ; sur le ministère et la vie des prêtres (99,9%) ; sur la formation des prêtres (99,9%) ; sur l’activité missionnaire de l’Eglise (99,9%) ; sur l’apostolat des laïcs (99,9%) ; sur les Eglises orientales (99,3%); sur l’éducation chrétienne (98,5%) ; sur les moyens de communication sociale (92,3%).
     Un tel niveau d’approbation quasiment soviétique peut interroger. Les comptes-rendus des débats, rencontres, commissions etc… montrent que tout a été fait pour que l’approche de l’unanimité soit la plus grande possible. Ce n’est pas sans inconvénients pour certains textes qui manquent parfois de cohérence ou de vigueur.
     L’attitude des papes à été aussi très différente. Jean XXIII à lancé la machine et à fait confiance à l’Esprit-Saint pour qu’a travers les hommes avec leurs grandeurs et leurs petitesses il renouvelle son Eglise. Paul VI a été beaucoup plus interventionniste et sensible aux pression.

Les réactions

     Quand on ouvre grand les fenêtres d’une maison fermée depuis longtemps, beaucoup respirent mieux, quelques-uns toussent, d’autres s’enrhument…

     Le cardinal Alfredo Ottaviani à toussé très fort.  Mais sa réaction a, en fin de compte, été admirable. Dans un entretient accordé au Corriere della Sera ? il dit au sujet du concile « Durant soixante seize ans, j’ai été le gardien du dépôt de la foi, le vieux carabinier en sentinelle. Mais si c’est l’Eglise elle-même qui réexamine, réapprofondit les thèmes, parle un autre langage au service d’une autre manière d’être, Dieu me donnera la grâce d’être aussi fidèle aujourd’hui qu’hier. Je sers l’Eglise aveuglément, en aveugle que je suis [3]»

      Monseigneur Marcel Lefebvre, évêque et supérieur général des missionnaires spiritains lui se grippe tout à fait.

     Durant le concile il est membre du groupe d’évêques les plus intégristes: le Cœtus Internationalis Patrum[4]. Il critique notamment les textes proposés à l’assemblée des évêques sur la liberté religieuse, les jugeant non conformes à la Tradition de l’Église, il a notamment voté contre la déclaration Dignitatis Humanæ sur la liberté religieuse, il signe avec d’autres évêques une circulaire du Coetus demandant le maintien dans la doctrine de l’Église de la « responsabilité collective » des juifs dans la mort du Christ, et de la « réprobation et malédiction de la religion judaïque »[5].

     Le concile terminé, est abordé la question de l’« aggiornamento » au sein de la congrégation des spiritains. En 1968, leur règle subit une modification que Marcel Lefevre refuse, et il se démet de sa charge de supérieur général.

     Peu à peu, d’abord en privé puis ouvertement après la publication du nouveau Missel romain en 1969, il s’associe à la critique des « traditionalistes » à l’encontre du concile Vatican II et des réformes issues de l’« esprit du concile ». Il est un critique de la liberté religieuse (pour toutes les religions), du nouvel œcuménisme (sans « retour » à la  « vraie » Eglise), de la subsidiarité (consultation constante du pape avec les évêques), de la nouvelle conception de la collégialité (Solidarité du Pape avec les évêques), de la réforme générale de la liturgie -et tout particulièrement de la réforme du rite de la messe- promulguée par le pape Paul VI, qui vient se substituer à la forme tridentine du rite romain, codifié par le pape Pie V.

Concernant le concile, il est pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour.

Le schisme

Fraternité Saint-Pie-X et séminaire d’Ecône

     En 1970, à la demande de plusieurs séminaristes français, il fonde à Fribourg (Suisse) la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Les buts de cette fraternité sacerdotale sont « le sacerdoce et tout ce qui s’y rapporte et rien que ce qui le concerne ».
L’institution est érigée canoniquement par l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg en tant que « pieuse union » pour une durée de trois ans ad experimentum renouvelables. (Autorisation qui sera finalement annulée en 1975 suite à une visite canonique).

De son côté, l’évêque de Sion l’autorise à fonder un séminaire à Écône.

Suspens a divinis

      La décision de Mgr Marcel Lefebvre, d’ordonner des prêtres sans permission du Saint-Siège lui vaut d’être sanctionné en juillet 1976 par la suspense a divinis [6]. Il est frappé d’excommunication latae sententiae [7] en 1988, lorsqu’il consacre quatre évêques sans permission du pape Jean-Paul II et en dépit de l’interdiction explicite de ce dernier.

Marcel Lefebvre meurt le 25 mars 1991 à Martigny, en Suisse. La translation de sa dépouille a lieu le 24 septembre 2020 dans la crypte de l’église du séminaire international Saint-Pie-X à Ecône

Négociations avec Rome

     Des négociations avec Rome amènent Benoît XVI à lever l’excommunication des évêques en 2009, sans que cela signifie le retour à la pleine communion de la FSSPX, qui doit reconnaître l’autorité du pape et du concile Vatican II, ce qu’ils refusent toujours.

     Les contacts continuent au sein de la commission pontificale Ecclesia Dei [8] qui « gère » les rapports avec les communautés problématiques. Elle est supprimée en 2019, considérant que les débats avec la FSSPX sont principalement de nature doctrinale. Les activités de la commission sont rattachées à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
A ce jour ces discutions sont toujours inabouties.

     Par le motu proprio «Traditionis Custodes» publié le 16 juillet 2021, le pape François durcit le ton contre les «traditionnalistes» en associant le refus de célébrer selon le rite de Paul VI à une remise en cause de l’unité et du concile Vatican II.

C’est clairement la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X qui est visée [9] 

[1] REMOND René. Conclusion générale. In: Le deuxième Concile du Vatican (1959-1965) Actes du colloque organisé par l’École française de Rome en collaboration avec l’Université de Lille III, l’Istituto per le scienze religiose de Bologne et le Dipartimento di studi storici del Medioevo e dell’età contemporanea de l’Università di Roma-La Sapienza (Rome 28-30 mai 1986) Rome : École Française de Rome, 1989. P 832  (Publications de l’École française de Rome, 113)
[2] BRESSOLETTE Claude, « Vatican II : 50 ans après. Relecture », Revue d’éthique et de théologie morale, 2012/3 (n°270), p. 9-36. DOI : 10.3917/retm.270.0009.  https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2012-3-page-9.htm
[3] Cité par Christine PEDROTTI in : La bataille du Vatican. Plon Paris 2012. (le card. Ottaviani était quasiment aveugle)
[4] groupe d’intérêt le plus important et influent de la minorité “conservatrice” ou “traditionaliste” : https://fr.wikipedia.org/wiki/Coetus_Internationalis_Patrum
[5] Le texte propose en outre que la condamnation des persécutions antisémites soit limitée aux manifestations dirigées contre les juifs « à cause de leur race ou de leur religion », précisant que « sans cette formule, le Concile émettrait un jugement historique et moral sur des faits qui eurent aussi des causes économiques et sociales » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Lefebvre
[6] Elle consiste à interdire au clerc des actes du pouvoir d’ordre ou de gouvernement, ou à le priver de son bénéfice, de son salaire ou de sa pension. Contrairement aux autres censures, elle est divisible quant à ses effets, ce qui explique qu’on y ait souvent recouru. Le clerc suspendu peut recevoir les sacrements, mais doit s’abstenir des actes interdits par sa suspense. Il ne perd pas non plus son office ni son droit de résidence (can. 1333).
[7] Le Code de droit canonique de 1983 distingue trois types de délits sanctionnés par une suspense latæ sententiæ (appliquées sans intervention nécessaire par le seul fait d’avoir commis un délit) : célébration de l’eucharistie ou absolution par un clerc n’en ayant pas le pouvoir (can. 1378-2); mariage (même civil) attenté par un clerc: viol de l’obligation de célibat ou de l’obligation de non-remariage, dans le cas d’un diacre permanent devenu veuf (can. 1394-1); réception des ordres en l’absence des lettres dimissoriales (can. 1383)

XXXVII Paul VI, après Vatican II

 

Quand le 8 décembre 1965 le pape clôt le concile Vatican II, des questions restent en suspens qui ont été écartées de l’agenda conciliaire par Paul VI, qui les considérait de sa seule autorité : la réforme de la curie et le mécanisme destiné à donner une place centrale à la collégialité, le célibat des prêtres, le refus de laisser le concile débattre de la contraception et du contrôle des naissances. Par ailleurs, les vœux pour le concile exprimés par l’Athénée pontificale salésienne, proposant l’excommunication latæ sententiæ (i.e. automatique) des agresseurs sexuels, clercs ou religieux, ont été écartés lors des débats préparatoires sur deux arguments : laisser les évêques en juger et éviter un scandale préjudiciable à l’Église et au célibat ecclésiastique [1].

Des encycliques qui vont marquer l’époque 

 

L’encyclique Ecclesiam suam

 

     Publiée pendant le concile [2] Ecclesiam Suam est connue sous le nom de «l’encyclique du dialogue». Paul VI veut réfléchir sur l’Église, proposer sa réflexion, et il le fait dans un contexte où le Concile œcuménique se questionne sur les mêmes thèmes.

     « Il y a presque un jeu de miroirs entre le discours du 29 septembre 1963, lorsque Paul VI inaugura la deuxième partie du Concile – et la première qu’il préside – et l’encyclique qui développe précisément les thèmes qu’il avait déjà esquissés.

En effet, le dialogue a un rôle central, même si ce n’est pas le seul thème développé dans le document. Mais ce caractère central est également confirmé par une série de notes de Paul VI, intitulées « Notes pour une encyclique sur le dialogue. 

      Pour comprendre la nature du dialogue comme Paul VI l’a voulu, il faut partir de ce que l’on pourrait définir comme sa dimension verticale: car le dialogue de Paul VI est avant tout le “colloquium salutis”, le colloque du salut, que Dieu lui-même commence par la Parole qui interpelle l’humanité, la Parole de sa révélation, la Parole par laquelle il dirige et sauve son peuple. Et c’est précisément parce que Dieu a commencé ce dialogue que Paul VI affirme que la mission de l’Église est d’introduire dans la conversation humaine cette Parole que Dieu lui a confiée, que les croyants doivent d’abord écouter et qu’ils doivent introduire dans le circuit de la conversation et du dialogue entre les êtres humains.

     Paul VI décline également une vision des cercles concentriques, dans lesquels ce dialogue doit se développer. C’est un dialogue qui se développe d’abord avec les chrétiens, d’où l’empreinte et l’importance du thème œcuménique pour Vatican II, que tout son pontificat exprime. Un dialogue qui se manifeste ensuite avec toutes les autres religions et enfin avec toute l’humanité. Nous pouvons dire que Paul VI nous a invités à partager cette confrontation et cet effort, d’une part pour répondre à la Vérité que Dieu a manifestée, d’autre part pour coopérer au bien de l’humanité. [3] »

L’encyclique Populorum progressio

 

     Populorum progressio [4] sur le développement des peuples, publiée le 26 mars 1967, a eu un grand retentissement dans le monde, même dans les milieux non chrétiens.

     Paul VI dénonce le déséquilibre croissant des niveaux de vie entre les peuples ; la misère imméritée des paysans, le scandale des disparités criantes, non seulement dans la jouissance des biens, mais plus encore dans l’exercice du pouvoir ; le heurt entre les civilisations traditionnelles et les nouveautés de la civilisation industrielle

     Dès les premières lignes de l’encyclique, Il souligne la gravité du problème du développement et l’urgence pour le résoudre d’une action solidaire. Il proclame : « La question sociale est devenue mondiale. Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui les peuples de l’opulence. L’Eglise tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère. » On trouve déjà le thème du développement intégral de l’Homme et du développement solidaire de l’humanité qui annonce le thème de l’écologie intégrale si cher au pape François [5]

Lettre apostolique Octogésima adveniens

 

     Parue le 14 mai 1971, adressée à monsieur le cardinal Maurice Roy, président du conseil des laïcs et de la commission pontificale « justice et paix » à l’occasion du 80e anniversaire de l’encyclique rerum novarum. [6]

     Cette lettre manifeste une évolution de la pensée du magistère. C’est en effet la première fois qu’un document du magistère aborde le thème des effets de l’activité humaine sur l’environnement :

     « Tandis que l’horizon de l’homme se modifie ainsi à partir des images qu’on choisit pour lui, une autre transformation se fait sentir, conséquence aussi dramatique qu’inattendue de l’activité humaine. Brusquement l’homme en prend conscience : par une exploitation inconsidérée de la nature, il risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation. Non seulement l’environnement matériel devient une menace permanente : pollutions et déchets, nouvelles maladies, pouvoir destructeur absolu ; mais c’est le cadre humain que l’homme ne maîtrise plus, créant ainsi pour demain un environnement qui pourra lui être intolérable. Problème social d’envergure qui regarde la famille humaine tout entière » (21)

     La lettre présente également une inflexion de la pensée sur le progrès, dont l’ambiguïté est soulignée beaucoup plus fortement que dans les textes précédents du magistère :

     « Un doute aujourd’hui se lève pourtant sur sa valeur et sur sa réussite. Que signifie cette quête inexorable d’un progrès qui fuit chaque fois qu’on croit l’avoir conquis ? Non maîtrisé, le progrès laisse insatisfait. Sans doute a-t-on dénoncé, à juste titre, les limites et même les méfaits d’une croissance économique purement quantitative et souhaite-ton atteindre aussi des objectifs d’ordre qualitatif. La qualité et la vérité des rapports humains, le degré de participation et de responsabilité sont non moins significatifs et importants pour le devenir de la société que la quantité et la variété des biens produits et consommés. Surmontant la tentation de vouloir tout mesurer en termes d’efficacité et d’échanges, en rapports de forces et d’intérêts, l’homme désire aujourd’hui substituer de plus en plus à ces critères quantitatifs l’intensité de la communication, la diffusion des savoirs et des cultures, le service réciproque, la concertation pour une tâche commune.

Le vrai progrès n’est-il pas dans le développement de la conscience morale qui conduira l’homme à prendre en charge des solidarités élargies et de s’ouvrir librement aux autres et à Dieu » ( 41).

La lettre présente également une inflexion de la pensée sur le progrès, dont l’ambiguïté est soulignée beaucoup plus fortement que dans les textes précédents du magistère : « Un doute aujourd’hui se lève pourtant sur sa valeur et sur sa réussite. Que signifie cette quête inexorable d’un progrès qui fuit chaque fois qu’on croit l’avoir conquis ? Non maîtrisé, le progrès laisse insatisfait. Sans doute a-t-on dénoncé, à juste titre, les limites et même les méfaits d’une croissance économique purement quantitative et souhaite-ton atteindre aussi des objectifs d’ordre qualitatif. La qualité et la vérité des rapports humains, le degré de participation et de responsabilité sont non moins significatifs et importants pour le devenir de la société que la quantité et la variété des biens produits et consommés. Surmontant la tentation de vouloir tout mesurer en termes d’efficacité et d’échanges, en rapports de forces et d’intérêts, l’homme désire aujourd’hui substituer de plus en plus à ces critères quantitatifs l’intensité de la communication, la diffusion des savoirs et des cultures, le service réciproque, la concertation pour une tâche commune.

Le vrai progrès n’est-il pas dans le développement de la conscience morale qui conduira l’homme à prendre en charge des solidarités élargies et de s’ouvrir librement aux autres et à Dieu » ( 41).

   Et un appel pressent à l’action: « Que chacun s’examine pour voir ce qu’il a fait jusqu’ici et ce qu’il devrait faire. Il ne suffit pas de rappeler des principes, d’affirmer des intentions, de souligner des injustices criantes et de proférer des dénonciations prophétiques : ces paroles n’auront de poids réel que si elles s’accompagnent pour chacun d’une prise de conscience plus vive de sa propre responsabilité et d’une action effective. Il est trop facile de rejeter sur les autres la responsabilité des injustices, si on ne perçoit pas en même temps comment on y participe soi-même et comment la conversion personnelle est d’abord nécessaire. » (48)

   

Des encycliques controversées

 

Encyclique sacerdotalis célibatus (1967)

 

     On pourrait traduire le propos de cette encyclique [7] par « circulez rien de nouveau à dire » comme si le  problème était le célibat des prêtres en soi. Or ce qui pose problème c’est l’obligation du célibat pour les clercs.

Des réactions

     Le 25 janvier 1970, dans le cadre du Concile pastoral de la province ecclésiastique des Pays-Bas [8], les évêques néerlandais se prononcent en faveur de l’ordination d’hommes mariés en termes très mesurés : « Les évêques estiment que, pour leur communauté, il serait bon qu’à côté de prêtres vivant dans le célibat choisi en toute liberté, on puisse admettre dans l’Église latine des prêtres mariés, en ce sens que des hommes mariés pourraient être ordonnés prêtres, et qu’en des cas particuliers, des prêtres qui se sont mariés puissent être réintégrés dans le ministère, sous certaines conditions [9] ».

Synode sur le ministère sacerdotal

     Après avoir exprimé « de graves réserves » dans une lettre du 2 février 1970 au cardinal Villot, secrétaire d’Etat, Paul VI décide de réunir, fin 1971, un synode des évêques sur ce thème.

     107 pères optent pour une formule extrêmement restrictive, 87 adoptent une position proche de la réforme envisagée et il y a 2 abstentions et 2 bulletins nuls. La réforme n’est pas adoptée.

     Pour Louis de Vaucelles [10], la procédure est responsable de cet échec : les dossiers préparés par les conférences épiscopales ont été sous-utilisés, il n’y a pas eu de débats, les échanges se réduisant à une série de monologues, et la présidence (trois présidents nommés par le pape) a éludé des questions de manière arbitraire. Ces difficultés ont été accrues par la diversité des mentalités et des situations pastorales.

Encyclique humanae vitae (1968)

 

      le 25 juillet 1968 Paul VI promulgue l’encyclique humanae vitae [11]. Dans cette encyclique, le Magistère rappelle que la doctrine de l’Église sur le mariage est fondée « le lien indissoluble, que Dieu a voulu et que l’homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l’acte conjugal: union et procréation. (12)» tout en reconnaissant la possibilité de différer une naissance (Paternité responsable (10)) au moyen de « méthodes naturelles »

Les prises de position de Paul VI viennent en contradiction [12] avec les travaux de la commission pontificale pour l’étude de la population, de la famille et de la natalité. Créée en 1963 par Jean XXIII

Réactions

      Il y a des vieux reflexes conservateurs dont il faut savoir se défaire. Ainsi même s’il est reconnu officiellement qu’une encyclique n’est pas un document infaillible, d’aucuns exigeraient qu’on se comporte comme s’il l’était.  Comme l’écrit Henri de Lubac dans Paradoxes  : « Il n’y a de « paroles d’évangile » que les paroles de l’Evangile. Les paroles des encycliques sont paroles d’encycliques : chose assurément très digne, très importantes, mais autre chose. »  Et surtout  il y a une certaine schizophrénie à voir tous ces célibataire, théoriquement sans relations conjugales, venir dire aux couples ce qu’ils doivent être et faire dans leur relations de couple.

     L’Eglise catholique n’a manifestement pas perçu qu’elle ne pouvait plus s’adresser à des adultes comme à un « troupeau » fidèle. Humanae vitae apparue à l’automne 1968 est l’exacte erreur d’un pape déconnecté des réalités vécues par les « chrétiens de base » si chers à cette époque.

     De nombreuses conférences épiscopales vont émettre des “grilles de compréhension” bien nécessaires. Ainsi en est-il de de la Conférence des Evêques de France [13]

     Dans ses mémoires, le cardinal français Roger Etchegaray a parlé de « schisme silencieux [qui a] fragilisé l’autorité [papale] ». Le théologien Yves Congar, adressant en 1968 un courrier au secrétariat de l’épiscopat français, déclara : « je n’arrive pas vraiment à juger que des époux, qui ont exercé ou exercent une paternité raisonnable et généreuse, contreviennent à la volonté de Dieu si, pour espacer ou éviter une nouvelle naissance (intention qu’ Humanæ Vitæ reconnaît légitime), ils usent d’un moyen artificiel plus sûr que l’abstinence périodique »

Le renouveau charismatique

 

      Paul VI encouragea le renouveau charismatique catholique, qu’il considérait comme une chance pour l’Église et pour le monde.

Il déclara lors de son discours au IIIe congrès international du renouveau charismatique catholique, le 19 mai 1975 : « Comment alors ce « renouveau spirituel » ne pourrait-il pas être une « chance » pour l’Église et pour le monde ? Et comment, en ce cas, ne pas prendre tous les moyens pour qu’il la demeure ?

Ces moyens, chers fils et chères filles, le Saint-Esprit voudra bien vous les indiquer, selon la sagesse de ceux qu’il a lui-même «établis gardiens pour paître l’Église de Dieu» ( Act . 20, 28). Car c’est le Saint-Esprit qui a inspiré à saint Paul certaines directives très précises, que Nous nous contenterons de vous rappeler. Y être fidèles sera pour vous la meilleure des garanties pour l’avenir.

Vous savez le grand cas que l’Apôtre faisait des «dons spirituels»: «N’éteignez pas l’Esprit», écrivant-il aux Thessaloniciens ( 1 Thess . 5, 19), tout en ajoutant immédiatement: «Vérifiez tout, retenez ce qui est bon» ( Ibid . 5, 21).[14]».

 

Dialogues

Dialogues œcuméniques

    • Depuis le 7 décembre 1965 avec l’abrogation simultanée des excommunications de 1054 par un bref du pape Paul VI au Vatican et un tomos(décret) du patriarche de Constantinople,  Athénagoras Ier, à İstanbul. Ce dialogue est mené, pour l’Église orthodoxe, d’une manière unifiée (au sein de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe) depuis 1980, ou au niveau de chacune des Églises orthodoxes locales.[15]
    • Entre la Fédération Luthérienne Mondiale et l’Église Catholiqueau sein de la Commission internationale catholique-luthérienne créée en 1967 [16]
    • Entre la commission internationale anglicane-catholique romaine(ARCIC) établie en 1967 [17]
    • Dans la commission mixte internationale catholique-méthodiste international depuis 1967

 

Dialogue interreligieux

     Le dialogue avec les religions non chrétiennes, en particulier le judaïsme, se développe pendant le pontificat de Paul VI, sous l’impulsion de la déclaration Nostra Ætate.

En dehors du monde chrétien, le pape rencontre en 1971 Kalou Rinpoché lors de son premier voyage en Occident. Le 30 septembre 1973, Paul VI reçoit en audience le 14e dalaï-lama, Tenzin Gyatso au Vatican. Le 17 janvier 1975, il reçoit en audience le 16e karmapa, Rangjung Rigpe Dorje. En 1974, il rencontre les oulémas d’Arabie

Il est le premier Pape à voyager hors de Rome.

     Après l’ONU en 1965, ils se rend en pèlerinage à Fatima (Portugal) en 1967 ; en Turquie la même année ou il rencontre le Patriarche Athénagoras (qui sera reçu à Rome trois mois plus tard) ; à Bogota (Colombie) en 1968 ; à Genève (Suisse) ou il se prend la parole devant l’ Organisation Internationale du Travail et le Conseil œcuménique des Églises ; en Sardaigne (Cagliari) en 1969.

Il est également le premier pape accueilli en Afrique, en Ouganda en 1969.

Lors d’un pèlerinage en Asie orientale, Océanie et Australie (du 26 novembre au 5 décembre 1970). Paul VI  effectue une série de visites pastorales en Asie orientale et Océanie.

Le 27 novembre 1970, à son arrivée à l’aéroport international de Manille, Paul VI réchappe d’une tentative d’assassinat. Déguisé en prêtre, crucifix en main, Mendoza parvient à approcher le pape avant de le frapper de deux coups de poignard dans le cou, portés de part et d’autre de la veine jugulaire. Le col rigide que porte le pape pour le soulager de l’arthrose cervicale contribue à la légèreté des blessures dont l’existence n’est toutefois révélée qu’après sa mort en 1978. Paul VI termine sa visite officielle selon le programme prévu.

Décès et funérailles.

Victime d’une crise cardiaque en fin d’après-midi le 6 août 1978, Paul VI meurt dans sa résidence d’été de Castel Gandolfo après quinze ans de pontificat, à l’âge de 80 ans. Il est inhumé le 12 août 1978 et enterré, selon ses souhaits, dans les grottes du Vatican

      Le 11 mai 1993 a été lancée dans le diocèse de Rome la cause de canonisation. Benoît XVI a déclaré “l’héroïcité de ses vertus” le 20 décembre 2012. Le 9 mai 2014, le Pape François a autorisé la Congrégation pour les causes des saints à promulguer le décret concernant le miracle attribué à son intercession. François l’a “élevé à l’honneur des autels” (déclaré saint) le 19 octobre 2014.[18]

[5] Le dicastère pour le service du développement humain intégral est créé par le pape François en 2016 en remplacement des conseils pontificaux « Justice et Paix », « Cor Unum », « pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement » et « pour la pastorale des services de la santé ».
[8] Le Concile pastoral de la province ecclésiastique des Pays-Bas avait une composition très innovante pour l’époque (1970) proche du Chemin Synodal Allemand ( https://riposte-catholique.fr/archives/172863#) avec (hélas) aussi peu de succès auprès du pape et de la curie romaine !
[9] BRACHIN Pierre. Paul VI et l’Église des Pays-Bas. In: Paul VI et la modernité dans l’Église. Actes du colloque de Rome (2-4 juin 1983) Rome : École Française de Rome, 1984. pp. 765-784. (Publications de l’École française de Rome, 72) p 772 www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_72_1_2439
[10] de VAUCELLES Louis, « Journal du synode », Études,‎ décembre 1971, pp.753-763 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k441866v/f128.item
[12] En 1966, les théologiens de la commission déclarent par 15 voix contre 4 que la contraception artificielle n’est pas intrinsèquement mauvaise et, les 24 et 25 juin 1966, approuvent par 9 voix contre 5 un texte final disant qu’« il leur appartient [aux époux] d’en décider ensemble, sans se laisser aller à l’arbitraire, mais en ayant toujours à l’esprit et à la conscience des critères objectifs de moralité  » où l’éloge de la continence périodique est supprimé. Voir ROUCHE Michel. La préparation de l’encyclique « Humanae vitae ». La commission sur la population, la famille et la natalité. In: Paul VI et la modernité dans l’Église. Actes du colloque de Rome (2-4 juin 1983) Rome : École Française de Rome, 1984. pp. 361-384. (Publications de l’École française de Rome, 72). www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_72_1_2419
[14] Discours du pape Paul VI aux participants au IIIème congrès international du renouveau charismatique catholique :  https://www.vatican.va/content/paul-vi/fr/speeches/1975/documents/hf_p-vi_spe_19750519_rinnovamento-carismatico.html

XXXVIII Les grandes avancées œcuméniques protestantes du XX° s

Les organismes mondiaux de communion

Conseil œcuménique des Églises

     Les racines historiques du Conseil œcuménique des Églises [1] se trouvent dans les mouvements étudiants et laïcs du XIXe siècle, dans la conférence missionnaire mondiale d’Edimbourg de 1910 et dans une encyclique de 1920 du Synode (orthodoxe) de Constantinople suggérant une « communauté d’Églises » similaire à celle du Conseil œcuménique des Églises, la Ligue des Nations.

     Les dirigeants représentant plus de 100 Églises ont voté en 1937-38 pour fonder un Conseil œcuménique des Églises, mais son inauguration a été retardée suite au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Les organismes qui ont été incorporés au Conseil au fil des décennies comprennent les commissions internationales «Foi et Constitution[2] » (théologie, sacrements, ordonnances) et « Christianisme pratique» (ministères sociaux, affaires internationales, services de secours), le « Conseil missionnaire international » (IMC), ainsi qu’un conseil issu du mouvement des écoles du dimanche du XIXe siècle.
     Deux projets pionniers du COE ont été lancés en coopération avec le CIM en 1946 : la Commission des Églises pour les affaires internationales (CCIA) et l’Institut œcuménique de Bossey, en Suisse.
Aujourd’hui, l’Institut œcuménique propose des diplômes de maîtrise et de doctorat en études œcuméniques par l’intermédiaire de la faculté de théologie de l’Université de Genève.

     Lorsque le COE a vu le jour lors de la première Assemblée en 1948, il comptait 147 Eglises membres. Fin 2013, le nombre de membres s’élevait à 345 églises. Le Concile Vatican II a grandement amélioré les relations entre le COE et l’ Eglise Catholiques Romaine qui, si elle n’est pas membre du COE est membre de « Foi et Constitution » depuis 1968.

     Le Programme de lutte contre le racisme suscita mainte controverse, mais contribua à mettre fin à l’apartheid en Afrique australe. Le document intitulé Baptême, eucharistie, ministère [3] (1982), qui constitue un jalon notable, permit de parvenir à un certain consensus entre les Eglises dans leur recherche de l’unité pleine et entière.

    Le Pasteur Jerry Pillay est depuis 2023 secrétaire général du COE. Membre de l’Église presbytérienne unifiante d’Afrique australe, il vient d’Afrique du Sud et était doyen de la Faculté de Théologie et de Religion à l’Université de Pretoria.

Communion Mondiale d’Eglises Réformées (CMER)

     L’Alliance des Églises réformées dans le monde ayant adopté le système presbytérien » a été créée à Londres en 1875 et regroupait alors 21 églises presbytériennes d’Europe et d’Amérique du Nord. Le Conseil congrégationnel international a également été fondé à Londres en 1891.

     En 1970, à Nairobi, au Kenya, ces deux organisations (congrégationnelle et presbytérienne) ont fusionné pour former l’Alliance mondiale d’Églises réformées (CMER) avec 114 Églises membres dans 70 pays sur tous les continents.

     Parallèlement, le Conseil œcuménique réformé (REC) a été créé en 1946. Il regroupait t des Églises qui n’avaient aucun autre lien œcuménique au niveau international et qui s’étaient engagées à se soutenir mutuellement dans une unité confessionnelle réformée. Le Conseil œcuménique réformé comptait 41 Églises et 12 millions d’adhérents dans 26 pays, dont la majorité en Afrique et en Asie.

     En 2010, à Grand Rapids, au Michigan (USA), l’Alliance réformée mondiale et le Conseil œcuménique réformé ont fusionné pour former la Communion mondiale d’Églises réformées [4].

     Appelée à la communion et engagée pour la justice, la CMER favorise l’unité de l’église et coordonne les initiatives en faveur de la mission, de la réflexion et de la formation théologique, du renouveau de l’église, de la justice et du dialogue.

Fédération Luthérienne Mondiale

     La Fédération Luthérienne Mondiale a été créée en 1947 en tant que Fédération des Églises luthériennes. Fondée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à une époque où les Églises luthériennes aspiraient à une plus grande fraternité et solidarité entre elles [5] repose sur quatre piliers :

    1. Sauver les nécessiteux
    2. Initiatives communes en mission
    3. Efforts conjoints en théologie
    4. Une réponse commune au défi œcuménique.

Elle est actuellement présidée par Le pasteur Musa Panti Filibus, archevêque de l’Église luthérienne du Christ au Nigéria (LCCN)

Alliance évangélique mondiale (AEM)

     L’Alliance évangélique mondiale est une organisation mondiale  interdénominationnelle d’églises chrétiennes évangéliques et protestantes fondée en 1846 à Londres, en Angleterre.
Elle regroupe 143 alliances nationales d’Églises, 104 associations membres et 6 commissions.
C’est la plus importante organisation internationale d’Églises évangéliques et protestantes. Elle a son siège à Deerfield (Illinois), aux États-Unis. Cette organisation ne regroupe qu’une partie des églises chrétiennes évangéliques.

Son secrétaire général est le théologien allemand Thomas Schirrmacher.

Les organismes européens de communion

Conférence des Eglises Européennes

    La Conférence des Églises européennes[6] est née de l’Europe fragmentée et divisée des années 1940 et 1950. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a réellement eu besoin de surmonter les divisions politiques et d’œuvrer à la guérison et à la paix.

     À cette époque, un petit groupe de dirigeants d’Églises d’Europe de l’Est et de l’Ouest commença à considérer la possibilité de rassembler les Églises de pays européens séparés par des systèmes politiques, économiques et sociaux différents.

     Les premières réunions préparatoires ont eu lieu en 1953 et 1957 et, en 1959, les représentants de plus de 40 Églises se sont réunis à Nyborg (Danemark) pour la première assemblée officielle de la Conférence des Églises européennes .

     Aujourd’hui, la KEK est une association de 114 églises orthodoxes, protestantes et anglicanes de tous les pays d’Europe. Un réseau de conseils nationaux d’Églises nous maintient en contact avec les préoccupations nationales et régionales et les organisations en partenariat développent notre expertise dans un certain nombre de domaines, notamment la théologie publique, la paix et la réconciliation et les droits de l’homme, avec une forte participation des femmes et des jeunes dans les Églises.

Communion des Eglises Protestantes en Europe (CEPE)

       Elle rassemble les Eglises signataires de la concorde de Leuenberg [7] (majoritairement en Europe, et majoritairement luthéro-réformées).   (Je reviendrai plus en détail dans un prochain article sur cet accord fondamental)

     Le texte de la concorde de Leuenberg est bref. Une formulation consensuelle aboutit au constat que les condamnations ne concernent plus l’autre tradition dans l’état actuel de sa doctrine.
     La déclaration de la communion et la reconnaissance mutuelle que l’autre famille est une expression authentique de l’unique Église du Christ. Cette reconnaissance inclut la communion de chaire et d’autel.

     La concorde de Leuenberg permet de dépasser les anathèmes hérités de l’histoire qui interdisaient pareille reconnaissance mutuelle. La reconnaissance des ministères est la conséquence de la communion dans la Parole et les Sacrements, condition nécessaire et suffisante de la vraie unité de l’Église.

Portée œcuménique

     La compréhension de l’unité ainsi que la méthode de la concorde de Leuenberg ont conduit à des démarches analogues aux États-Unis et au Proche-Orient.
     Les Églises méthodistes européennes ont par une déclaration complémentaire rejoint les Églises signataires de la concorde de Leuenberg en 1997, et formé avec ces dernières la CEPE en 2003.
     Dans divers pays européens la communion anglicane a mené des dialogues qui ont conduit à des affirmations et des déclarations de communion avec les Églises de la CEPE.
        • L’affirmation commune de Meissen en Allemagne (1987);
        • anglicans et Églises scandinaves (1993)
        • les accords de Reuilly[9](anglicans et Églises luthériennes et réformés françaises en 2001) ont conduit à une reconnaissance mutuelle et à des échanges de ministres, même si l’exercice commun de l’épiscopat n’est pas encore partout possible.

Les structures nationales de communion

Résultant de la concorde de Leuenberg

          En France , le résultat de la concorde de Leuenberg conduit à la création en 2006, de l’ Union des Eglises Protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL) constituée par les Églises luthérienne (EPCAAL) et réformée (EPRAL) d’Alsace et de Lorraine. (Eglises françaises concordataires).
Chacune des Églises a ainsi rassemblé ses pasteurs dans un corps pastoral unique et a délégué à l’Union une grande partie de ses compétences pour conduire des actions communes.
    De même l’ Eglise Protestante Unie de France -Communion luthéro-réformée est née de l’union de l’Église évangélique luthérienne de France (EELF) et de l’Église réformée de France (ERF)  en 2012, suite aux synodes conjoints de Belfort.

Fédération Protestante de France (FPF)

     La Fédération protestante de France [10] est créée le 25 octobre 1905. C’est une association à but non lucratif loi de 1901, religieuse mais non cultuelle, qui a pour but de représenter et de rassembler les différentes Églises et associations protestantes de France.

    •      Une trentaine d’union d’Églises issues de toutes les sensibilités du protestantisme (réformée, luthérienne, évangélique, pentecôtiste, adventiste), soit plus de 1 400 paroisses avec 1 600 pasteur(e)s
    • plus de 80 Associations, regroupant 500 Institutions, Œuvres et Mouvements agissant dans divers secteurs (médico-social, d’accueil, de la jeunesse, culturel, etc.).

     La FPF favorise le partage et le débat en son sein, pour fortifier le lien qui unit ses membres : les Églises, les communautés, les institutions, les œuvres et les mouvements.
Elle est présente dans la société par la réflexion et le travail de ses commissions : Écologie et justice climatique, Éthique et société, Droit et liberté religieuse, Jeunesse, Relations avec l’islam, Relations avec le judaïsme, Conseil scolaire, et de ses quatre aumôneries* : aux Armées françaises, aux Prisons, aux Établissements sanitaires et médico-sociaux et aux Aéroports.

La Fédération est présidée par le pasteur Christian Krieger depuis le 1er juillet 2022.

Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF)

     Le Conseil national des évangéliques de France [11] est une alliance évangélique nationale affiliée à l’Alliance évangélique mondiale et l’Alliance évangélique européenne.

     Le 15 juin 2010, se tient la première assemblée générale avec 200 délégués, durant laquelle les textes statuaires sont adoptés, créant officiellement le CNEF

Le CNEF regroupe 33 confessions chrétiennes évangéliques et 172 œuvres en France. L’organisation estime représenter 70% des 2 689 églises évangéliques et de ses 745 000 pratiquants.

Son président est le pasteur baptiste Erwan Cloarec depuis le 7 juin 2022.

[3] Texte : http://www.catho.org/9.php?d=3t ; Analyse : MEHL Roger. Chronique Œcuménique. Baptême, eucharistie, ministère. In: Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 63e année n°4, Octobre-décembre 1983. pp. 447-453. www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1983_num_63_4_4734
[7] La Concorde de Leuenberg (CL) est la charte fondamentale qui établit et réalise l’unité de l’Église entre les traditions de la Réforme en Europe. Ce document déclarant la communion ecclésiale entre les Églises luthériennes,  réformées,  unies,  vaudoises et les frères moraves a été finalisé en 1973 au centre de séminaire de Leuenberg, à proximité de Bâle (Suisse). C’ est ce texte qui a conduit après 1997 et la signature des Églises méthodistes européennes à la Communion d’Églises protestantes en Europe (CEPE).

XXXIX Les grands accords œcuméniques du XX° siècle. I

La concorde de Leuenberg (1973)

Deux « outils » majeurs vont être mis en œuvre:

Le concept de Promissio:

     « La Parole de Dieu est comprise de façon dynamique comme proclamation de la promesse (promissio) de la présence salvatrice de Dieu et réalisation de l’alliance universelle de Dieu. »[1]. Ce concept est la clef pour comprendre la manière dont les divergences ont été dépassées. On le trouve  dans les discussions sur le baptême (Arnoldshain III-1) et sur la Sainte-Cène (Arnoldshain II-2) [2].

     C’est par l’Ecriture en tant que parole proclamée que Dieu agit en celui qui l’écoute et accueille son salut. Cette proclamation de la parole est auto-communication de Dieu et présence de Jésus-Christ par l’Esprit-Saint. [3]

Le consensus différencié:

     Il comprend les différences doctrinales comme source d’enrichissement mutuel et non plus comme source de séparation (Rencontres de Bad-Schauenburg).

     André Birmelé le définit ainsi [4]: « Le consensus est la relation qui existe entre deux exposés qui ne sont pas séparateurs d’Eglises tout en étant des exposés différents d’une même vérité fondamentale. Il est différencié c’est-à-dire capable d’accepter des différences…/…qui, lorsqu’elles ne remettent plus en question l’affirmation commune, expriment une légitime diversité »

Le texte  [5]

     Les Eglises concernées sont les Églises Luthériennes et Réformées, les Églises Unies qui en sont issues, ainsi que les Églises des Vaudois et des Frères Moraves qui leur sont apparentées qui constatent « une compréhension commune de l’évangile » telle qu’ exposé dans la concorde, qui « leur permet de déclarer entre elles la communion ecclésiale, et de la réaliser » et une même compréhension de l’unité de l’Eglise (cl 1. et 2.)   qui est la reprise littérale de la Confession d’Augsbourg n°13 “De l’Eglise” [6]: « la condition nécessaire et suffisante de la vraie unité de l’Église est l’accord dans la prédication fidèle de l’Évangile et l’administration fidèle des sacrements. »

I – Le cheminement vers la communion

     Les éléments communs: à l’origine de la Réforme ces Eglises se sont fondées « sur une expérience nouvelle de l’Évangile comme porteur de liberté et de certitude »  en posant l’Evangile comme norme de vie et de doctrine et « la grâce libre et inconditionnelle de Dieu » manifesté en Jésus-Christ. (cl 4) Le texte constate que les évolutions des façons de vivre l’Eglise et l’approfondissement de la théologie permettent une compréhension renouvelée et convergente de la situation ecclésiale. (cl 5.)

II – La compréhension commune de l’Évangile

        1. Le message de la justification

     En tant que message de la libre grâce de Dieu, le message de la justification est réaffirmé par le rappel de la doctrine telle que formulée au XVI° siècle (cl 12.e).  « L’Évangile proclame Jésus Christ, le salut du monde, accomplissement de la promesse faite au peuple de l’ancienne Alliance. Les Réformateurs en ont la juste compréhension dans la doctrine de la justification. »( cl 7.-8.a)

     Cette “juste compréhension” n’est pas doctrinale, mais compréhension de l’action salvatrice de Dieu en Jésus-Christ comme don justifiant à l’homme pécheur moyennant la foi. Cette compréhension s’articule autour de quatre affirmations relevées par Marc Lienhard: [7]

          • Le Christ lui-même est le centre de l’Ecriture (cl 2)
          • Le message de la justification a nécessairement des conséquences éthiques (cl 11)
          • La justification a toujours une dimension eschatologique (cl 9)
          • Elle a une dimension ecclésiologique (cl 10)

Il y a accord sur : « Christ médiateur du salut et fondement unique de toute vie ecclésiale et de tout enseignement. Ce salut est justification du pécheur par la foi seule, il est donné dans la prédication de la Parole et la célébration des sacrements conformément à sa parole » [8]

        1. Prédication, baptême et cène

     (cl 13): « L’Évangile nous est fondamentalement attesté par la parole des apôtres et des prophètes dans les saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testaments. L’Église est chargée de transmettre cet Évangile par la parole orale dans la prédication, et par l’exhortation individuelle, par le baptême et la cène » 

a) Baptême (cl 14a): Pour Calvin « le baptême représente particulièrement deux choses : la purification que nous obtenons par le sang de Christ, et la mortification de notre chair que nous avons eue par sa mort”[9]. Pour Luther le Baptême “opère la rémission des péchés, affranchit de la mort et du diable, et donne le salut éternel à tous ceux qui croient… » [10]

     Là encore le terme “promissio” permet de dépasser ces compréhensions différentes de l’union du divin et de l’humain dans le sacrement. « Un lien est établi entre une compréhension causative et une compréhension cognitive du baptême. [11] “Par la parole proclamée et le bain d’eau, Dieu promet au baptisé sa filiation et la lui donne. Nous sommes, dans la foi, assurés que Dieu accomplit par le  Saint-Esprit qu’il a promis et que nous implorons, ce qu’il promet.”[12].  Arnoldshain parle de “Parole habillée en acte” (Thèse III 2)

b) Cène (cl 14b): Tous les dialogues ont abordé ce sujet difficile et à l’origine de toutes les controverses entre les réformateurs dès l’origine du mouvement. La solution est trouvée lors des rencontres d’Arnoldshain par une exégèse des textes de l’institution de la Cène que l’on peut résumer ainsi:

            • Dans la Cène Christ lui-même agit. il est présent par sa parole dans l’Esprit-Saint. (II 1)
            • La Cène est une manière choisie par Dieu pour communiquer sa grâce salvatrice (II 2)
            • Cette promesse (promissio) « permet une compréhension dynamique de la parole qui établit un lien étroit entre parole proclamée et éléments de la Cène. Par elle Jésus-Christ s’offre à nous dans son corps et son sang dans le don du pain et du vin» (Explication de la thèse II 2) [13]

III – L’accord face aux condamnations doctrinales de l’époque de la Réforme.

Cène: « Nous ne saurions dissocier la communion avec Jésus Christ en son corps et en son sang de l’acte de manger et de boire. Toute considération du mode de présence du Christ dans la cène qui serait détachée de cet acte risque d’obscurcir le sens de la cène. »( cl 19.)

     En ce sens le mode de présence du Christ dans la Cène est une différence qui reste réelle mais qui n’est plus séparatrice, à partir du moment où la dynamique de la proclamation de la présence du Christ mort et ressuscité pour mon salut et le don de sa grâce justifiante pour moi aujourd’hui, est reconnue et exprimée dans et par “l’acte de manger et de boire” le pain et le vin que Jésus-Christ lui-même a choisi et par lesquels il se donne. (Lyon: explication de la thèse IV) [14]

Christologie: Plus encore pour les questions christologiques la Concorde de Leuenberg propose de dépasser les oppositions en portant l’accent sur l’action de Dieu trinité en faisant des valeurs propres à chaque église des richesses à redécouvrir et à partager (cl 22.)

Prédestination: Elle est prédestination au Salut. Et seulement cela.

Conséquences: Là où il y a accord sur les points précédents « les condamnations contenues dans les confessions de la Réforme à propos de la cène, de la christologie et de la prédestination ne concernent pas la doctrine dans son état actuel. » (cl 27.)

IV – Déclaration et réalisation de la communion ecclésiale

« La communion ecclésiale au sens de la présente Concorde signifie que des Églises de traditions confessionnelles différentes, se fondant sur l’accord auquel elles sont parvenues dans la compréhension de l’Évangile, se déclarent mutuellement en communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements et s’efforcent de parvenir à la plus grande unité possible dans le témoignage et le service envers le monde. » (cl 29)

        1. Déclaration de la communion ecclésiale

Les églises signataires de la Concorde  « se déclarent mutuellement en communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements. Cela inclut la reconnaissance mutuelle des ordinations et la possibilité de l’intercélébration. » (cl 33.c)

     Sur le plan œcuménique la déclaration de cl 34 est essentielle: « Les Églises participantes ont la conviction qu’elles font partie ensemble de l’unique Église de Jésus Christ ». Dire que les églises signataires font partie ensemble de l’unique Eglise de Jésus-Christ signifie que cette Eglise de Jésus-Christ est plus grande que cet ensemble.

        1. Réalisation de la communion ecclésiale

Par le témoignage et le service ; la poursuite du travail théologique ; la compréhension commune de l’Evangile ; l’étude des questions doctrinales qui persistent.

Chaque église conserve ses dispositions: « la déclaration de communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements et la reconnaissance mutuelle des ordinations, ne porte pas atteinte aux dispositions en vigueur dans les Églises concernant l’engagement au ministère pastoral, l’exercice de ce ministère et l’organisation de la vie paroissiale. » (cl 43)

Conclusion: développement

     Quatre-vingt-dix-huit églises ont signé la Concorde de Leuenberg depuis 1973 en tant qu’Eglises dites signataires.

     Sept Eglises méthodistes appartiennent à la Communauté des Eglises protestantes en Europe sur la base d’une “Déclaration commune à l’Eglise”.

     Sur cinq Églises luthériennes scandinaves, qui ont participé à la Fraternité de l’Église de Leuenberg depuis 1973 en tant qu’Églises participantes, deux Églises (Danemark et Norvège) ont signé l’Accord de Leuenberg.

     Le cardinal Ratzinger lui-même écrivait en 1981 que « la voie sur laquelle on s’est engagé avec la Concorde de Leuenberg conclue entre Églises luthériennes et réformées devrait trouver un prolongement correspondant entre les Églises de la Réforme et l’Église catholique romaine » Une première application de ce modèle au dialogue avec Rome sera la Déclaration commune à propos de la doctrine de la justification signée en 1999. On parviendra à un consensus différencié à propos de cette conviction centrale sans cependant pouvoir, pour le moment et à la différence des dialogues entre les familles marquées par la Réforme, déboucher sur une déclaration de communion ecclésiale [15]

[1] 1964-1967: Les rencontres de Bad-Schauenburg sur l’évolution historique des deux traditions : Thèse 1 in : BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques, Coll. Cogitatio fidei n°141, Le Cerf Paris 1986. ISBN 2-204-02609-3 p. 406
[2] Sur une base exégétique et historique, la présence réelle du Christ est comprise comme liée aux  éléments de la Cène. https://de.wikipedia.org/wiki/Arnoldshainer_Abendmahlsthesen
[3] 1964-1967: Les rencontres de Bad-Schauenburg sur l’évolution historique des deux traditions : Thèse 3 : in BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques, op. cit. p. 408
[4] BIRMELE André. La communion ecclésiale. Progrès œcuméniques et enjeux théologiques. Coll. Cogitatio fidei n°218, Le Cerf Paris 2000. ISBN 2-204-06435-1 p. 286
[6] BIRMELE André et LIENHARD Marc. La foi des églises Luthériennes. Le Cerf Paris 1991. La Confession d’Augsbourg, art VII, p.46
[7] Cité par BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 413 note 95
[8] BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 414
[9] Jean CALVIN, brève Instruction Chrétienne, 5ème partie « des sacrements »  in:  http://www.servir.caef.net/?p=5562
[10] BIRMELE André et LIENHARD Marc. La foi des églises Luthériennes. op.cit. Le petit catéchisme de Luther p.311
[11] BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 408
[12] Thèse sur le baptême Arnoldshain 1959 Cité par André BIRMELE op. cit. p.408
[13] Cité in BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 410
[14] Cité in BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 410
[15] BIRMELE André. De Luther à Leuenberg. Revue d’histoire et de philosophie religieuses. 2005, tome 85 n° 1, janvier-Mars 2005. La réformation un temps, des hommes, un message. Hommage à Marc Lienhard à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire. pp. 137-150. www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2005_num_85_1_1122

XL Les grands accords œcuméniques du XX° siècle. II

La déclaration conjointe sur la doctrine de la justification par la foi (DCDJ) (1999)

     Un peu de vocabulaire pour commencer : On trouve beaucoup d’articles qui parlent de déclaration commune. La page de recherche Google est à ce sujet révélatrice.
Or il faut être précis: même si dans la déclaration on trouve « ensemble nous déclarons que…» chaque Eglise signataire, et par la suite les Eglises ou fédération d’Eglises qui s’y sont associées, ont tenu à rédiger un addendum pour préciser ce que signifiait leur adhésion.
     Il s’agit donc bien pour chaque Eglise ou fédération d’Eglises de déclarer conjointement que leur manière d’exprimer la doctrine de la justification par la foi n’est pas séparatrice des autres Eglises ou fédération d’Eglises signataires, mais que cette expression ne peut être pleinement commune en l’état des choses.
GF

La déclaration conjointe sur la doctrine de la justification (DCDJ) [1] de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique a été signée à Augsbourg le 31 octobre 1999 par le cardinal Cassidy, représentant de l’Église catholique, et l’évêque Krause, président de la Fédération mondiale luthérienne. Le choix d’Augsbourg pour cette signature était particulièrement symbolique, et se voulait un écho à la Confession d’Augsbourg considéré comme le point de divergence théologique fondamental entre catholiques et luthériens.

Un peu d’histoire [2]

 

     Ce qui importe au professeur Luther jusqu’en 1515 c’est la question: qui est sauvé ? Et plus important encore : serai-je sauvé ?

     À cette question, l’Église apporte une réponse qui le plonge dans le tourment. Pour obtenir le salut, dit-elle, il faut refuser le péché, recevoir les sacrements et agir comme Dieu le demande. Refuser le péché ? Luther pense, que notre tendance peccamineuse est si forte que nous ne pouvons lui échapper. L’homme reste pécheur toute sa vie : s’il doit compter sur ses mérites, il est ne peut être trouvé digne du salut.  Alors nous serons damnés. Alors je serai damné. Cette idée, bien sûr, lui semble incohérente avec un Dieu sauveur.

Une Europe inquiète

     Le Réformateur n’est pas une anomalie dans l’Europe des premières années du XVIe siècle. Si Luther est angoissé, l’époque l’est aussi. Dans ce contexte, la préoccupation du salut personnel devient centrale.

     C’est nouveau. Aux siècles précédents, l’individu ne pesait guère, et le salut était une conception beaucoup plus communautaire. Cette angoisse des hommes qui s’inquiètent de savoir ce qu’il adviendra d’eux personnellement dans l’au-delà se traduit par la multiplication des Ars moriendi – ou « art de mourir » –, de petits livres de piété qui permettent aux chrétiens de se préparer au grand passage.

     Luther, lui, se plonge dans les Écritures pour y trouver les réponses à sa quête de sens et sa peur de la damnation. Et finalement, au cours de l’année 1515, il trouve. C’est dans la Lettre de saint Paul aux Romains (3, 28) : « L’homme est justifié par la foi, indépendamment des œuvres de la Loi. »

     Pour Luther, la conclusion à tirer est simple : « Les péchés nous sont remis non à cause de nos œuvres, mais par la seule miséricorde de Dieu, qui ne nous les impute pas. » Et il précise encore : « Nous sommes pécheurs à nos yeux et malgré cela nous sommes justes devant Dieu par la foi. » Que veut dire le théologien allemand ? Que le salut provient de la seule grâce de Dieu, accordée gratuitement, qui suscite la foi dans le cœur du croyant. Sola gratia, sola fide « la grâce seule, la foi seule ». Ces deux points fondamentaux réunissent l’ensemble des confessions protestantes. La perversion radicale que l’homme porte en lui depuis le péché originel devrait nous condamner au feu éternel. Mais Dieu pardonne sans contrepartie, et le chrétien qui a confiance en Lui est sauvé.

Contre les indulgences

     L’idée n’est pas neuve : on la trouve chez saint Augustin (354-430) – et Luther, précisément, est un temps membre de l’ordre des Augustins. L’évêque d’Hippone, dans une controverse qui l’avait alors opposé au moine Pélage, avait en effet défendu l’idée que c’est la grâce de Dieu qui sauve et non ce que fait ou ne fait pas le chrétien durant son existence. L’orientation d’Augustin l’avait emportée, et il avait même été fait Père de l’Église. En défendant la justification par la foi, Luther est donc bien loin d’imaginer être suspecté d’hérésie.

     La foi seule sauve et non les œuvres. Et surtout pas les fausses bonnes œuvres acquises par l’argent. Le 31 octobre 1517, Luther l’affirme pour la première fois au grand jour. Dans les 95 thèses qu’il placarde sur les portes de l’église de Wittenberg, il s’en prend aux indulgences. De quoi s’agit-il ? On a un peu raccourci le débat à son aspect financier (remises de peine que les fidèles peuvent acheter en espèces sonnantes et trébuchantes afin de raccourcir le séjour au purgatoire de défunts qui leur sont chers, ou pour préparer leur propre trépas en limitant autant que possible la durée de leurs souffrances à venir dans le feu purificateur.). Mais c’est bien à cause de cet aspect financier que Luther est poursuivi d’abord par l’évêque et ensuite par le pape.

Sitôt que la pièce sonne dans le tronc, l’âme s’envole du purgatoire.

Johann Tetzel o.p.

    La foi seule sauve et non les œuvres. Et surtout pas les fausses bonnes œuvres acquises par l’argent. Le 31 octobre 1517, Luther l’affirme pour la première fois au grand jour. Dans les 95 thèses qu’il placarde sur les portes de l’église de Wittenberg, il s’en prend aux indulgences.

     De quoi s’agit-il ? On a un peu raccourci le débat à son aspect financier (remises de peine que les fidèles peuvent acheter en espèces sonnantes et trébuchantes afin de raccourcir le séjour au purgatoire de défunts qui leur sont chers, ou pour préparer leur propre trépas en limitant autant que possible la durée de leurs souffrances à venir dans le feu purificateur. Mais c’est bien à cause de cet aspect financier que Luther est poursuivi d’abord par l’évêque et ensuite par le pape.). Ce n’est pas la seule pratique du commerce des indulgences que critique Luther, c’est aussi ce qui la fonde : l’idée que l’homme peut contribuer à son propre salut. La question de la justification est donc bien au cœur de la rupture de 1517.

Un rapprochement 

     Face à Luther, l’Église ne remet nullement en question sa doctrine, qui sera d’ailleurs confirmée et approfondie par le concile de Trente (1545-1563) : pour elle, si la grâce de Dieu est nécessaire, les œuvres aussi contribuent au salut. Les œuvres, c’est-à-dire ce qu’un chrétien fait dans la perspective de son salut.

      De quoi s’agit-il ? De la réalisation d’un certain nombre de pratiques, comme l’assistance à la messe ou la récitation de prières, mais aussi de la réception des sacrements, indispensables « moyens du salut », ou encore de ce que l’on entend habituellement par l’expression « bonnes œuvres », c’est-à-dire les actes charitables que le Christ attend de ses fidèles. Le chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu en particulier justifie cet attachement aux œuvres chez les catholiques. Le salut y apparaît comme une récompense accordée, au jour du Jugement, à ceux qui ont bien agi, ont donné à boire et à manger aux pauvres, ont visité les prisonniers, ont consolé les affligés. Les œuvres, donc, ne sauraient être suffisantes pour se sauver, mais elles sont malgré tout nécessaires.

Alors que la justification est à l’origine de la rupture entre catholiques et protestants, c’est paradoxalement sur cette question que le rapprochement le plus important a été réalisé par la DCDJ.

Le plan

  L’ ensemble comporte quarante quatre numéros, sous le titre « La Doctrine de la justification » auquel a été adjoint le sous-titre « Déclaration commune de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique romaine ».

    • On a tout d’abord un Préambule ; il situe brièvement le texte qui va suivre à la fois dans le contexte qui a conduit à son élaboration et selon la finalité que lui donnent ses signataires (n° 1 à 7).
    • Vient alors un premier développement, consacré au message biblique concernant la justification. Les membres des deux Eglises se sont mis « à l’écoute de la Parole de Dieu dans l’Ecriture Sainte » (n° 8-12). Fondamentalement, ils entendent bien ne faire qu’en répercuter l’enseignement.
    • Reprenant, pour en souligner l’importance, un point qui est déjà venu dans le préambule, un deuxième développement, très bref (le n° 13), vient souligner le caractère « fondamental et indispensable d’une réflexion sur la justification».
    • Du n° 14 au n° 18, est exposé ce qui est appelé la « compréhension commune de la justification». C’est un fait, nous dit-on, que sur ce point de doctrine capital, il y a « consensus dans les vérités fondamentales ».
    • Cette compréhension commune est ensuite explicitée, puis développée en détail.

     Sept points sont alors successivement abordés, dans le but de manifester comment les deux instances partenaires se situent à propos de chacun d’eux.

    • Le premier prend en compte la position de départ, qui est celle de l’homme devant Dieu : avant de parler d’une justification, on traite de la situation de celui qui est susceptible de la recevoir. Celle-ci est caractérisée comme « I’ incapacité et le péché de la personne humaine face à la justification» (n° 19 à 21).
    • Un deuxième point expose que l’intervention de la justification a pour effet de pardonner le péché et de rendre juste (n° 22-24), avant qu’un troisième point vienne préciser que cet effet est atteint « par la grâce moyennant la foi» (n° 25-27).
    • On continue en détaillant assez longuement ce qui résulte en l’homme de la justification que Dieu lui donne en Christ, à savoir : l’état (ou l’existence) de « pécheur justifié» (n° 28-30).

    Restent trois points pour exposer quelques conséquences de la justification ainsi donnée à l’homme, et qui le met en l’état qui a ensuite été précisé. On nous explique successivement :

    • Comment comprendre le passage, effectivement accompli pour le justifié, du régime de la Loi à celui de l’Evangile (n° 31-33) ;
    • La certitude du salut dans laquelle il est désormais établi (n° 34-36) ;
    • La valeur salvifique réelle des bonnes œuvres qu’il est en mesure d’accomplir une fois justifié (n° 37-39).

     L’ensemble du document se clôt sur un dernier développement, qui consacre les cinq derniers numéros de la Déclaration (n° 40-44) à la signification et à la portée du consensus obtenu.

Un accord largement reçu

 

Déclaration entre luthériens et catholiques à Augsbourg 

     La déclaration a été signée à Augsbourg le 31 octobre 1999 [3] par le cardinal Edward Cassidy, représentant de l’Église catholique, et l’évêque Christian Krause, président de la Fédération mondiale luthérienne.

Elle constitue une étape fondamentale dans le rapprochement entre l’Église catholique et les Églises luthériennes.

Déclaration entre méthodistes, catholiques et luthériens à Séoul

 

       Le 18 juillet 2006 la déclaration a été signée [4] par le Conseil méthodiste mondial  en présence du cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, du révérend Ismael Noko, secrétaire général de la Fédération luthérienne mondiale et du pasteur Samuel Kobia, lui-même méthodiste et secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE) et approuvé lors des travaux de la Conférence mondiale des méthodistes le 23 juillet 2006 à Séoul (Corée du sud) [5].

     Le Conseil méthodiste mondial regroupe les Eglises méthodistes de 132 pays rassemblant environ 75 millions de fidèles, selon le site de l’Eglise méthodiste. Il représente un courant du protestantisme né au XVIIIe siècle en Angleterre sous l’impulsion de John Wesley

     Le Conseil méthodiste a également adopté une résolution autorisant la poursuite d’un dialogue débuté en 1966 avec l’Eglise catholique avec pour objectif la pleine communion dans la foi, la mission et la vie sacramentelle.

Déclaration entre la Communion Mondiale d’Eglises Réformées (CMR) et les Eglise Catholiques, Luthériennes et Méthodistes à Wittenberg

 

     Un demi-millénaire après que Martin Luther a affiché ses 95 thèses sur la porte d’une église à Wittenberg, la Communion mondiale d’Églises réformées (CMER) qui constitue l’une des entités les plus importantes du monde protestant (environ 80 millions de fidèles) s’est associée officiellement à la déclaration sur la justification lors d’un culte œcuménique le 5 juillet 2017 à l’église de Wittenberg, avec des responsables des Églises catholiques, luthériennes et méthodistes [6].

La Communion Anglicane rejoint la Déclaration Conjointe sur la Doctrine de la Justification

     Le 31 octobre 2017, dernier jour de l’année jubilaire marquant le 500e anniversaire de la Réforme protestante, au cours d’un service spécial à l’abbaye de Westminster, des représentants de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique romaine ont reçu l’affirmation par la Communion anglicane de la Déclaration commune sur la doctrine de la justification.

     Justin Welby  archevêque de Cantorbéry, Primat de la Communion Anglicane, a présenté au secrétaire général de la FLM, le révérend Martin Junge, et au secrétaire du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, l’évêque Brian Farrell, la résolution de 2016 du Conseil consultatif anglican (ACC) « saluant et confirmant le contenu de le JDDJ.

     L’événement s’est déroulé en présence des secrétaires généraux du Conseil Méthodiste Mondial (CMM) et de la Communion mondiale des Églises réformées (CMER ), respectivement le révérend Ivan Abrahams et le révérend Dr Chris Ferguson. [7]

[2] Intervention de Mgr Joseph Doré lors de la journée d’étude sur la DCDJ de la Commission doctrinale et de la Commission pour l’unité des Chrétiens :  https://www.portstnicolas.org/pont/l-oecumenisme/enjeux-et-contenu-de-la-declaration-commune-luthero-catholique-sur-la-justification
[3] Pour l’histoire du texte et sa théologie voir : FEDOU Michel. L’accord luthéro-catholique sur la justification dans la NRT 122-1 (2000) p. 37-50 en ligne in : https://www.nrt.be/fr/articles/l-accord-luthero-catholique-sur-la-justification-474
[6] Déclaration méthodiste d’association avec la Déclaration Conjointe sur la Doctrine de la Justification :  https://www.anglicancommunion.org/media/460312/ecumenism_joint-declaration_2019_fr.pdf
[7] Conseil consultatif anglican Résolution 16.17. in : https://www.anglicancommunion.org/media/460312/ecumenism_joint-declaration_2019_fr.pdf p. 43

XL Les grands accords œcuméniques du XX° siècle. III

Accord de Bonn

L’Accord de Bonn est le nom d’un accord inter-ecclésial passé en 1931 entre la Conférence internationale des évêques vieux-catholiques de l’Union d’Utrecht [1] et les Églises de la Communion Anglicane, consacrant une intercommunion qui se fonde sur la reconnaissance réciproque de la catholicité et de l’indépendance organique et spirituelle de chacune des communions [2]. Cet accord inclu la communion de chaire et d’autel.

Histoire

     Au sortir de Vatican I, en 1870, une partie des catholiques – particulièrement issue des pays germaniques (Allemagne, Autriche, Suisse) – refusent certaines décisions du concile [3]

Du côté anglican, le prélat Christopher Wordsworth et surtout l’homme politique William Gladstone – qui ne cache pas ses sympathies pour les réformateurs œuvrent au rapprochement de ces communautés catholiques séparées de Rome. La portée anti-sociale du Syllabus puis les décisions vaticanes vers un renforcement de la juridiction universelle ont pour effet de rapprocher anglicans et Vieux-Catholiques contre le « Vaticanisme »

     En 1908, la Société Saint Willibrord -nommée d’après Willibrord d’Utrecht- est créée dans le but d’œuvrer au rapprochement des deux Églises en établissant un climat de confiance et de sympathie réciproque. Le processus bénéficie de l’essor œcuménique qui apparait après la Première Guerre mondiale et une commission est mise en place sous la houlette de l’évêque Vieux-Catholique d’Utrecht Franciscus Kenninck  afin de résoudre le problème de la reconnaissance de la validité des ordinations anglicanes.

     En 1925, la commission émet un avis favorable auquel souscrivent les Vieux-Catholiques Hollandais dans leur ensemble, qui rejoignent ainsi les Églises allemandes et les suisses, levant de la sorte le plus important obstacle au rapprochement.

Quelques semaines plus tard, réunie à Berne, la Conférence épiscopale vieille-catholique -organe de rassemblement des églises de l’Union d’Utrecht mais sans pouvoir ecclésiastique- exprime officiellement le vœu de voir l’avènement d’une étroite communion avec l’Église d’Angleterre et les Églises qui en sont issues, sur un terrain vraiment catholique.

     En 1931, réunis à Bonn (Allemagne), les représentants des deux communions arrivent rapidement à un accord formulé le 2 juillet 1931 dans des conclusions qui prennent le nom d’Accord de Bonn.

     Le 7 septembre 1931 la Conférence des évêques vieux-catholiques annonce les résolutions suivantes, brièvement formulées :

    1. La Conférence des évêques vieux-catholiques de l’Union d’Utrecht, réunie à Vienne, le 7 septembre 1931, accepte l’intercommunion des Églises vieilles-catholiques avec la Communion anglicane, la validité des ordres anglicans ayant été reconnue.
    2. L’intercommunion consiste dans l’admission réciproque des membres des deux Communions ecclésiastiques aux sacrements.
    3. L’intercommunion n’exige d’aucune des deux Communions ecclésiastiques l’adoption de toutes les opinions doctrinales, de toutes les formes de piété sacramentelle ou de toutes les pratiques liturgiques propres à l’autre, mais elle implique que chacune croit que l’autre persévère dans tout ce qui est essentiel à la foi chrétienne.

     Le texte – soumis à l’approbation des autorités compétentes de chacune des deux communions – marque la reconnaissance réciproque de la catholicité et de l’indépendance organique et spirituelle de chacune des communions et privilégie ainsi l’approche de l’intercommunion par rapport à celle d’une union formelle.

     L’accord constate l’accord des deux communions sur les points essentiels de la doctrine et de l’institution de l’Église qui permet la reconnaissance d’une commune réalité et volonté catholique et apostolique, tout en empêchant un alignement doctrinale complet, certaines divergences existant encore dans les domaines de l’interprétation et de la pratique.

[1] Dissidence d’avec l’Église Catholique Romaine en 1889, se regroupant autour de la Conférence internationale des évêques Vieux-Catholiques qui souscrivent à la Déclaration d’Utrecht (https://www.mivica.org/declaration-utrecht

XLI Les grands accords œcuméniques du XX° siècle. IV

Pays dont des Églises sont membres de la Communion de Porvoo.
Les Églises de la Communion anglicane ont leur nom en magenta ou violet, les Églises luthériennes nordiques et baltes l’ont en rouge

Communion de Porvoo (1994)

Historique.

     De profonds changements ont balayé l’Europe du Nord au cours des dernières années du 20eme siècle. De nouveaux liens, se développent, dans le domaine du commerce, de l’éducation, du tourisme et lors de consultations sur des questions d’environnement, entre les régions Nordique/ Baltique et Britannique/Irlandaise. Dans le contexte de cette évolution rapide, les Églises Anglicanes et Luthériennes présentent la vision de douze Églises, rassemblant 50 millions de chrétiens, entrant dans une communion plus étroite et partageant diverses formes de coopérations pratiques dans le cadre de leur mission contemporaine.

L’affirmation commune de Porvoo

L’affirmation commune de Porvoo[1] est le résultat de plusieurs influences majeures :

      • La première vient de la série de Conversations Théologiques tenues entre Anglicans et Luthériens dans la région Nordique/Baltique de 1909 à 1951 et des accords auxquels ces conversations ont abouti
      • Deuxièmement, la connaissance mutuelle de ces Églises a été fortifiée par d’autres événements qui n’étaient pas directement liés à la question de l’unité ecclésiale, notamment la série des conversations théologiques Anglo-Scandinaves (commencées en 1929) et de conférences pastorales (commencées en 1978) qui se poursuivent encore.
      • Troisièmement un nouveau climat pour les débats théologiques est né des dialogues œcuméniques bilatéraux et multilatéraux des années 70 et 80, comme l’attestent les rapports suivants: Pullach 1973, Lima (BEM) 1982, Helsinki 1982, Cold Ash 1983, et Niagara 1988 . Ce dernier rapport, en particulier, éclaire de façon nouvelle de vieilles questions de foi et constitution.

     L’incitation à poursuivre au-delà des premiers accords vint de l’initiative personnelle de de l’Archevêque Robert Runcie (Canterbury) et de l’archevêque Bertil Werkström (Uppsala), associée aux efforts de ces responsables qui ont assuré l’organisation préparatoire ; leur vision et leur détermination ont assuré que chaque pays participant donne une réponse positive.

Une impulsion supplémentaire vint de l’accord Luthéro-Episcopal de 1982 aux États-Unis et de l’Affirmation Commune de Meissen de 1988 entre l’Église d’Angleterre et les Églises Évangéliques de l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest.

Chacun de ces accords a conduit à l’hospitalité eucharistique réciproque, dans une certaine mesure à un partage du ministère ordonné à l’occasion à des célébrations communes de l’eucharistie, et à un engagement dans une vie et une mission communes.

La Communion de Porvoo  [2]

C’est la communauté formée par l’accord signé le 13 octobre 1992 entre treize Églises protestantes historiques d’Europe appelée « Déclaration de Porvoo[3])

     L’accord qui établit la pleine communion entre les Églises a été négocié en 1994 dans la ville de Porvoo en Finlande. Les Églises concernées sont les Églises anglicanes des Îles Britanniques, les Églises nationales luthériennes des pays nordiques et les Églises luthériennes des pays baltes. Des négociations postérieures ont amené l’adhésion de deux Églises épiscopaliennes (anglicanes) de la péninsule Ibérique.

     Les Églises luthériennes de l’Europe centrale et occidentale n’y participent pas parce que leur manque la continuité historique de l’épiscopat. Ces communautés ecclésiales ont majoritairement décidé d’approuver l’ordination de femmes, quoique la question des femmes évêques fasse débat au sein de la communion anglicane, en particulier dans les rapports entre l’Église d’Angleterre et l’Église du Nigeria.

Églises signataires de la Communion de Porvoo :

    • l’Église d’Angleterre (anglicane)
    • l’Église d’Irlande (anglicane)
    • l’Église épiscopalienne écossaise (anglicane)
    • l’Église au pays de Galles (anglicane)
    • l’Église d’Islande (luthérienne)
    • l’Église de Norvège (luthérienne)
    • l’Église de Suède (luthérienne)
    • l’Église évangélique-luthérienne de Finlande
    • l’Église évangélique-luthérienne estonienne
    • l’Église évangélique-luthérienne de Lituanie
    • l’Église catholique apostolique évangélique lusitanienne du Portugal (anglicane)
    • l’Église épiscopalienne réformée espagnole (anglicane)
    • l’Église du Danemark (luthérienne) depuis octobre 2010
    • Église observatrice : l’Église évangélique-luthérienne de Lettonie
[1] Le texte anglais est le texte définitif et original qui seul fait foi. “The Porvoo Common Statement”, Council for Christian Unity of the General Synod of the Church of England, London, 1993, Copyright © 1993.

XLII Les grands accords œcuméniques du XX° siècle. V

Les Eglises orientales non catholiques avec l’Eglise Catholique Romaine

 

« Ce qui a été dit plus haut de la légitime diversité en matière de culte et de discipline doit s’appliquer aussi à la formulation théologique des doctrines. Effectivement, dans l’effort d’approfondissement de la vérité révélée, les méthodes et les moyens de connaître et d’exprimer les choses divines ont été différents en Orient et en Occident. Il n’est donc pas étonnant que certains aspects du mystère révélé aient été parfois mieux saisis et mieux exposés par l’un que par l’autre, si bien que ces diverses formulations théologiques doivent souvent être considérées comme plus complémentaires qu’opposées. Quant aux traditions théologiques authentiques des Orientaux, on doit le reconnaître, elles sont enracinées de façon excellente dans les Saintes Écritures ; développées et exprimées dans la vie liturgique, elles se nourrissent de la tradition vivante des apôtres, des écrits des Pères orientaux et des auteurs spirituels ; elles portent à une juste façon de vivre, voire à la pleine contemplation de la vérité chrétienne. »

Décret sur l’œcuménisme « Unitatis redintegration »du concile œcuménique Vatican II

    

Les Églises orthodoxes orientales dans le monde :

  • Religion principale (plus de 75%)
  • Religion majoritaire (50% – 75%)
  • Religion minoritaire importante (20% – 50%)
  • Religion minoritaire (5% – 20%)
  • Religion très minoritaire (1% – 5%)
  • Religion très minoritaire (moins de 1%), mais avec autocéphalie locale

Dynamique de ces accords ou déclarations communes

     Je me permet de citer un peu longuement un article [1] d’Hervé Legrand o.p. qui éclaire la dynamique de ces accords ou déclarations communes avec les Eglises orientales non catholiques

     « Le rapprochement avec les autres chrétiens que Jean XXIII espérait de Vatican II ne se révélait donc pas très aisé. La réorientation doctrinale souhaitée eut lieu, cependant, et trouva son expression dans l’une des formulations ecclésiologiques les plus importantes du concile : « L’unique Église du Christ subsiste dans l’Église catholique » (Lumen Gentium 8). Dans sa nouveauté, cet énoncé permettait d’évaluer positivement l’ecclésialité des autres Églises, à la lumière du décret UR, comme Paul VI le confirma aux observateurs non catholiques [2]. Les « Églises séparées du Siège romain » devenaient des « Églises particulières » au sens théologique et non purement conventionnel du terme [3] »

Et plus loin :

« l’œcuménisme progressé entre catholiques et orthodoxes et catholiques et luthériens ces deux-là retiendront notre attention de façon privilégiée car ils sont exemplaires pour saisir la démarche œcuménique par laquelle l’Église catholique s’efforce de dépasser le « catholicisme » pour croître en catholicité…/…

Théologiquement, le catholicisme n’est qu’une figure particulière prise par l’Église catholique, quand, déjà séparée de l’Orient et réduite ensuite géographiquement aux pays méditerranéens par la Réforme, elle a redéfini son identité, intellectuellement par le recours privilégié à la scolastique et ecclésiologiquement par une insistance obsessionnelle sur l’universalité de l’Église, assimilée à une étroite centralisation des décisions pastorales et doctrinales à Rome. Ce catholicisme des derniers siècles, comme Église unitaire, pouvait difficilement servir l’unité de l’Église, comme J. Ratzinger le fit remarquer, à la suite du canoniste luthérien H. Dombois [4] : « L’image d’un État centralisé, que l’Église catholique offrit d’elle-même jusqu’au concile, ne découle pas de la charge de Pierre… Le droit ecclésial unitaire, la liturgie unitaire, l’attribution unitaire des sièges épiscopaux à partir du centre romain… sont des choses qui ne font pas nécessairement partie de la primauté en tant que telle [5]» La catholicité de l’Église n’est pas cet universalisme appauvrissant, précurseur de la mondialisation. En grec, kath’olon signifie « selon le tout » ou, en paraphrasant, « être riche du tout, dans sa particularité ». Mais cette plénitude qualitative demeure l’objet d’une poursuite. Dans le récit de la Pentecôte, la catholicité est symbolisée par le fait que chacun des auditeurs provenant de « toutes les nations qui sont sous le ciel » (Ac 2, 5) entendait « la Bonne Nouvelle en sa langue maternelle » (Ac 2, 8). Ainsi, toute culture est capable de la foi chrétienne et l’Église est appelée à parler toutes les langues, à être une et diverse, bref catholique. »

Église syriaque orthodoxe

L’Église syriaque orthodoxe [6] (syriaque : ܥܺܕܬܳܐ ܣܽܘ̣ܪܝܳܝܬܳܐ ܗܰܝܡܳܢܽܘܬܳܐ ܬܪܺܝܨܰܬ ܫܽܘ̣ܒ̣ܚܳܐ1) est une Église orientale autocéphale. Elle fait partie de l’ensemble des Églises des trois conciles [7]. Le chef de l’Église  porte le titre de Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient (en syriaque : ܦܛܪܝܪܟܐ ܕܐܢܛܝܘܟܝܐ ܘܕܟܠܗ̇ ܡܕܢܚܐ , avec résidence à Damas.

Accords bilatéraux :

Le premier d’entre eux, sous le règne du patriarche Ignace Jacques III d’Antioche et du pape Paul VI aboutit à une déclaration commune publiée au Vatican le 27 octobre 1971 signée par les deux responsables religieux [8] :

« La période de récrimination et de condamnation mutuelles a fait place à une volonté de s’efforcer ensemble, sincèrement de diminuer et, éventuellement de supprimer le fardeau de l’histoire qui pèse encore lourdement sur les chrétiens.
Un progrès a déjà été fait, et le pape Paul VI et le patriarche Ignace Jacques III d’Antioche sont d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de différences dans la foi qu’ils professent, concernant le mystère du Verbe de Dieu, fait chair et devenu réellement homme même si, au cours des siècles, des difficultés ont surgi des différentes expressions théologiques par lesquelles cette foi était exprimée. »

Ce dialogue a été poursuivi par le patriarche Mar Ignace Zakka Ier Iwas et le pape Jean-Paul II et a abouti à une déclaration commune [9] le 23 juin 1984 à Rome

Église copte orthodoxe

     L’Église copte orthodoxe est une Église antéchalcédonienne et autocéphale. Elle fait partie de l’ensemble des Églises des trois conciles qui rassemble environ 15 à 20 millions de baptisés (principalement Égypte). Son chef porte le titre de pape d’Alexandrie et patriarche de la Prédication de saint Marc et de toute l’Afrique, avec résidence au Caire.

Dialogue bilatéral

      • Mai 1973 : visite à Rome du pape Shenouda III qui rencontre le pape Paul VI. Il s’agit de la première rencontre et du premier rapprochement entre Rome et Alexandrie depuis le concile de Chalcédoine en 451, soit depuis plus de 1500 ans. Les deux patriarches signent une déclaration commune le 10 mai 1973 [10].

À la suite de cette rencontre fut constituée la « Commission mixte entre l’Église catholique et l’Église copte orthodoxe». Parmi les documents produits par ladite commission il y a lieu de souligner :

      • la déclaration christologique [11] du 29 août 1976
      • la formule christologique du 12 février 1988 approuvée par les deux Églises qui déclare :

« Nous croyons que notre seigneur, Dieu et Sauveur, Jésus-Christ, le Verbe Incarné est parfait dans Sa Divinité et parfait dans Son Humanité. Il fit Son Humanité Une avec Sa Divinité, sans mélange, sans amalgame, sans confusion. Sa Divinité n’a pas été séparée de Son Humanité à un seul instant, même pas le temps d’un clin d’œil.

Nous anathématisons à la fois les doctrines de Nestorius et Eutychès »

Église apostolique assyrienne de l’Orient

L’Église apostolique assyrienne de l’Orient [12] ou Sainte Église apostolique assyrienne de l’Orient (‘Ittā Qaddishtā wa-Shlikhāitā Qattoliqi d-Madnĕkhā d-Ātārāyē) est une Église autocéphale de tradition syriaque orientale. Elle fait partie de l’ensemble des Églises des deux conciles. Le chef de l’Église porte le titre de Catholicos-Patriarche de la Sainte Église Apostolique Assyrienne de l’Orient (ou celui, plus traditionnel, de Métropolite de Séleucie-Ctésiphon, Catholicos et Patriarche de l’Orient), avec résidence à Erbil au Kurdistan (Irak).

Déclaration christologique commune

      • 11 novembre 1994 : signature au Vatican d’une « Déclaration christologique commune [13] » par le pape Jean-Paul II et le patriarche Mar Dinkha IV.

Le pape Jean Paul II et le patriarche Mar Dinkha IV, en signant cette déclaration, ont clos, pour leurs Églises, les différentes controverses liées à la querelle nestorienne.

« Sa Sainteté Jean-Paul II, Évêque de Rome et Pape de l’Église catholique, et Sa Sainteté Mar Dinkha IV, Catholicos-Patriarche de l’Église assyrienne de l’Orient, rendent grâce à Dieu qui leur a inspiré cette nouvelle rencontre fraternelle.
Ils considèrent celle-ci comme une étape fondamentale sur la voie de la pleine communion à restaurer entre leurs deux Églises. En effet, ils peuvent désormais proclamer ensemble devant le monde leur foi commune dans le mystère de l’Incarnation
. »

      • 2 juillet 2001 : Rome reconnaît la validité de l’Eucharistie célébrée selon l’anaphore de Addai et Mari [14], qui n’inclut pas le récit évangélique de l’Institution.

Église apostolique arménienne

     L’Église apostolique arménienne [15] (en arménien : Հայաստանեայց Առաքելական Եկեղեցի, Hayastaneayc Arakelakan Yekeqeci) est une Église chrétienne « orthodoxe orientale » autocéphale. C’est une des Églises des trois conciles.

Elle revendique son titre d’« apostolique » en faisant remonter ses origines aux apôtres Jude, Thaddée,   et Barthélemy. Devenue religion officielle du royaume d’Arménie avec la conversion du roi Tiridate IV par saint Grégoire l’Illuminateur, elle développe son particularisme du VIe au début du VIIIe siècle, qui voit sa christologie se stabiliser selon la doctrine miaphysite.

Le « Patriarche suprême et Catholicos de tous les Arméniens » qui réside à Etchmiadzin près d’Erevan bénéficie d’une primauté d’honneur parmi les différents hiérarques.

Déclaration commune

      • 1996 : déclaration commune de Jean-Paul II et de Karékine Ier :

« …Ils saluent avec une satisfaction particulière le grand progrès réalisé par leurs Églises dans leur recherche commune de l’unité dans le Christ, le Verbe de Dieu fait chair. Dieu parfait dans sa divinité, homme parfait dans Son humanité, Sa divinité est liée à Son humanité dans la Personne du Fils Unique de Dieu, dans une union qui est réelle, parfaite, sans confusion, sans altération, sans division, sans aucune forme de séparation.

La réalité de cette foi commune en Jésus Christ et dans la succession même du ministère apostolique, a été parfois voilée ou ignorée. Des facteurs linguistiques, culturels et politiques ont largement contribué à l’apparition de divergences théologiques qui ont trouvé une expression dans la terminologie utilisée pour la formulation de leur doctrine. […] en vertu de la déclaration présente, les controverses et les divisions regrettables qui ont parfois découlé des façons différentes d’exprimer cette foi, ne devraient plus continuer à influer de façon négative sur la vie et sur le témoignage de l’Église d’aujourd’hui[16]»

[1] LEGRAND Hervé, « L’œcuménisme aujourd’hui », Raisons politiques, 2001/4 (no 4), p. 121-132. DOI : 10.3917/rai.004.0121. URL : https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2001-4-page-121.htm)
[2] Acta Apostolicae Sedis, 56, 1964, p. 1010-1011 (in : LEGRAND Hervé, « L’œcuménisme aujourd’hui », Raisons politiques, 2001/4 op. cit.)
[3] Dans les explications préalables au vote du texte, on écarte une objection à cette appellation en rappelant « qu’il est manifeste dans la tradition catholique que les Églises orientales séparées sont appelées Églises et ceci en un sens propre », Acta Synodalia, Vatican, 1975, vol. III, pars 7, p. 35 1011 (in : LEGRAND Hervé, « L’œcuménisme aujourd’hui », Raisons politiques, 2001/4 op. cit.)
[4] Joseph Ratzinger prend appui à deux reprises sur Hans Dombois dans Le nouveau peuple de Dieu (Paris, Aubier, 1971), p. 68 puis p. 124 où il cite « Kirchenspaltung und Einheitsproblematik », dans Begegnung der Christen. Festschrift O. Karrer, Stuttgart, Evangelisches Verlagswerk ; Frankfurt, J. Knecht, 1960 (2e éd.), p. 395 : « L’histoire nous apprend que l’unité de l’Église et l’Église unitaire se contredisent tellement qu’une Église unitaire ne saurait être le modèle de l’unité de l’Église ». (in : LEGRAND Hervé, « L’œcuménisme aujourd’hui », Raisons politiques, 2001/4 op. cit.)
[5] «… Par suite, la tâche à envisager serait de distinguer à nouveau, plus nettement, entre la fonction proprement dite du successeur de Pierre et la fonction patriarcale ; en cas de besoin de créer de nouveaux patriarcats détachés de l’Église latine… on pourra, dans un avenir pas trop éloigné, se demander si les Églises d’Asie et d’Afrique, comme celles d’Orient, ne pourraient pas “devenir l’équivalent” de patriarcats sous ce nom ou tout autre que l’on voudra donner à l’avenir à ces Églises dans l’Église », dans J. Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, op. cit., p. 68-69. ». (in : LEGRAND Hervé, « L’œcuménisme aujourd’hui », Raisons politiques, 2001/4 op. cit.)
Voir à ce sujet l’article très important de : VANHOOMISSEN Guy, « Une Messe sans paroles de consécration ? À propos de la validité de l’anaphore d’Addaï et Mari », Nouvelle revue théologique, 2005/1 (Tome 127), p. 36-46. DOI : 10.3917/nrt.271.0036. URL : https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2005-1-page-36.htm

XLIII Les grands accords œcuméniques du XX° siècle VI

Dialogue Communion Anglicane-Eglise Catholique Romaine (ARCIC)

La commission internationale anglicane – catholique romaine (connue en anglais sous l’acronyme ARCIC) est une instance de dialogue œcuménique établie en 1967, un an après la rencontre historique entre l’archevêque de Canterbury Michael Ramsey et le pape Paul VI. Elle a pour but de faciliter la réunion ecclésiologique de la communion anglicane et de l’Église catholique romaine et d’adopter des positions communes dans les débats sociaux et éthiques.

Quelles sont les limites de ce dialogue ?

À la différence des textes adoptés en commun avec d’autres Églises, les dirigeants catholiques et anglicans n’ont jamais abouti à une déclaration commune concernant des points de doctrine. Il faut noter que, même s’ils sont mandatés par l’Église catholique et la Communion anglicane, les travaux des théologiens de l’ARCIC ne constituent pas des « déclarations autorisées » des deux institutions.

1971 – 1981: La première phase des discussions (ARCIC – I)

     Des réunions préliminaires ont eu lieu en Italie, en Angleterre et à Malte, où fut adopté le rapport de Malte [1].

     Une déclaration commune fut signée en 1971 sur le thème de « la doctrine eucharistique ». D’autres débats suivent, au sujet du « ministère et de l’ordination » conclu par une déclaration commune en 1973, puis de « l’autorité dans l’Église » qui donne lieu à deux déclarations en 1976 et 1981. L’ensemble est regroupé en un rapport final qui sera publié en 1981 [2].

     Ce document est ratifié par la communion anglicane lors de la conférence de Lambeth de 1988, parlant d’accord substantiel avec la foi des anglicans.

    Réponse catholique

     L’Église catholique donne sa propre réponse en 1991. Si elle salue les travaux accomplis et les points d’accord dégagés, elle constate qu’un tel accord n’est pas possible sur tous les points soumis à la commission, et qu’« il reste entre anglicans et catholiques des différences importantes concernant des éléments essentiels de la foi catholique. ». Certains commentateurs de tendance conservatrice ont considéré qu’il s’agissait d’un désaveu des travaux de l’ARCIC. Selon eux, cet échec est dû à la volonté pressante des représentants catholiques de conclure un accord, fût-ce au prix de formulations d’une inacceptable ambiguïté.

1983 – 2007: La deuxième phase des discussions (ARCIC – II)

     La deuxième phase des discussions eut lieu à partir de 1983. Les sujets de dialogue incluent alors la sotériologie (déclaration sur « Le Salut et l’Église » de 1986), la communion ecclésiale (« La vie en Christ : morale, communion, Église » en 1993). En 1999 est publiée une troisième déclaration commune sur l’autorité magistérielle. En 2005 est abordé le rôle de Marie en tant que Theotokos (« Marie : Grâce et espérance dans le Christ »).

     Un document publié en 2007 acheva cette deuxième série de discussions en demandant à la partie anglicane de réfléchir davantage au rôle donné au pontife romain en tant qu’arbitre suprême ecclésiastique [3].

Les difficultés

     Les travaux de la commission ont été paralysés depuis au moins 1993 lorsque l’Église d’Angleterre a voté en faveur de l’ordination des femmes.

     Les discussions ont été interrompues en 2003 lorsque l’évêque homosexuel Gene Robinson fut élu à la tête du diocèse épiscopalien du New Hampshire. Contre l’avis de la majorité de la Communion anglicane et notamment de l’archevêque de Canterbury, l’évêque président Frank Griswold consacre Robinson, mais il démissionne alors de son poste de président de la partie anglicane dans les discussions ARCIC.

     De plus, la question des femmes évêques divise actuellement la communion anglicane de l’intérieur, ce qui oblige en pratique à interrompre le dialogue avec la hiérarchie catholique.

La constitution apostolique Anglicanorum Coetibus

     (« À des groupes d’anglicans ») est une constitution apostolique qui crée une structure canonique spécifique destinée à accueillir et intégrer des institutions et groupes anglicans au sein de l’Église catholique romaine, tout en assurant « que soient maintenues au sein de l’Église catholique les traditions liturgiques, spirituelles et pastorales de la Communion anglicane, comme un don précieux qui nourrit la foi des membres de l’ordinariat et comme un trésor à partager »

Certains commentateurs ont vu dans la publication de la constitution apostolique Anglicanorum Coetibus [4] du 4 novembre 2009 permettant l’intégration de groupes d’ecclésiastiques et laïcs anglicans au sein de l’Église Catholique Romaine, un abandon de la démarche de discussions bilatérales. Je ne pense pas que ce soit là un réel danger.

     Une préoccupation pour certains a été de savoir si le processus menant à la constitution apostolique a été, ou non, un exercice d’œcuménisme. Certains y voient un exercice d’unilatéralisme. Cela me semble être surtout une maladresse !

Certainement, la constitution apostolique elle-même semble présenter son système comme une initiative (quasi) œcuménique, qui met l’accent sur le scandale de la division chez les baptisés et les Églises et Communautés chrétiennes séparées  de l’Église catholique .

     Mais justifier la création de l’ordinariat par le fait que « Cette unique Eglise du Christ, dont nous professons dans le Symbole qu’elle est une, sainte, catholique et apostolique, « subsiste dans l’Eglise catholique gouvernée par le Successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de ses structures, éléments qui, appartenant proprement par don de Dieu à l’Eglise du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique »
     On pourrait faire croire revenu le “bon vieux temps” de la théorie de l’œcuménisme façon Pie XII et retour à la Mère Eglise (Catholique et Romaine bien entendu), puisqu’en elle subsiste, etc… C’est un abus de citation de Lumen Gentium fait hors contexte.

Et les choses sont devenues encore un peu plus confuses lorsque le cardinal Kasper a cru nécessaire de donner aux anglicans l’assurance que la constitution n’était pas un substitut pour le dialogue œcuménique entre les anglicans et Rome . Alors c’était quoi ?

Lors d’une réunion le 21 nov. 2009, le pape et l’archevêque de Canterbury ont réaffirmé leur volonté de renforcer les relations œcuméniques entre les deux Eglises. Anglicanorum Coetibus me parait être un moyen que je qualifierai d’inapproprié pour ne pas être désagréable.

2011 – ?: La troisième phase des discussions (ARCIC – III)

     Le pape Benoît XVI et l’archevêque de Canterbury Rowan Williams annoncent  leur souhait de voir une troisième session de discussions ARCIC se mettre en place.

Le cardinal Levada confirme que les deux démarches seront poursuivies de front et indique que le mandat d’ARCIC III est de « faire avancer le dialogue bilatéral, sur le thème « Eglise comme Communion – locale et universelle », y compris le discernement de questions éthiques à ces deux niveaux et sur leur interaction » [5] .

La troisième phase de discussions démarre le 17 mai 2011. Elle est hébergée par la communauté monastique œcuménique de Bose.

    Les thèmes choisis sont les questions d’ecclésiologie, et la façon de discerner l’enseignement juste en matière d’éthique (principal blocage actuel des discussions) [6], à la fois aux niveaux local et universel.
La composition internationale de cette nouvelle phase de l’ARCIC représente un large éventail de contextes culturels et apporte à la Commission une variété de disciplines théologiques.
Les discussions comptent dix-huit participants, dont cinq femmes.

Sur le plan de la formation, les évêques suggèrent une étude commune des Écritures saintes, et plus particulièrement pour les séminaristes.

De 2011 à 2023 une douzaine de document ont été publiés. Même s’il n’ont pas le statut d’accords doctrinaux, il sont des avancées très importantes sur la voie d’accords théologiques partiels entre catholiques et Anglicans.

[5] Documents ARCIC III : https://iarccum.org/author/?a=36
[6] Voir l’article de Sr Martineau: MARTINEAU Suzanne, « Mauvaise passe pour la Communion anglicane », Études, 2004/9 (Tome 401), p. 215-225.  https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-9-page-215.htm  

XLIX Jean-Paul II : entre continuité et rupture

    Karol Józef Wojtyła, nait le 18 mai 1920 à Wadowice en Pologne, il est successivement prêtre, évêque puis archevêque de Cracovie, créé cardinal en 1967, avant de devenir le 264e pape de l’Église catholique Romaine à moins de cinquante huit ans [1]

Peu de temps après sa nomination comme évêque de Cracovie, le pape Jean XXIII décide d’ouvrir le concile œcuménique Vatican II.  Dans sa réponse au questionnaire pour la phase préparatoire, Karol Wojtyła demande que le concile se prononce clairement sur « l’importance de la transcendance de la personne humaine face au matérialisme croissant de l’époque moderne ». Il souhaite que soit renforcé le rôle des laïcs dans l’Église, mais aussi le dialogue œcuménique et le célibat des prêtres qu’il défend.

Pendant le concile, parlant le français, l’anglais, l’allemand, le polonais, le russe, l’espagnol, l’italien et le latin, il devient progressivement le porte-parole et le laeder de la délégation polonaise.

À l’issue du conclave d’octobre 1978, qui fait suite à la mort subite de Jean-Paul Ier (qui n’a régné que 33 jours) , il est élu, sur proposition du cardinal König. C’est le premier pape non italien depuis 1522, ainsi que le premier pape polonais et slave de l’histoire du catholicisme. Son pontificat est le second plus long de l’histoire : 1978-2005  (plus de 26 ans)

En tant que pape, il s’oppose à l’idéologie communiste et par son action, notamment en Pologne, favorise la chute du bloc de l’Est. Sa volonté de défense de la dignité humaine le conduit à promouvoir les droits de l’homme ( tant que cela concerne les pays communistes ).

Pontificat

     Le 22 octobre 1978, lors de la messe inaugurale de son pontificat, il lance à la foule « N’ayez pas peur » montrant sa détermination, appelant à un christianisme plus engagé et à l’ouverture des frontières : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ. À sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des États, les systèmes politiques et économiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation et du développement. N’ayez pas peur! Le Christ sait ce qu’il y a dans l’homme ! Et lui seul le sait ! » [2]

Parmi les documents majeurs publiés par Jean-Paul II, on compte 14 encycliques, 15 exhortations apostoliques, 11 constitutions apostoliques et 45 lettres apostoliques [3].

La publication du Catéchisme de l’Église catholique en 1992 reste un acte majeur du magistère pontifical de Jean Paul II, par-là il voulut donner « une norme sûre pour l’enseignement de la foi » [4].

Par ailleurs Jean-Paul II a publié de nombreux enseignements, notamment sur la théologie du corps, évoquant le sujet de la sexualité sans tabous. Il souhaitait porter un regard neuf sur la question et changer les idées reçues sur l’Église en matière de sexualité [5].

En 1981, il fonde l’Institut pontifical Jean-Paul II d’études sur le mariage et la famille à Rome avec pour but d’approfondir les étude dans ce domaine ainsi qu’en bioéthique.

Jean-Paul II a créé les Journées mondiales de la Jeunesse, qui ont lieu tous les 2-3 ans et regroupent des milliers de jeunes catholiques du monde entier. Les premières JMJ ont eu lieu à Rome en 1986.

Un pape tourné vers l’extérieur

     Durant son pontificat, Jean-Paul II effectue 104 voyages en dehors du Vatican. Il rend visite à 317 des 333 paroisses de Rome. Il visite 129 nations, la plupart d’entre elles accueillant un pape pour la première fois

     Les trois pays les plus visités par Jean-Paul II sont : la Pologne, son pays natal (neuf fois) ; la France (huit fois, dont sept fois en métropole et une fois à La Réunion) ; et les États-Unis (sept fois).

     Jean-Paul II a un attachement particulier pour la France. Il rappelle, lors de son premier voyage en France en 1980, qu’elle est la « fille aînée de l’Église » et demande, à la fin de son homélie au Bourget : « France, Fille de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? ». Il effectue également deux voyages à Lourdes (1983 et 2004), un voyage « européen » à Strasbourg, Metz, et Nancy (1988), un voyage pour le 1 500e anniversaire du baptême de Clovis à Reims (1996), et un voyage pour les Journées mondiales de la jeunesse à Paris (1997)

     Alors que certains de ses voyages (comme aux États-Unis ou à Jérusalem) le mènent sur les traces de Paul VI, beaucoup d’autres pays n’ont jamais été visités par un pape. Il devient le premier pape à se rendre au Royaume-Uni où il rencontre la reine Élisabeth II, gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre. Lui et l’archevêque anglican de Cantorbéry s’embrassent devant les médias dans la cathédrale de Cantorbéry.

Attentats

     Le mercredi 13 mai 1981, jour de l’audience générale hebdomadaire qui se tient place Saint-Pierre à Rome, et devant une foule de 20 000 fidèles, Jean-Paul II est victime d’un attentat. Mehmet Ali Ağca, un jeune turc de 23 ans fait feu sur le pape avec un pistolet 9 mm, à une distance de moins de six mètres. Atteint par trois balles, le pape doit être opéré en urgence, mais aucun organe vital n’est atteint.

     Le pape, qui venait remercier la Vierge Marie, dans le sanctuaire de Fatima, pour avoir échappé aux coups de feu tirés contre lui par Mehmet Ali Ağca, est attaqué par Juan María Fernández y Krohn, un prêtre intégriste espagnol opposé à la libéralisation de l’Église. Celui-ci se précipite sur le Pape avec un poignard à la main, mais il est rapidement maîtrisé. L’information n’est pas diffusée et le pape termine son voyage sans révéler ses blessures. « Je peux aujourd’hui révéler que le Saint-Père avait été blessé. Quand nous sommes entrés dans la salle, nous avons vu qu’il saignait », déclare son secrétaire d’alors, le P. Stanisław Dziwisz

Repentance de l’Église

Jean-Paul II a tenu à ce que l’Église catholique fasse acte de repentance pour les erreurs commises par les chrétiens dans l’histoire.

Cela concerne :

    • l’affaire Galilée : en 1992, la commission d’étude de la controverse ptoléméo-copernicienne a remis ses conclusions et a reconnu les erreurs commises par les théologiens de l’époque ;
    • les relations avec le judaïsme : en mars 1998, une déclaration émanant de la Commission vaticane pour les relations avec le judaïsme, comportant une introduction de la main du pape lui-même, admettait l’existence d’une culture antijudaïque diffusée par l’Église dans le passé ;
    • la repentance de l’an 2000 lors du Jubilé de l’an 2000, sur les erreurs commises pendant les deux premiers millénaires de l’histoire du christianisme : le pape a appelé à une purification de la mémoire

Encyclique « Redemptor hominis » (Le Rédempteur de l’homme)  15 mars 1979  

Comme pour chaque pape, cette première encyclique ressemble à une loi-cadre du pontificat. Après les révérences habituelles en début d’encyclique à ses prédécesseurs (1 à 4), les thèmes développés sont ceux qu’il veut promouvoir. Il est donc intéressant de s’y arrêter. Et particulièrement ceux qui touchent à l’œcuménisme et à l’interreligieux.[6]

Collégialité et apostolat (5): La collégialité s’exprime à travers le Synode des évêques mais aussi les différentes formes d’organisations cléricales (Conférences épiscopales, synodes locaux, etc…) ou laïques qui sont appelés à ( Organisations d’apostolat des laïcs, création de nouveaux organismes ayant souvent un aspect différent et un dynamisme exceptionnel)

Chemin vers l’union des chrétiens(6): « La véritable activité œcuménique signifie ouverture, rapprochement, disponibilité au dialogue, recherche commune de la vérité au sens pleinement évangélique et chrétien; mais elle ne signifie d’aucune manière, ni ne peut signifier, que l’on renonce ou que l’on porte un préjudice quelconque aux trésors de la vérité divine constamment professée et enseignée par l’Eglise. »

« Même si c’est d’une autre manière et avec les différences qui s’imposent, il faut appliquer les réflexions précédentes à l’activité qui tend au rapprochement avec les représentants des religions non chrétiennes » ce qui est dans la droite ligne de la déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (Nostra Ætate)

Les chapitres suivants (7 à 14) resituent le mystère de la rédemption et la place de l’homme dans ce mystère.

Viennent ensuite des analyses des « signes des temps» à travers « Ce que craint l’homme d’aujourd’hui » (15) à travers « le développement de la civilisation de notre temps marqué par la maîtrise de la technique,[qui] exigent un développement proportionnel de la vie morale et de l’éthique » avec l’interrogation « Progrès ou menace ? » (16) et la réponse : « les droits de l’Homme »(17)

C’est dans cette dynamique que se situe la mission de l’Eglise, qui est d’exprimer et d’agir au nom de « La sollicitude de l’Eglise pour la vocation de l’homme dans le Christ » (18) par le moyen de ses richesse propres : les sacrements (20) et le service (21)

L’encyclique se termine par une méditation sur l’Eglise, « Mère de notre espérance » (22)

Jean-Paul II en quelques points incontournables

[ Je développe essentiellement ce qui a trait à l’œcuménisme et à l’interreligieux qui est plus la cible de ce site ]

Les droits de l’Homme

     Ce sont ses discours à l’ONU en 1979 et 1995 qui permettent de saisir sa pensée sur les principaux problèmes abordés, notamment la liberté religieuse, les droits des femmes, des enfants et des familles, le « droit au développement », la discrimination raciale ou la question des réfugiés. Les observateurs du Saint-Siège regrettent que, trop souvent, il existe une contradiction entre les principes affirmés en matière de défense des droits de l’homme et leur mise en œuvre.
Le Saint-Siège observe et dénonce également ce que l’on pourrait appeler une certaine dérive dans la conception même des droits de l’homme tels qu’ils sont défendus ou interprétés à l’ONU par rapport au texte de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Cet éloignement par rapport à l’esprit des origines a été signalé notamment à propos de la question de la défense de la vie ou des droits de la femme [7].

Discours à l’ONU du 2 octobre 1979 [8]

    En 1979, son discours à l’ONU cadre bien avec la situation du monde. Jean Paul II fait siennes toutes les revendications des sans voix.
Il évoque la recherche de la paix, la justice, le respect des droits de l’homme et de la dignité humaine comme «des valeurs morales objectives communes» à l’Eglise et à l’organisation internationale.

     Dans la foulée, Jean Paul II a accéléré l’adhésion du Saint-Siège aux principales institutions onusiennes : l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), celle pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ou encore le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef). l’Eglise se fait représenter partout, prenant désormais sa part aux débats qui déterminent l’avenir du monde.

Discours à l’ONU du 5 octobre 1995 [9]

     A la tribune de l’ONU à l’occasion du 50eme anniversaire de sa création, Jean Paul II a salué le rôle de l’organisation et suggéré qu’à côté de la Déclaration universelle des droits de l’homme, elle se dote d’une « déclaration des droits des nations (6) ». Il a évoqué ce qu’il a appelé la « révolution non violente de 1989 » ( la libération des pays d’Europe de l’Est du communisme ) et souligné le facteur décisif qu’y avait joué la «solidarité sociale (4) ».
     Mais à l’heure du conflit bosniaque, il a aussi souligné les dangers du nationalisme étroit qui peut conduire au cauchemar.

      «  Jean-Paul II est convaincu que l’existence de l’Onu – dont la Charte proscrit la guerre, sauf le cas de légitime défense immédiate – représente une avancée de grande importance vers un monde où les conflits seraient réglés pacifiquement. Sans aller jusqu’à reprendre la formule audacieuse de Jean XXIII, appelant de ses vœux l’avènement d’une « autorité publique de compétence universelle » ( Pacem in terris, 137), Jean-Paul II mise sur les institutions internationales, si imparfaites soient-elles, pour défendre les droits des peuples faibles contre l’aventurisme unilatéral des forts. Ce n’est pas un hasard si, dix mois après la guerre d’Irak, il choisira de consacrer l’essentiel de son message du 1er janvier 2004 à une apologie du droit international et de l’Onu.

     Un chiffre significatif : en 1978, lorsque Karol Wojtyla accède au pontificat, le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques avec 84 Etats; aujourd’hui (2004), avec 172 » [10]

Collégialité et apostolat

     L’organisation de l’Église a été profondément remaniée sous le pontificat de Jean-Paul II. Il a, au cours des 9 consistoires, créé 232 cardinaux et cherché à universaliser la Curie. Dès 1988, la majorité des cardinaux, ceux qui élisent le pape, venait des pays non européens. Il a également convoqué 6 réunions plénières du collège des cardinaux.

     S’il n’a pas fait évoluer la pratique des synodes des évêques, il a convoqué quinze synodes : six assemblées générales ordinaires (sur la famille en 1980, la réconciliation en 1983, les laïcs en 1987, la formation des prêtres en 1990, la vie consacrée en 1994 et en 2001 sur le ministère épiscopal), une assemblée générale extraordinaire (sur le concile Vatican II en 1985), sept assemblées spéciales (sur l’Europe en 1991 et en 1999, l’Afrique en 1994, le Liban en 1995, l’Amérique en 1997, l’Asie et l’Océanie en 1998) et un synode particulier (pour les Pays-Bas en 1980).

     Henri Tincq résume bien l’ambiguïté de ce pontificat à la fois d’ouverture et de fermeture : «  Il réaffirma l’autorité du pape sur les évêques et les églises locales afin de renforcer l’universalité de l’Église. [11] »

Chemin vers l’union des chrétiens

     Il y a une certaine ambigüité dans la démarche œcuménique de Jean-Paul II -que je crois sincère- mais qui se trouve bordée par la nécessité de ne pas renoncer aux « trésors de la vérité divine (RH6) » qui restent à préciser concrètement. Ce qui laisse une marge d’interprétation ténue étant donné que l’Eglise Catholique Romaine estime être de fait comme de droit la seule “vraie” Eglise. D’où une multiplication de dialogues qui se concrétisent rarement par des réceptions et des décisions par le magistère.

Message  aux membres de la Curie romaine

     Il faut évoquer ce texte très important. Il s’agit du message adressé par Jean-Paul II, le 28 juin 1985, aux membres de la Curie romaine auquel l’Encyclique Slavorum Apostoli renvoie à six reprises différentes :

     « Je ne me fatiguerai jamais, dans l’exercice du ministère pétrinien -qui est service de l’unité dans la vérité et la charité-  d’insister sur ce point et d’encourager tout effort en ce sens à tous les niveaux où nous nous rencontrons avec nos autres frères chrétiens…/… Je tiens à redire que c’est avec une décision irrévocable que l’Eglise catholique est engagée dans le mouvement œcuménique et qu’elle veut y contribuer de toutes ses possibilités. C’est pour moi, évêque de Rome, une des priorités pastorales. C’est une obligation qui m’incombe tout particulièrement, en vertu même de ma responsabilité propre. Ce mouvement est suscité par l’Esprit Saint, et je me sens profondément responsable en face de lui. Je lui demande humblement sa lumière et sa force pour servir au mieux cette sainte cause de l’unité. [12] »

L’encyclique Slavorum Apostoli (1985)

 

      Elle est consacrée aux saints Cyrille et Méthode, évangélisateurs des Slaves. (Le 31 décembre 1980, le pape Jean-Paul II les avait proclamés co-patrons de l’Europe avec saint Benoît.)

      Dans cette lettre, il appelle à un dialogue œcuménique : « Cyrille et Méthode sont comme les maillons d’unité, ou comme un pont spirituel, entre la tradition orientale et la tradition occidentale qui convergent l’une et l’autre dans l’unique grande Tradition de l’Eglise universelle. Ils sont pour nous les champions et en même temps les patrons de l’effort œcuménique des Eglises sœurs d’Orient et d’Occident pour retrouver, par le dialogue et la prière, l’unité visible dans la communion parfaite et totale, « l’unité qui n’est pas absorption, ni même fusion ». L’unité est la rencontre dans la vérité et dans l’amour que nous donne l’Esprit.[13] »

 L’encyclique Ut Unum Sint : « Qu’ils soient un) (1995). [14]

     Une préoccupation permanente de Jean-Paul II tout au long de son pontificat a été de communiquer à tous les fidèles de l’Église catholique et de proposer à tous les croyants en Christ la finalité œcuménique (dans les limites exposées ci-dessus) explicitement affirmée dans le premier document de Vatican II, la Constitution sur la liturgie Sacrosanctum Concilium [15].

     Le texte de Jean-Paul II se situe comme une réception du décret conciliaire sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio (Vatican II). Le pape souhaite ainsi exhorter les croyants à prendre en compte et mettre en application les résultats du dernier concile, alors qu’approche la fin du deuxième millénaire. Dans l’ensemble, Ut unum sint ne présente guère d’innovations notables par rapport à Unitatis redintegratio ou Lumen gentium (si ce n’est sur la question du ministère propre du pape) [16]

Quelques jalons qui témoignent de cette préoccupation œcuménique de Jean-Paul II:

     Deux grands textes postconciliaires doivent être mentionnés avant tout, en raison de leur caractère volontairement œcuménique: le Code de Droit canonique (1983) et le Catéchisme de l’Eglise catholique (1992). La place de l’œcuménisme dans ces deux documents conclusifs de Vatican II a été souvent analysée. Pour le Code de Droit canonique [17] les canons 755 et 844 (que cite trois fois l’Encyclique, ainsi qu’aux canons 256 par.2; 364 par.6; 383 par.3; 825 par.2. Le Code des Canons des Eglises Orientales (CCEO) [18] (1990) est également cité par l’encyclique (canons 902-904, 671).

Le Catéchisme de l’Église catholique [19] consacre ses n° 813-822 [20] au devoir de l’unité de l’Église, mais renvoie plus de quarante fois au Décret conciliaire sur l’œcuménisme, et sans cesse à la Constitution ecclésiam suam sur l’Église.

Vers un dialogue sur le ministère d’unité ?

     L’Encyclique Ut unum sint reprend, ce projet du début du pontificat de Jean-Paul II. Après avoir redit que l’Eglise catholique a «reçu beaucoup du témoignage, des recherches et même de la manière dont ont été soulignés et vécus par les autres Eglises et communautés ecclésiales certains biens communs aux chrétiens» (UUS 87), le Pape parle du ministère d’unité de l’évêque de Rome.

     Le ministère pétrinien de l’unité dans l’Eglise fait aussi l’objet des réflexions de «Foi et Constitution», de la Communion anglicane, des Disciples du Christ, de la Fédération luthérienne mondiale et bientôt de la Commission mixte internationale pour le Dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe. Jean-Paul II le signale et s’en réjouit (UUS 89).

     Après avoir rappelé les données scripturaires sur Pierre, sur Paul, leur place, leurs faiblesses humaines (UUS 91-92), Jean-Paul II ajoute ces considérations auxquelles les écrits pontificaux ne nous avaient pas habitués: « Le désir ardent du Christ est la communion pleine et visible de toutes les communautés… Je suis convaincu d’avoir à cet égard une responsabilité particulière, surtout lorsque je vois l’aspiration œcuménique de la majeure partie des communautés chrétiennes et que j’écoute la requête qui m’est adressée de trouver une forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission (UUS 95). »

     Et de rappeler ce qu’il disait le 6 décembre 1987 au Patriarche œcuménique de Constantinople: « Je prie l’Esprit Saint de nous donner sa lumière et d’éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos Églises, afin que nous puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres (UUS 95) ».

Il ajoute alors une proposition sans précédent:

     « C’est une tâche immense que nous ne pouvons refuser et que je ne puis mener à bien tout seul. La communion réelle, même imparfaite, qui existe entre nous tous ne pourrait-elle pas inciter les responsables ecclésiaux et leurs théologiens à instaurer avec moi sur ce sujet un dialogue fraternel et patient, dans lequel nous pourrions nous écouter au-delà des polémiques stériles, n’ayant à l’esprit que la volonté du Christ pour son Église, nous laissant saisir par son cri «que tous soient un… afin que le monde croie que tu m’as envoyé» (Jn 17, 21)? (UUS 96) »

     Des Églises ont élaboré ou d’exprimé des réponse. Le Conseil Oecuménique des Eglises a lancé une consultation, et son secrétaire général d’alors, Konrad Raiser, n’hésite pas à se demander s’il ne faudrait pas remettre en question l’institutionnalité du C.O.E. pour faciliter «l’intégration ou la pleine participation de l’Eglise catholique romaine» parmi les autres Eglises chrétiennes. [21]

     Aux lendemains de l’Encyclique Ut unum sint, Jean-Paul II a manifesté qu’il était prêt à mettre en œuvre ce dialogue. Nous nous contenterons d’évoquer son homélie du 29 juin 1995 en présence du Patriarche Oecuménique de Constantinople, et ce qu’il y déclare sur l’adjonction du Filioque au Credo de Nicée-Constantinople. Cette homélie a déjà donné naissance à l’importante contribution qu’à sa demande, le Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens a publiée. [22]

Dialogue avec les orthodoxes

JP II et Théoctite de Roumanie

En 1999, Jean-Paul II visite la Roumanie avec les personnalités locales de l’Église orthodoxe. Il est d’ailleurs le premier pape à visiter un pays à majorité orthodoxe depuis le schisme de 1054.

     Au cours de ce voyage, il demande pardon au nom des catholiques pour le sac de Constantinople [23], ce qui est particulièrement important la prise de Constantinople par la quatrième croisade et la création d’un patriarche latin en lieu et place du patriarche grec [24] est un traumatisme de la mémoire orthodoxe bien supérieur aux anathèmes de 1054. Et ce n’est pas le seul grief. [25]

     Lors du Jubilé de l’an 2000, il ouvre la Porte Sainte avec le métropolite orthodoxe Athanasios et le primat anglican George Carey, marquant la volonté d’unité des différents chrétiens.

     Cependant il ne put jamais se rendre en Russie, le patriarche de Moscou, Alexis II, refusant de le rencontrer. Les tentatives de réconciliation avec les orthodoxes ont aussi été entravées par des conflits de juridictions et de frontières, les Églises uniates réclamant les églises confisquées par les Soviétiques au profit des orthodoxes. Le pape fut critiqué du fait du prosélytisme des catholiques en Russie, conduisant au refus de l’épiscopat russe de le recevoir.

     Le 10 juin 2002, il signe avec le patriarche œcuménique Bartholomée Ier de Constantinople la déclaration de Venise « pour le bien de tous les êtres humains et pour la protection de la création », une des premières déclarations communes entre catholiques et orthodoxes depuis 1054.

     En 2004, lors d’un voyage en Grèce, il offre les reliques de Grégoire de Nazianze, conservées jusque-là au Vatican, au Patriarche Bartholomée Ier de Constantinople dans une logique de réconciliation.

Dialogue avec les protestants

     En 1983, Jean-Paul II entre dans un temple évangélique luthérien de Rome (aucun pape avant lui n’avait fait un tel geste) et y prononce un sermon en allemand, à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de Martin Luther.

     À plusieurs reprises il demande pardon, au nom des catholiques, pour les torts infligés aux autres chrétiens.  Ainsi, lors de son voyage en Slovaquie, il se rend devant un monument commémorant l’assassinat de calvinistes par des catholiques.

     En 1998, les Églises luthériennes signent avec le Vatican ensemble un texte, la Déclaration commune sur la justification par la foi [26]

Dialogue avec les Anglicans

   Le voyage de Jean-Paul II en Angleterre du 28 mai au 2 juin 1982, événement considéré par les deux Eglises comme «historique», a constitué un pas important dans le dialogue œcuménique.

     Le pape entame sa « visite pastorale et œcuménique » par une cérémonie à la cathédrale de Westminster. Il est ensuite reçu au palais de Buckingham par la famille royale.

     Le 29, à Cantorbéry, la rencontre avec le docteur Robert Runcie, Primat de la Communion Anglicane, marque la volonté œcuménique de ce voyage. C’était la première visite d’un souverain pontife après la séparation de l’Eglise d’Angleterre d’avec Rome, au 16ème siècle. « Dans l’église cathédrale du Christ de Cantorbéry, le Pape et l’archevêque de Cantorbéry se sont rencontrés à la veille de la Pentecôte pour rendre grâce à Dieu pour les progrès réalisés dans l’œuvre de réconciliation entre nos Communions. Ensemble avec les dirigeants d’autres Églises et communautés chrétiennes, nous avons écouté la Parole de Dieu ; ensemble, nous avons rappelé notre unique baptême et renouvelé les promesses alors faites ; ensemble, nous avons reconnu le témoignage de ceux dont la foi les a conduits à abandonner le don précieux de la vie elle-même au service des autres, tant dans le passé que dans les temps modernes [27] »

Dialogue avec les Eglises orientales (préchalcédoniennes)

Avec l’Église apostolique assyrienne de l’Orient

     Le pape Jean Paul II et le patriarche Mar Dinkha IV, en signant cette La déclaration christologique commune [28] le 11 novembre 1994, ont clos, pour leurs Églises, les différentes controverses liées à la querelle nestorienne.

“Sa Sainteté Jean-Paul II, Évêque de Rome et Pape de l’Église catholique, et Sa Sainteté Mar Dinkha IV, Catholicos-Patriarche de l’Église assyrienne de l’Orient, rendent grâce à Dieu qui leur a inspiré cette nouvelle rencontre fraternelle. Ils considèrent celle-ci comme une étape fondamentale sur la voie de la pleine communion à restaurer entre leurs deux Églises. En effet, ils peuvent désormais proclamer ensemble devant le monde leur foi commune dans le mystère de l’Incarnation.

Avec les Orientaux Orthodoxes (Eglises des trois conciles)

     Durant l’automne de 1988, deux dialogues, l’un officiel et l’autre non, se sont déroulés entre théologiens catholiques romains et théologiens orientaux orthodoxes. Les Églises Orientales Orthodoxes [29], que l’on pourrait caractériser comme l’«Orthodoxie des trois conciles», ne reçoivent ni la profession christologique du concile de Chalcédoine (451), IVe œcuménique, ni les conciles postérieurs

Les dialogues théologiques menés sous Paul VI avec le patriarche Mar Ignatius Jakoub III de l’Eglise syrienne-orthodoxe d’Antioche en 1971 et avec le patriarche Chenouda III de l’Église copte orthodoxe vont se prolonger :

          • en 1984 par l’accord très important signé entre le pape Jean-Paul II et le patriarche syrien-orthodoxe d’Antioche Mar Ignatius Zakka Ier :« Cette identité de foi, quoique incomplète, nous autorise à envisager une collaboration pastorale dans les situations qui se présentent fréquemment de nos jours en raison tant de la dispersion de nos fidèles à travers le monde que des conditions pastorales précaires que créent les difficultés des temps. Il n’est pas rare en effet que, pour nos fidèles, l’accès à un prêtre de leur Église s’avère matériellement ou moralement impossible. Soucieux de répondre à leurs nécessités et en vue de leur utilité spirituelle, nous les autorisons dans ce cas à demander aux pasteurs légitimes de l’autre Église le secours des sacrements de pénitence, d’eucharistie et d’onction des malades, selon leurs besoins. Coopérer aussi dans la formation des prêtres et dans l’enseignement théologique serait un corollaire logique de la collaboration pastorale. Nous encourageons les évêques à promouvoir la mise en commun des moyens à leur disposition pour l’éducation théologique partout où ils jugeront que c’est souhaitable. »[30]
          • JP II Karékine I

            en 1988 entre l’Eglise Catholique et l’Eglise Copte Orthodoxe[31] une déclaration commune sur la christologie

          • en 1996 avec le Patriarche Karékine Ier, Catholicos Suprême de tous les Arménien
          • en 1997 avec Aram Ier Kechichian,  catholicos de la Grande Maison de Cilicie de l’Église apostolique arménienne
 

Dialogue avec les Juifs [32]

     Son pontificat sera ponctué de nombreuses allocutions sur le judaïsme. Dans ce registre, bien qu’elle ne lui soit pas totalement consacrée, l’homélie du 7 juin 1979, prononcée à Auschwitz, constitue un moment inaugural. Elle se prolongera par d’autres textes essentiels, comme la déclaration Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah [33] de 1998, ou des gestes de première importance, telles les visites à Yad Vashem et au Mur des lamentations en 2000.

     Mais l’affirmation trouve une expression superlative en avril 1986, lors de la visite que le pontife rend au grand rabbin Elio Toaff à la synagogue de Rome [34]. Les lieux marquent par leur solennité : c’est la première fois qu’un pape pénètre dans un lieu de culte israélite. Les paroles aussi : Jean-Paul II affirme, non point seulement une succession doctrinale comme le faisaient les pères conciliaires dans Nostra aetate, mais même une amitié fraternelle : « Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés » et « Quiconque rencontre Jésus rencontre le judaïsme ».

Dialogue interreligieux

La rencontre d’Assise (27 octobre 1986)

   Lors de la rencontre de 1986, dans son discours d’accueil, Jean-Paul II, délimite soigneusement les objectifs de celle-ci. Il s’agit pour les différentes religions du monde de viser à satisfaire les aspirations des hommes à la paix, mais en évitant toute idée de syncrétisme :

« Le fait que nous soyons venus ici n’implique aucune intention de chercher un consensus religieux entre nous, ou de mener une négociation sur nos convictions de foi. Il ne signifie pas non plus que les religions peuvent être réconciliées sur le plan d’un engagement commun, dans une concession au relativisme en matière de croyances religieuses, car tout être humain doit suivre honnêtement sa conscience droite avec l’intention de rechercher la vérité et de lui obéir. Notre rencontre atteste seulement, et c’est là sa grande signification pour les hommes de notre temps, que, dans la grande bataille pour la paix, l’humanité, avec sa diversité même, doit puiser aux sources les plus profondes et les plus vivifiantes où la conscience se forme et sur lesquelles se fonde l’agir moral des hommes[35]»

Conformément à la formule rappelée avec insistance « non pas prier ensemble, mais être ensemble pour prier », il est pris soin de séparer les différentes prières par des temps de silence.

     Malgré tout, le cardinal Joseph Ratzinger, préfet la congrégation pour la doctrine de la foi depuis 1981, a une position critique à l’égard de la première rencontre d’Assise, craignant qu’on puisse y voir une affirmation de l’égalité des religions. Il n’a pas pris part à cette rencontre. La rédaction de la déclaration Dominus Iesus, par la congrégation pour la doctrine de la foi, réaffirmant que l’Église est seule source de salut pour l’humanité, est souvent citée comme une réponse à cette crainte.

Visite au Mali : appel au dialogue entre chrétiens et musulmans (28 janvier 1990)

     A cette occasion, il a affirmé que les chrétiens et les musulmans «avaient besoin de rechercher le pardon […] et de se l’offrir mutuellement», et souhaité que ceux-ci ne soient «plus jamais en conflit». «J’espère que notre rencontre sera le signe de notre détermination à faire progresser le dialogue interreligieux de l’Eglise catholique et de l’islam. Ce dialogue s’est accru lors des récentes décennies», a encore affirmé le pape, qui estime qu’«une meilleure compréhension mutuelle conduira sur le plan pratique à présenter nos deux religions non pas en opposition mais en partenariat».

Fin de vie

L’historien Philippe Levillain estime que trop malade, Jean-Paul II « n’a pas réellement gouverné l’Église » durant les cinq dernières années de son pontificat.

     Jean-Paul II avait réclamé dès l’ouverture de son pontificat que  les malades soient placés au premier rang. Il s’y retrouve lui-même ayant subi en tout six interventions chirurgicales.
     Après avoir perdu trois litres de sang lors de l’opération de cinq heures qui a suivi l’attentat de 1981, il a été transfusé avec du sang contaminé par un cytomégalovirus, ce qui l’affaiblira énormément par la suite.
Il a souffert de la maladie de Parkinson depuis le milieu des années 1990.

Le pape Jean-Paul II entre dans le coma en soirée puis s’éteint au Vatican le 2 avril 2005, à l’âge de 84 ans.

Une canonisation discutable et discutée

     Le 27 avril 2014, lors de la messe du dimanche de la divine Miséricorde, le pape François préside la cérémonie de canonisation conjointe des papes Jean XXIII et Jean-Paul II. C’est la première fois dans l’histoire de l’Église qu’une double canonisation de papes a lieu en présence de deux papes vivants, François, qui préside la cérémonie, accompagné de son prédécesseur Benoît XVI. Jean-Paul II est fêté le 22 octobre, date de son intronisation pontificale.

     Il y a des critiques concernant la couverture des affaires de pédophilie de prêtres catholiques. « Une série de révélations récentes ont écorné l’image de Jean Paul II, canonisé par l’Eglise catholique en 2014 au terme d’une procédure exceptionnelle. En se précipitant, l’institution a manqué de discernement et fait passer un agenda politique et théologique réactionnaire avant de respecter la tradition constante de prudence de l’Eglise catholique en la matière [36] », sans parler de ses complaisances envers le fondateur des « Légionnaires du Christ » Le Père Marcial Maciel Degollado [37].

Le rôle des femmes au sein de l’Église catholique [38] et les négociations financières opaques avec la banque Ambrosiano font aussi question.

Faut-il repenser la canonisation des papes ? Confusion entre sanctification et déification
     On peut être sceptique d’une certaine manière quant à la pratique selon laquelle les papes canonisent leurs prédécesseurs en aussi grand nombre, car il s’agit après tout d’une forme d’auto-sacralisation, et on peut aussi se poser la question de l’impartialité, lorsque l’on doit sa propre ascension à son prédécesseur.
     Mais l’historien admet également que la dévotion de beaucoup de catholiques est directement liée [hélas] à la figure des papes. Une situation toujours vraie dans notre société médiatique actuelle.

     La tendance à considérer les saints comme des figures divines n’est pas nouvelle. Tout au long de l’histoire, la vénération des saints a menacé à plusieurs reprises de se transformer en adoration. Les saints et les bienheureux sont des personnes qui ont abordé et vécu l’Evangile d’une manière particulière. Ils sont des modèles mais pas sans défauts…

[1] Pour une biographie complète : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Paul_II
[5] https://www.theologieducorps.fr/tdc/theologie-du-corps-catecheses
[7] Cf article de Yves-Henri Nouailhat : NOUAILHAT Yves-Henri. Le Saint-Siège, l’ONU et la défense des droits de l’homme sous le pontificat de Jean-Paul II. In :  Relations internationales 2006/3 (n° 127), pages 95 à 110 in : https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2006-3-page-95.htm?contenu=article
[10] MELLON Christian. Jean-Paul II, pape de la paix. In : Revue Projet 2004/1 (n° 278), pages 43 à 46 (https://www.cairn.info/revue-projet-2004-1-page-43.htm)
[11] TINCQ Henri. Jean-Paul II. Éditions Librio (Flammarion). Paris, 2005.
[15] «Comme le saint Concile se propose de faire croître toujours davantage la vie chrétienne parmi les fidèles, de mieux adapter aux besoins de notre époque celles des institutions qui sont soumises à des changements, de favoriser tout ce
qui peut contribuer à l’union de tous ceux qui croient au Christ et de donner plus de force à tout ce qui concourt à appeler tous les hommes dans le sein de l’Église, il estime qu’il est de son devoir, à un titre tout particulier, de s’appliquer à restaurer et à promouvoir la liturgie» (Sacrosanctum Concilium, 1).
[16] Voir l’article de CHARRIERE Nicolas. Étude critique : réflexions œcuméniques autour de l’encyclique ut unum sint. Revue de Théologie et de Philosophie n°49 (1999) in : https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003:1999:49::526
[21] Cf. le rapport de K. Raiser au Comité central du C.O.E. de Genève, du 14 au 22 septembre 1995
[22] Malgré d’importantes réserves de théologiens grecs restés très « byzantins » : https://www.oodegr.com/francais/papismos/Larchet_Filioque.htm
[25] Voir : MONCLOS Christine de. Le Pape à Athènes. Une main tendue à l’orthodoxie. In: CEMOTI, n°32, 2001. Drogue et politique. pp. 203-304. In : www.persee.fr/doc/cemot_0764-9878_2001_num_32_1_1610
[29] La famille orientale orthodoxe n’a resserré ses liens que depuis quelque vingt-cinq ans, et les contacts n’y ont pas encore atteint à toute la concertation souhaitable. Cette famille rassemble actuellement cinq Églises sœurs: l’Église Copte Orthodoxe (patriarcat d’Alexandrie), l’Église Syrienne Orthodoxe (patriarcat d’Antioche), l’Église Apostolique Arménienne (catholicossats d’Edjmiadzine et de Cilicie), l’Église Orthodoxe Éthiopienne (patriarcat d’Axoum et Addis Abeba) et l’Église Orthodoxe Syro-Indienne (catholicossat de l’Orient). Reste provisoirement absente du dialogue l’Église Apostolique et Catholique Assyrienne de l’Orient, que l’on pourrait appeler celle «des deux conciles», car elle demeure fidèle à la mémoire de Nestorius et des autres excommuniés du IIIe concile œcuménique, celui d’Éphèse (431).( DE HALLEUX André. Le dialogue théologique avec les Orientaux Orthodoxes. In: Revue théologique de Louvain, 20ᵉ année, fasc. 1, 1989. pp. 118-123 : www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1989_num_20_1_2356
[38] « Sous l’influence déterminante du pape Jean Paul II, « la Femme » devient une idée, conçue exclusivement par des hommes – célibataires de surcroît. Son unique vocation, sa raison d’être est d’aider l’homme par le mariage et la maternité ou de servir l’Église dans la chasteté religieuse ; vision sans lien avec les femmes de chair, de sang, d’esprit et d’âme qui constituent, faut-il le rappeler, la moitié du genre humain et au moins les deux tiers des catholiques pratiquants.» https://www.temoignagechretien.fr/decanonisez-le/