Création du diocèse de Normandie et intégration de l’Eglise de Mont-Saint-Aignan
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Le 13 octobre la première « congrégation générale » (réunion plénière de l’Église universelle) est présidée par le cardinal Tisserant, doyen du Sacré Collège. Se produit alors un «coup de théâtre», préparé par des échanges entre plusieurs archevêques représentatifs d’épiscopats européens, choqués par la mainmise des bureaux romains sur l’assemblée des évêques : les cardinaux Achille Liénart, de Lille, et Joseph Frings, de Cologne, contestent vigoureusement
la composition des commissions préparatoires et les méthodes de travail prévues par la curie romaine, qui conduisent à un simple enregistrement de textes préfabriqués : ils exigent que le concile puisse délibérer librement. À une immense majorité, les évêques décident alors par un vote de ne pas procéder comme prévu par les commissions préparatoires, mais de se consulter par groupes nationaux et régionaux, ainsi que dans des réunions plus informelles.
Pour débloquer le concile, les cardinaux Léon-Joseph Suenens, Giacomo Lercaro, et Julius Döpfner, trois des quatre modérateurs, semblent avoir été à l’origine d’un changement de procédure immédiatement accepté par Jean XXIII.
Le 16 octobre les commissions conciliaires sont élues à partir des listes proposées par les conférences épiscopales. La plus importante d’entre elles est celle présentée par « l’alliance européenne », constituée autour de la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche, les Pays-Bas et la Suisse : 80 % de ses candidats sont élus.
La discussion ne pose pas de problèmes majeurs sauf le barrage systématique du card Ottaviani sur l’usage de l’obligation du latin pour la liturgie. L’intervention du Patriarche Maximos IV marque les Pères conciliaires : « La valeur quasi absolue assignée au latin dans la liturgie, l’enseignement et !’administration de l’Eglise latine nous apparait, a nous, Eglise d’Orient, comme assez anormale. Le Christ, après tout, parlait la langue de ses contemporains. [En Orient), la langue liturgique n’a jamais t’te un problème. Toutes les langues sont liturgiques, comme le dit le Psalmiste: « Louez le Seigneur, tous les peuples. » Le latin est une langue morte tandis que l’Eglise est vivante, au contraire, et sa langue, véhicule de la grâce du Saint-Esprit, doit également être vivante car elle s’adresse a nous, êtres humains et non aux anges. [1]»
Le schéma sur la liturgie est accepté comme base de discussion par 97% des votants
Après avoir abordé le schéma sur la liturgie qui ne pose pas de problème majeur, les Pères examinent les cinq chapitres du schéma sur la Révélation.
C’est un sujet explosif : qui montre bien la prise de pouvoir du concile sur ses travaux et son ordre du jour
Les cardinaux Liénart, Frings, König rejettent le schéma. Léger, Alfrink ,demandent l’élaboration d’un nouveau texte.
La perplexité envahit les Pères Conciliaires : si certains acceptent le schéma comme base de départ, d’autres le refusent carrément, jugeant sa problématique contraire à l’orientation œcuménique impulsée par Jean XXIII au concile.
Devant cette incertitude, le conseil de présidence propose, le 21 novembre, un vote sur l’acceptation du texte comme base de discussion. Mais la question est posée à l’envers : le texte doit-il être renvoyé en commission ? La différence est importante, dans la mesure où la majorité des 2/3 est requise. Poser la question ainsi présuppose que le texte est a priori valable et que c’est aux adversaires de faire la preuve de leur nombre. Le résultat est ambigu : 60 % des Pères repoussent le texte. La majorité qualifiée n’est pas atteinte ; en principe, la discussion devrait continuer, malgré le désaveu mathématique.
C’est alors que Jean XXIII décide de retirer le schéma et de confier sa refonte à une Commission mixte (Commission doctrinale – Secrétariat pour l’unité des chrétiens), réaffirmant ainsi l’orientation œcuménique initiale.
Ca peut sembler de la « magouille » interne. Mais c’est révélateur de ce qui va être le fonctionnement du concile pendant quatre ans : une lutte entre une minorité conservatrice[2] et une majorité qui souhaite une ouverture sur le monde moderne[3]. Et derrière cette dispute, c’est œcuméniquement, la possibilité d’un dialogue avec « les hérétiques » (dixit la minorité) qui est en jeu.
Début décembre, quand on en vient à examiner le schéma sur l’Église élaboré par la Commission doctrinale, plusieurs des Pères, dont le card. Montini, archevêque de Milan et futur pape, le jugent insuffisant.
Ce qui est en jeu est la conception même de l’Eglise. Le card. Ottaviani et le Saint-Office (ancien nom du dicastère pour la doctrine de la foi) défendent dans le schéma de Ecclesia une vision purement hiérarchique et cléricale ou les non-clercs sont appelés au mieux les fidèles, des ouailles, ou au pire le troupeau et n’on pas de rôle.
Le problème est qu’au cours du 20ème siècle l’Eglise à découvert les laïcs qui avaient acquis, principalement à travers l’Action Catholique et aussi grâce au travaux de théologiens comme Congar ou Philips, une certaine visibilité. Et qu’il fallait en dire quelque chose d’intelligent. Ensuite vient la question des membres de l’Eglise. Il s’agit de situer les « autres chrétiens » dit « séparés »
Le card. König dans son intervention demande que soit ajouté un exposé sur « le Peuple de Dieu ». Mgr De Smet, rappelle avec force que « La hiérarchie dans l’Eglise n’est qu’un ministère, un moyen transitoire. La hiérarchie passera, mais le Peuple de Dieu lui, demeurera éternellement. Il souligna que tous les chrétiens jouissaient de la même dignité; le Pape lui même était un parmi les fidèles du christ[4] »
Ce schéma sera lui aussi renvoyé en commission pour être amendé
Si le bilan de la première session est maigre – aucun texte n’a été voté –, l’entité conciliaire a commencé à prendre corps : les Pères ont noué des contacts les uns avec les autres et avec les observateurs chrétiens non catholiques.
Surtout, face à la curie Romaine -et spécialement au card Ottaviani et son âme damnée Sebastiaan Tromp s.j. respectivement préfet et secrétaire du Saint Office, les Pères conciliaires ont pris leur autonomie et mis le concile sur les rails que Jean XXIII désirait.
Les fruits sont à venir.
Dans son discours de clôture, le 8 décembre, Jean XXIII exprime le vœu de voir le concile achevé pour Noël 1963. (En fait in faudra attendre encore jusqu’en 1965)
Le concile œcuménique Vatican II_1ère session (13 octobre – 8 décembre 1962) Lire la suite »
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Le concile Vatican II est ouvert le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII devant 2540 patriarches, cardinaux, évêques, supérieurs majeurs. Cette cérémonie publique réunit les représentants de 86 gouvernements, organismes internationaux, et invités. Parmi eux, grande nouveauté, 53 « observateurs chrétiens » non catholiques représentant dix-sept Églises ou fédérations d’Églises ( qui assisteront aux travaux sans droit de parole ni de vote) ce qui en fait réellement, contrairement aux conciles précédents un évènement tourné vers le monde et non replié sur lui-même.
Le résultat sera la promulgation de deux constitutions dogmatiques : sur l’Eglise ( Lumen gentium) et sur la révélation divine (Dei verbum), une constitution sur la liturgie (Sacrosanctum concilium), et une constitution pastorale sur L’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et spes); 9 décrets dont un sur l’œcuménisme (Unitatis redintégratio) et 3 déclarations dont un su la liberté religieuse (Dignitatis humanae) et un sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes (Nostra aetate)
Dans sa présentation des textes du Concile Vatican II[1] Christoph Théobald donne l’architecture du travail accompli :
« Le corpus s’organise en fait autour de trois pôles :
A première vue, la structure des textes semble être bipolaire : tendue entre I’Eglise et la société, entre la perspective «ad intra » et le rapport de l’Eglise « ad extra ». Mais une analyse plus détaillée met en évidence un troisième pole : il se situe en biais par rapport au plan ecclésiologique et sociétaire, avec des textes très controversés pendant le concile et postérieurement, sur la Révélation et sa transmission, la foi et la liberté de conscience (principalement la constitution Dei Verbum et la déclaration Dignitatis humanae).
La manière de concevoir la relation à Dieu se répercute dans la manière de se rapporter aux autres. Vatican II est le premier concile à avoir envisagé systématiquement ce type de question en distinguant entre relations œcuméniques (décret Unitatis redintegratio), rapport aux religions non chrétiennes (déclaration Nostra aetate), rapport à I’ athéisme, et présence dans la société moderne (constitution pastorale Gaudium et spes).
Ces deux axes du corpus, !’axe théologal (ou axe vertical) et le plan des relations (ou axe horizontal), se croisent finalement dans l’Eglise, dans la conscience qu’elle prend d’elle-même (constitution Lumen gentium), inaugurant -peut-être pour la première fois- ce qu’on a appelé une conversion de l’Eglise, tout comme dans la redéfinition des rapports entre ses principaux acteurs (décrets sur le ministère des évêques et des prêtres, sur la rénovation de la vie religieuse et l’apostolat des laïcs)
Le discours d’ouverture prononcé par Jean XXIII à suscité peu de commentaires. Et pourtant :
« Il faut que, répondant au vif désir de tous ceux qui sont sincèrement attachés à tout ce qui est chrétien, catholique et apostolique, [la] doctrine [de l’Eglise catholique] soit plus largement et hautement connue, que les âmes soient plus profondément imprégnées d’elle, transformées par elle. Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration ; et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral.[3] »
Ce que le pape dit, contrairement à tout ce qui était affirmé jusque là, c’est qu’il ne faut pas absolutiser la forme. Et qu’il est urgent d’exprimer la doctrine catholique de façon compréhensible par tous. Le pape insiste sur le « caractère surtout pastoral » — plutôt que doctrinal — de l’enseignement du concile : l’Église doit chercher à enseigner le message du Christ à la lumière de l’évolution constante du monde contemporain.
Le concile Vatican II_Ouverture Lire la suite »
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On ne peut comprendre l’action du pape Jean sans se plonger, même superficiellement, dans son parcours.[1]
Angelo Giuseppe Roncalli est ordonné en 1904. Appelé à la curie romaine en 1921,à la Propaganda Fide (future Congrégation pour l’évangélisation des peuples). Ayant fait un sermon sur « le nationalisme comme amour de la patrie » par opposition à une « militarisation de la nation », il apparait comme rétif à la ligne de dialogue avec Mussolini que suit alors Pie XI.
Premier observateur du Saint-Siège à l’UNESCO, il est créé cardinal en 1953, au moment de son départ. ll reçoit la barrette de cardinal du président (socialiste) Vincent Auriol, qui en avait fait la demande, au titre d’un ancien privilège des souverains français. 😉 [3]
Il est nommé Patriarche de Venise la même année 1953. Il a 71 ans
A la mort de Pie XII, dont le pontificat monarchique a éclipsé la présence de personnalités fortes au sein du Sacré Collège, aucun successeur ne se dégage. Ils ne sont que 53 cardinaux à entrer en conclave le 25 octobre 1958. Après trois jours et dix tours de scrutin infructueux, le cardinal Roncalli, 77 ans, apparait comme un «pape de transition» idéal au terme d’un conclave cherchant à assurer un changement sans rupture.
Il est élu Pape de l’Eglise Catholique en 1958
Deux jours après son élection, alors qu’il n’a pas eu connaissance des recherches d’ouvertures de concile des papes précédents, il exprime l’idée de rassembler un concile devant son secrétaire, Loris Capovilla, le 2 novembre 1958[4]
Dès le 25 janvier 1959, jour de clôture de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, Jean XXIII achevant le tour des basiliques majeures de Rome convoque le collège des cardinaux et leur annonce la convocation d’un concile œcuménique en ces termes : « une invitation aimable et répétée à nos frères des Eglises chrétiennes séparées à participer avec nous à ce festin de grâce et de fraternité auquel tant d’âmes aspirent de tout les points de la terre[5] »
On ne peut pas dire que la nouvelle enthousiasme les 17 cardinaux présents !
Le 17 mai 1959, le pape annonce la création d’une commission anté-préparatoire présidée par le cardinal secrétaire d’État. Les universités catholiques, les Sacrées congrégations et tous les évêques sont alors invités à exprimer leurs conseils et leurs vœux (consilia et vota) sur les sujets à aborder lors du concile.
En un an, 76,4 % d’entre eux répondent (soit 2 150 réponses). Les principales demandes sont celles d’une meilleure définition du rôle des évêques, d’une clarification du rôle des laïcs dans l’Église et de la place que doit y tenir l’Action catholique. Beaucoup de réponses réclament la condamnation du marxisme, de l’existentialisme et du relativisme doctrinal et moral ( Sur les 84 évêques français qui répondent, une trentaine seulement se préoccupe de l’œcuménisme, pour les autres c’est un non-sujet[6]. Et quant aux évêques italiens, à part quelques-uns qui hasardent qu’il ne faudrait pas trop faire de définitions dogmatiques, notamment pour ne pas créer de nouvelles difficultés dans le dialogue œcuménique, les autres s’en moquent totalement, et sont beaucoup plus préoccupés de la manière dont le Concile pourraient renforcer les pouvoirs de l’ évêque et sanctionner les erreurs modernes, spécialement en matière de mœurs[6]. Bref, on est loin des préoccupations œcuméniques.)
Le jésuite allemand Augustin Bea[8] qui dans les années 50, c’était un grand professeur d’exégèse biblique à Rome, qui avait fait partie du brain trust de Pie XII, dont il était le confesseur est créé cardinal en décembre 1959 et quelques mois plus tard le premier président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens[9] qui est créé le 5 juin 1960. C’est la première fois que le Saint-Siège mettait en place une structure consacrée uniquement aux questions œcuméniques. Ce sera l’une des commissions préparatoires au Concile et aura pour résultat la présence de plusieurs dizaines d’observateurs d’Églises chrétiennes non catholiques
L’aggiornamento de l’Eglise Catholique, c’est précisément la feuille de route que le pape à fixée au concile à venir
[10] https://www.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_15051961_mater.html
Jean XXIII et l’ouverture au souffle de l’Esprit-Saint Lire la suite »
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« Le monde attendait un prophète, un diplomate est venu »
En mars 1937, il rédige à la demande du pape, avec le cardinal-archevêque de Munich, le texte de l’encyclique: Mit brennender Sorge condamnant (sans toutefois la nommer) l’idéologie nazie
Pie XII donne le cadre théologique et diplomatique de ses prises de position dans sa première encyclique Summi Pontificatus [2] du 20 octobre 1939.
Il y confirme les condamnations de Pie XI contre les différentes formes de racisme et de nationalisme ou de lutte des classes, dénonçant « l’oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien par la communauté d’origine et par l’égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu’ils appartiennent ». Il s’y dresse, mais sans les nommer, contre le nazisme, le fascisme mais aussi le communisme et le libéralisme sans Dieu [3] comme responsables de la guerre, qui n’apportera pas de solution (« l’esprit de la violence et de la discorde verse sur l’humanité la sanglante coupe de douleurs sans nom »).
L’encyclique cite la Pologne mais ne nomme et encore moins ne condamne ni Hitler ni Staline.
Le Vatican se borne à lutter, par l’intermédiaire de ses nonces, contre les lois raciales qui se multiplient en Italie, en Allemagne, dans les pays satellites comme la Hongrie, la Slovaquie ou la France de Vichy. Ces pressions, réelles, comme celles de Cesare Orsenigo, nonce à Berlin, n’impressionnent pas les autorités allemandes.
Toutefois, devant ces faits et ces pressions, le 24 décembre 1942, dans son long message de noël radiodiffusé Pie XII évoque très brièvement « les centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive » et appelle à la paix [6].
« Jusqu’à la fin de la guerre, les interventions du Vatican ne manquent pas, mais elles passent toutes par le canal des chancelleries et des églises locales. Le monde avait besoin d’un prophète, mais c’est un diplomate qui a été élu à la tête de l’Église. Pie XII avait pour principe de ne couper aucun pont avec personne. Peut-on lui en faire grief ? Après guerre, dans les milieux juifs, des témoignages de personnes célèbres – Golda Meir, Albert Einstein, l’historien Pinchas Lapide – attesteront que cette stratégie d’interventions individuelles et discrètes ainsi que la mise en œuvre des réseaux d’assistance de l’Église étaient la seule solution possible et qu’elles ont permis de sauver des milliers de juifs. [7]»
Le soucis principal de Pie XII et de son secrétaire d’état le Card. Luigi Maglione est plus la prise de pouvoir des communistes et l’arrivée des armées de Staline en Europe de l’ouest que le sort des Juifs, même si son attitude personnelle lors des neuf mois d’occupation allemande de Rome fut exemplaire. [8]
Les avancées œcuméniques sont surtout le fait des Eglises Protestantes, même si des voix catholiques individuelles se font entendre… et abondamment réprimé par Rome.
En 1937, les dirigeants de 100 Églises donnent leur accord, mais la Seconde Guerre mondiale freine le projet.
En 1948, 147 confessions chrétiennes chrétiennes sont réunies pour la fondation du Conseil œcuménique des Églises et la première assemblée générale à Amsterdam [9].
L’Église catholique, qui n’est pas membre du COE, a un statut d’observatrice
Vraies et fausses réformes de l’Eglise. Ce livre du dominicain Yves Congar raconte comment l’Eglise est en perpétuel état de réforme, pourquoi elle a besoin de se réformer en permanence. Et Congar ecclésiologue pense qu’il faut faire non pas une théologie de l’institution-Eglise dans la stratosphère, mais une étude de la communauté vivante des fidèles. Du coup il parle de la sainteté de l’Eglise, mais aussi des difficultés, des tentations, le pharisaïsme notamment.
C’est un livre très audacieux, et pour un œcuméniste, un livre sans complaisance. Congar -malgré son admiration pour Luther (qu’il appelle « un des plus grands génies religieux de toute l’histoire »)- refuse la majuscule à la réforme de Luther. Et il étudie longuement la possibilité d’une réforme sans schisme. Vraies et fausses réformes de l’Eglise (1950) vaut à Congar les pires ennuis, il est interdit d’enseignement, exilé à Jérusalem puis en Angleterre.
Quand on regarde les dates, les contextes, on est frappé par la date de parution de Vraies et fausses réformes : 1950. C’est la sinistre « Année sainte » !
Une drôle d’année sainte.
On entre dans la deuxième mi-temps du règne de Pie XII : ère de glaciation et d’immobilisme farouche, qui commence en fanfare avec De motione œcumenica [10] du 20 décembre 1949 sur (contre) l’œcuménisme. Cette instruction du Saint-Office rappelle tous les « dangers » de l’œcuménisme et spécialement l’irénisme, qui « sous le faux prétexte que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous sépare » abîme, a ses yeux, la doctrine catholique. L’instruction met en garde contre ces « conférences mixtes entre catholiques et non-catholiques », qui sont, dit-elle, bien utiles pour que les non-catholiques connaissent mieux l’Eglise romaine, mais qui « créent facilement pour les catholiques un grave danger d’indifférentisme ».
Humani generis [11] est promulguée le 15 août 1950, concernant des « opinions et erreurs modernes menaçant de miner les fondements de la doctrine catholique ». Elle s’oppose notamment à la Nouvelle Théologie.
Au point de départ, un livre célèbre, La France, pays de mission ? des abbés Daniel et Godin dont la sortie en librairie le 12 septembre 1943 a, au dire des contemporains, éclaté comme une « bombe » dans le milieu catholique.
« [Votre livre] éclaire pour moi tout ce que je sentais confusément, écrit François Mauriac à Yvan Daniel. Peut-être n’osons-nous pas aller jusqu’à la conclusion logique : il faudrait que tout le vieux système saute. Il faudrait que des hommes mariés, s’ils sont ouvriers et saints, puissent être prêtres et distribuer le pardon et le corps du Seigneur à leurs camarades. Il faudrait une explosion formidable qui ferait sauter tout ce qui s’accumule depuis des siècles entre les pauvres et le Dieu des pauvres. Ce sont des vues humaines ; le Christ saura bien vous aider à faire la trouée. En tout cas, au milieu de tant de luttes, de victoires, de fatigues mortelles, redites-vous que vous êtes le Béni du Père, car vous donnez corps et âme à la seule cause qui vaille de vivre et de mourir [13] »
Il y a des initiatives individuelles de prêtres ouvriers au début du xxe siècle: par exemple Charles Boland, ingénieur puis prêtre liégeois, descend à la mine de Seraing en 1921, Michel Lémonon devient mineur à Saint-Étienne en 1935. Ces prêtres sont confrontés à la déchristianisation et à la misère des ouvriers dans les villes à la suite de la révolution industrielle et en témoignent, et prennent parti.
Désapprouvant la proximité croissante des Prêtres-Ouvriers avec le PCF et la CGT, (Toujours cette peur panique du communisme) Pie XII impose en 1954 de fortes restrictions à l’expérience en limitant la durée du travail à trois heures par jour et en interdisant l’engagement syndical.
(En 1959 Le pape Jean XXIII, très attaché à la conception traditionnelle du sacerdoce décide une suppression complète du travail en usine et étend cette mesure aux prêtres marins de la Mission de la mer.)
Vraies et fausses réformes de l’Eglise (1950) vaut à Congar les pires ennuis. Mais en même temps – et bien au-delà de l’anecdote – le nonce à Paris, qui s’appelle Angelo Roncalli, s’est procuré ce livre de Congar, et il l’a lu et annoté… avec passion, parce que le livre raconte que ce n’est pas un péché de penser que l’Eglise catholique doive se réformer. Et cette idée-là touche beaucoup le nonce de Paris.
Et puis un autre Monsignore, qui s’appelle Giovanni-Battista Montini, proto-secretaire d’état de Pie XII, a demandé personnellement à Congar de lui offrir un exemplaire du livre, parce que comme le livre est interdit et épuisé, on ne le trouve plus. Il veut le lire, et il le lit lui aussi avec passion.
Les jugements des témoins s’en ressentent (pour un diplomate, il est « fatigué, pétrifié dans sa gloire » [14]). Dans ses dernières années, il est confronté à des visions, confiées au card. Tardini, dont une de Jésus citée par l’Osservatore Romano. Pie XII aurait eu trois fois dans les jardins du Vatican la vision du miracle du soleil de Fátima. Cela attire le propos ironique du cardinal Tisserant (« Que voulez vous, c’est de son âge »). Il meurt le 9 octobre 1958
D’après Jean Guitton, il aurait dit de lui-même qu’il était « le dernier pape Pie », l’« ultime chaînon d’une longue dynastie ». Et c’est un jugement très pertinent. « Issue des modèles dépassés du XIXeme siècle, la centralisation romaine aura atteinte, sous son long règne de dix neuf ans, son apogée avec tous ses excès. Mais elle brille de ses derniers feux. Pie XII c’est à la fois l’apothéose et la fin d’une époque [15] »
Pie XII Le diplomate Lire la suite »
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Erudit, théologien, cardinal en 1921, il est élu l’année suivante comme candidat de compromis, et montre très vite son autorité indépendante, en refusant au camp conservateur de renvoyer Gasparri et en choisissant, à l’inquiétude des libéraux, de prendre la tiare sous le nom de Pie XI.
Il aime dire « j’aime tellement les traditions que j’en crée de nouvelles ».
Il innove en donnant sa bénédiction « ubi et orbi » (à la cité et au monde) de la loggia extérieure de la basilique Saint-Pierre, ce qui constituait symboliquement, un geste politique considérable, après l’isolement des papes de Pie IX à Pie XI se déclarants « prisonniers du Vatican[1] »depuis le 20 septembre 1870
Il insiste sur le rôle des laïcs : « tous les fidèles sont appelés à collaborer [à l’apostolat], car tous peuvent travailler dans la vigne du Seigneur », (aux évêques colombiens le 14 février 1934). Concrètement, il accorde son appui à l’Action catholique et aux institutions de jeunesse comme la Jeunesse ouvrière chrétienne, fondée par l’abbé Joseph Cardijn.
Les accords du Latran de 1929 règlent la question de états pontificaux en créant un état souverain qui a pour nom Cité du Vatican.
Dès la fin de 1925, il s’oppose férocement au mouvement monarchiste de l’Action française[2]. Sa condamnation des totalitarismes de droite comme de gauche est sans appel :
En contrepoint, cette politique sur la scène internationale va se traduire par des compromis de plus en plus périlleux. Onze concordats[7] sont signés entre l’Eglise Catholique Romaine et différents états entre 1922 et 1935 dont celui signé par le cardinal Eugénio Pacelli avec le IIIeme Reich d’Adolf Hitler en 1933, mais aussi avec l’Italie fasciste de Mussolini.
Le 6 septembre 1938, alors que le gouvernement italien prépare les lois raciales fascistes, Pie XI déclare à un groupe de pèlerins belges : « Par le Christ, et dans le Christ, nous sommes de la descendance spirituelle d’Abraham. Non, il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme. Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre et de prendre les moyens de se protéger contre tout ce qui menace ses intérêts légitimes, mais l’antisémitisme est inadmissible. Nous, chrétiens, nous sommes spirituellement des sémites[8] »
Hélas, si la presse laïque s’en fait l’écho, ni l’Osservatore Romano, ni par Radio Vatican n’en font mention…
On peut dire -pour ne pas faire d’erreur de perspective en relisant l’histoire passé avec nos connaissances d’aujourd’hui- qu’elle est strictement limitée à la position la plus traditionnelle de l’Eglise Catholique.
L’encyclique Mortalium animos[9] du 6 janvier 1928 « Sur les véritables principes de l’unité des chrétiens » souhaite le retour au sein de l’Église Catholiques Romaine de ceux « qui ont eu le malheur de s’en séparer » et tente de mettre un coup d’arrêt a toute velléité de dialogue
Cependant l’Esprit Saint travaille.
En ce XXe siècle commençant, l’idée œcuménique fait son chemin, à l’initiative de la sphère protestante avec les grands rassemblements du mouvement « Foi et constitution » d’Edimbourg[11] (1910) plus tard de Stockholm[12] (1925), de Lausanne[13] (1927) qui mettent en contact le monde anglican anglo-américain avec les calvinistes, les luthériens et aussi les orthodoxes.
On est également dans la suite de cette Grande Guerre qui a beaucoup rapproché les aumôniers militaires de différentes religions au sein des unités, mais aussi dans les camps d’officier notamment, des catholiques, des protestants et des orthodoxes.
Et puis se pose aux églises la question de la concurrence dans les pays de mission qui est un contre témoignage.
L’occasion d’une avancée est fournie par la conférence anglicane de Lambeth de 1920, qui lance un vibrant appel à l’unité chrétienne. Cet appel de Lambeth a été communiqué au pape et à un certain nombre d’évêques catholiques.
Le Père Portal a été immédiatement frappé de ce fait nouveau, dont l’importance ne semblait pas avoir été perçue en milieu catholique et, soucieux d’en profiter pour relancer l’idée de contacts entre les deux Églises en vue d’explorer les possibilités éventuelles d’un rapprochement, il eut l’idée d’y intéresser le cardinal Mercier, archevêque de Malines-Bruxelles, qui avait reçu cet appel et répondu personnellement à l’archevêque de Cantorbéry
Portal, après un premier contact, lui écrivit une longue lettre[14] , où il développait ses vues en rappelant ce qu’avaient été en réalité les tentatives des années 1890 : «Dans la pensée des initiateurs du mouvement, la question des Ordres [c’est-à-dire la validité des ordinations anglicanes] n’était choisie que comme un terrain de rencontre où anglicans et catholiques pourraient examiner ensemble non seulement la valeur des Ordres mais toutes les questions qui les séparent »
Le card. Mercier avait déjà fait une démarche auprès de Benoit XV qui n’avait pas répondu.[15] Mais à l’automne, Portal et Halifax décidèrent de revenir à la charge et réussirent à rallier le card. Mercier à l’idée d’entretiens dans son palais épiscopal avec quelques représentants de l’Église d’Angleterre, pour de simples « conversations » privées, visant à se documenter réciproquement et ne pouvant dès lors donner lieu à aucune publicité.
Ces conversations ont lieu effectivement, à quatre reprises, de 1921 à 1926, sur deux ou trois jours chaque fois, entre des représentants des deux églises, avec beaucoup de respect et d’amitié. Il est convenu que chaque parti présente des exposés qu’on mettrait ensuite en débat, en essayant de faire la lumière sur les divergences doctrinales, et en centrant le travail sur la nature de l’Eglise.
Le card. Mercier en ayant référé au pape Pie XI, la réponse du pape, qui évoqua le souvenir de ses rencontres avec des scholars d’Oxford et avec des orthodoxes russes se déclara convaincu de leur entière bonne foi, et fut tout à fait positive : «Je ne vois que du bien à ces réunions » de Malines. Sauf qu’il y avait erreur sur le fond de la démarche de Mercier-Portal-Halifax[16]
A partir de la 3ème conversation, à Noël 1923, ces échanges œcuméniques deviennent connus du grand public, et une certaine opposition se manifeste. Le Cardinal, qui est critiqué dans son propre diocèse, publie en janvier 1924, une lettre pastorale restée célèbre, dans laquelle il écrit : « Pour rien au monde, je ne voudrais autoriser un de nos frères séparés à dire qu’il a frappé en confiance à la porte d’un évêque catholique romain et que cet évêque catholique romain a refusé de lui ouvrir. »
Lorsque la mort, la même année 1926, du cardinal Mercier, en janvier, et celle de l’abbé Portal, en juin, met fin aux conversations de Malines, on peut dire que ces rencontres n’ont pas fait réellement bouger les lignes théologiques et ecclésiales, mais elles restent fortement symboliques par la méthode employée dans ces conversations bilatérales. Le cardinal Mercier écrit dans une lettre de janvier 1924 :
Les hommes sont faits pour s’aimer les uns les autres et il n’est pas rare que des cœurs mutuellement étrangers qui auraient pu, à distance, se croire ennemis, goûtent, à se comprendre, un charme pénétrant qu’ils n’auraient pas soupçonné.
Et il ajoute le rapprochement des cœurs n’est pas l’unité de la foi, mais il y dispose.
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Octave Beauduin, est belge, jeune prêtre à l’époque de Rerum Novarum, il s’engage en 1899 dans la congrégation des prêtres du travail, par sensibilité à la détresse religieuse et humaine de la classe ouvrière. Et puis sa quette spirituelle le mène chez les moines bénédictins du Mont-César à Louvain
Il devient Dom Lambert Beauduin. Il a 33 ans.
il y trouve au monastère des ouvertures inattendues. Jusque-là, comme quasiment tous les prêtres de paroisse, il n’avait vu dans la liturgie selon ses propres souvenirs qu’une « série de prescriptions minutieuses et arbitraires imposées, croirait-on, pour exercer la patience de ceux qui les étudient et les accomplissent ».
Au Mont-César, le prieur est Dom Columba Marmion (que Jean-Paul II a béatifié en l’an 2000) un maître spirituel grâce à qui le jeune Dom Lambert commence à pénétrer la richesse de l’Ecriture sainte, de la prière chorale, de la liturgie dans son ensemble. Et le jeune moine, comprenant l’impact que la liturgie peut avoir dans la formation chrétienne et la vie quotidienne de l’Eglise, lance, un véritable « mouvement liturgique » dans le clergé paroissial, avec l’encouragement de ses supérieurs et du Cardinal Mercier.
Cet appel restera presque sans écho. En fait, l’ordre bénédictin en tant que tel refuse de s’impliquer, mais Dom Lambert Beauduin obtient de ses supérieurs l’autorisation de fonder un « monastère de l’Union », où l’on vivra la liturgie selon les deux rites, latin et oriental, et où l’on travaillera la question du rapprochement des Eglises.
Grâce à sa famille, qui n’est pas dans la gêne, Dom Lambert achète l’ancien carmel d’Amay-sur-Meuse, où son « monastère de l’Union » ouvre ses portes le 25 novembre 1925. Avec dom Ildefonse Dirkx cédé par le Mont-César, le Père L. Gillet, qui assistera le fondateur pendant trois mois
Trois mois plus tard est fondée la revue Irénikon
D’entrée de jeu, dom Lambert Beauduin met les choses au point: «Ni prosélytisme, ni bienfaisance, ni conception impérialiste», lit-on en sous-titre dans un article-programme de la revue, bien trop risquée dans ces années 20, qui va lui faire rapidement des ennemis.
Il aurait pu s’en douter déjà lorsque paraît, le 8 janvier 1928, l’encyclique Mortalium animos [9]. Au fond, ce n’est pas le monde oriental qui fait peur à Pie XI, mais plutôt ces grandes conférences œcuméniques de Stockholm ou de Lausanne, qui laissent présager que les Eglises issues de la Réforme vont se fédérer – il y a des rapprochements, notamment dans le monde anglo-américain- qui font peur au Saint-Siège[18].
L’encyclique brocarde une espèce de « panchristianisme » illusoire, fondée sur un prétendu humanisme et un indifférentisme doctrinal très dangereux. Cette encyclique est un vrai choc dans les milieux qui travaillent à l’amitié entre les différentes confessions, un vrai coup d’arrêt aux entreprises œcuméniques naissantes[19].
Pendant cette longue période, ses idées feront peu à peu leur chemin : « Travailler aujourd’hui patiemment pour les générations futures et prendre d’abord le temps de se connaître mutuellement. » Avec le génie qui le caractérise, Beauduin pose les jalons successifs du long cheminement vers l’unité : « se connaître, se comprendre, s’estimer, s’aimer ». Ces quatre balises figurent telles quelles dans six œuvres de dom Lambert et en outre plusieurs fois ailleurs sous des formes équivalentes: c’est dire l’importance qu’il attribue à cette méthode.
En 1951, à l’âge de 78 ans, réhabilité (officieusement) par Rome, Beauduin pourra prendre place discrètement à l’hôtellerie de son monastère déménagé à Chevetogne[20].
Il y décédera le 11 janvier 1960
Les semaines de l’abbé Couturier
La jeune communauté bénédictine a été privée brusquement de son fondateur, elle est suspectée par Rome dans ses moindres actions et les jours de la revue Irénikon, sont menacés plus d’une fois. Mais elle continue son chemin, avec un recrutement assez baroque, mais très riche en personnalités fortes[21].
Dans le jardin de l’hôtellerie du monastère à l’été 1932, il y a un prêtre séculier, d’une cinquantaine d’années, qui marche dans l’allée. Il est arrivé le 16 juillet, pour passer un mois de repos et de retraite. Il vient de Lyon, où il est professeur de sciences au collège des Chartreux. Il s’appelle Paul Couturier[22]. C’est un homme ouvert, grand lecteur de Teilhard de Chardin dont il aime l’idée d’une humanité tout entière unie dans le Christ. C’est la première fois qu’il vient à Amay, qui lui a été recommandé par un ami lyonnais.
Celui qui va devenir le grand apôtre français de l’œcuménisme ne sait alors quasi rien des questions œcuméniques – sauf qu’il s’occupe activement depuis 1923 de l’aide aux russes orthodoxes réfugiés à Lyon, et qu’il est touché par leur belle liturgie. Au monastère d’Amay, cet été-là, l’abbé Couturier passe un mois enchanteur, pratique la liturgie grecque ou slave de la chapelle byzantine du monastère, lit et prend des notes dans la bibliothèque, et converse avec les moines en contemplant la douce vallée de la Meuse.
Lorsqu’il quitte Amay, au mois d’août, il emporte certes des icônes russes et des numéros d’Irénikon dans sa valise, mais dans son cœur il emporte la certitude œcuménique d’avoir à travailler et à prier toute sa vie pour l’union des Eglises, avec une méthode, celle qu’il vient de découvrir dans le testament spirituel du cardinal Mercier, qu’on lui a fait lire : Pour s’unir, il faut s’aimer, pour s’aimer, il faut se connaître, pour se connaître il faut aller à la rencontre l’un de l’autre.
Paul Couturier fait profession en 1933 comme oblat du Monastère de l’Union.
À son retour, il organise un triduum de prière pour l’unité des chrétiens à Lyon, en janvier 1933. En 1934, c’est une octave de prière qui s’étend du 18 au 25 janvier et s’inscrit dans le sillage de l’octave pour l’unité créée par sous l’impulsion du Révérend Spencer Jones, un anglican, et du Révérend Paul Watson, un épiscopalien, converti au catholicisme. Le but de la semaine de prière était alors la conversion à Rome de tous les chrétiens séparés. Pie X, Benoît XV, Pie XI, avaient encouragé cette pratique.
Dans les allées du parc d’Amay-sur-Meuse, dans ce début d’août 1932, nous allons croiser, séjournant aussi à l’hôtellerie du monastère, tout à fait par hasard en même temps que l’abbé Couturier, un personnage absolument capital de l’œcuménisme catholique français.
Tout ce bouillonnement à la fois intellectuel et spirituel, chez ce jeune dominicain, fait jaillir en lui ce cri, face à ce qu’il observe, dans son Eglise : « Mon Dieu, pourquoi votre Eglise, qui est unique, sainte et vraie, a-t-elle souvent ce visage austère et décourageant, alors qu’elle est en réalité pleine de jeunesse et de vie ? « » Et au cœur de cette profession de foi, il y a déjà la question qui va le hanter toute sa vie, qui est celle de l’unité de l’Eglise. Dans son Journal du Concile (24 novembre 1962), il y a cette note : « Mon Dieu, qui m’avez fait comprendre, dès 1929-1930, que si l’Eglise changeait de visage, si elle prenait simplement son vrai visage, si elle était tout simplement l’Eglise, tout deviendrait possible sur la voie de l’unité[27]. »
Et naturellement, en ce début des années 30, parce qu’il veut connaître le terrain et visiter les lieux où l’on se soucie d’un renouveau de l’ecclésiologie et de l’unité des chrétiens, son chemin passe par Amay-sur-Meuse. Je cite : « Le monastère occupait un ancien carmel. On y était à l’étroit. Les livres de la bibliothèque débordaient dans les couloirs. L’Office et l’eucharistie étaient célébrés simultanément en rite latin et rite oriental (…). Je me documentais à la bibliothèque et j’eus avec plusieurs des Pères attachés à l’œuvre des conversations qui me révélaient quelque chose des profondeurs, soit de la tradition orientale, soit des problèmes de l’unité. C’est alors que je me liai avec Dom Clément Lialine d’une amitié qui a duré jusqu’à sa mort et qui m’a infiniment apporté. Dom Lialine avait un extraordinaire don d’amitié. Chez lui, le moine, le Slave, avec sa faculté de lire au-dedans des choses, l’homme étonnamment cultivé, curieux et informé, l’ami fidèle et délicat, ne faisaient qu’un (…) [28].
« Un prêtre de Lyon se trouvait en même temps que moi au monastère d’Amay, l’abbé Paul Couturier. Je me rappelle très bien telle conversation d’alors, dans l’allée du jardin. L’abbé Couturier me développa une vue de l’Eglise d’une inspiration assez bergsonienne : il y avait dans l’Eglise « un élan de vie »…[29]
En 1937, il publie un livre fondamental, qui s’intitule Chrétiens désunis. Principes d’un œcuménisme catholique[30]. Ce livre forme le premier volume d’une nouvelle collection éditions du Cerf intitulée « Unam Sanctam ». Le but du livre est de prouver que le problème de l’unité chrétienne n’est pas une simple question de retour des « dissidents » à l’unité romaine. Pour Congar, il n’y aura pas d’œcuménisme sans un élargissement des cœurs, et même une « dilatation maximale de la catholicité »: c’est-à-dire que plus on est catholique, en extension et en compréhension, plus on pourra inclure un jour les valeurs chrétiennes authentiques dont vivent les frères « séparés ».
Pie XI entre ouverture et immobilisme Lire la suite »
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XXIV Benoit XV et la Guerre
Les 60 cardinaux électeurs vont liquider le clan anti-moderniste de la curie conduit par De Lai et Merry Del Val, et élire le 3 septembre 1914 Giacomo della Chiesa 59 ans, Cardinal-Archevêque de Bologne, qui prend le nom de Benoit XV.
Il hérite d’une situatuion médiocre avec des moyens diplomatiques qui sont médiocres, à l’image des relations médiocres de Pie X avec les états laïcs.
Seuls 14 états ont une représentation auprès du Vatican.
« …A l’égard ensuite des questions, où, sans détriment de la foi ni de la discipline, on peut discuter le pour et le contre, parce que le Saint-Siège n’en a encore rien décidé, il n’est interdit à personne d’émettre son opinion et de la défendre ; mais que dans ces discussions on s’abstienne de tout excès de langage, qui pourrait offenser gravement la charité ; que chacun soutienne son avis librement, mais qu’il le fasse avec modération, et ne croie pas pouvoir décerner aux tenants d’une opinion contraire, rien que pour ce motif. »
Dès sa première encyclique Ad beatissimi apostolorum principis [1] Benoit XV siffle la fin de la récréation. Même si la commission biblique continue à s’aventurer à des affirmations imprudentes, l’encyclique Siritus Paraclitus[2] invite -et c’est une vraie rupture avec le pontificat précédent- à lire les Ecritures Saintes : « Pour Nous, Vénérables Frères, à l’exemple de saint Jérôme, jamais Nous ne cesserons d’exhorter tous les chrétiens à faire leur lecture quotidienne principalement des très saints Evangiles de Notre-Seigneur, ainsi que des Actes des Apôtres et des Epitres, de façon à se les assimiler complètement. » même si elle continue à condamner la méthode historico-critique[3]
En 1917, le Code de droit canonique mis en chantier sous Pie X est promulgué
Le serment anti-moderniste est maintenu.
Dès le 3 septembre Benoit XV a vécu dans la conscience aiguë de la tragédie de la guerre et n’a eu qu’un but, le rétablissement de la paix : le 8 septembre il publie une exhortation apostolique sans langue de bois : « Nous avons été frappé d’une horreur et d’une angoisse inexprimables par le spectacle monstrueux de cette guerre, dans laquelle une si grande partie de l’Europe, ravagée par le fer et le feu, ruisselle de sang chrétien. »[4]
Les puissances centrales ne comprennent pas pourquoi le pape refuse de soutenir officiellement l’Autriche-Hongrie, seul pays officiellement catholique, et l’Allemagne, qui compte les très catholique Bavière et Rhénanie, contre des États visiblement anticatholiques : la protestante Angleterre, « oppresseur » de l’Irlande, la Russie, schismatique, « oppresseur » quant à elle de la Pologne, mais aussi la France, « foyer de l’athéisme ».
Les positions de Benoit XV ne seront jamais comprises ni acceptées alors qu’elles sont les seules tenables. Chacun le souhaite dans son camp et l’accuse d’être dans l’autre…«Il a exhorté à maintes reprises les peuples à conclure une paix juste, et offert ses bons offices ou sa médiation en vue d’une pacification générale. Ses échecs successifs ne l’ont jamais amené à renoncer pendant le conflit, malgré l’incompréhension presque totale à laquelle il s’est heurté. Ses désirs de neutralité -bien plus, d’impartialité- ont été vécus dans les deux camps opposés comme un manque de courage politique : on était persuadé qu’il y avait bien choix, celui de l’autre camp, que le pape n’exprimait pas par hypocrisie. Car la haine de l’ennemi est constitutive de la croisade, et le pape, paradoxalement, ne peut la diriger, lui qui a des enfants dans les deux camps.[5] »
Le 1 aout 1917 il envoie une « lettre aux chefs des peuples belligérants »[6] qui sera très mal reçue parce que trop raisonnable dans un moment déraisonnable. « L’impossibilité mentale de reconnaître dans l’ennemi, vu comme responsable des atrocités, du viol du territoire, un chrétien -plus, un catholique- explique en grande partie l’incompréhension des belligérants, catholiques ou non, face au pape »[7]
Une situation fortuite va ouvrir des horizons œcuméniques et même interreligieux inattendus : « Au front, les aumôniers des « minoritaires » (protestants et juifs) trouvent une place plus importante en proportion que leurs effectifs en chiffres absolus. Car les hommes d’Églises, qu’ils soient catholiques, protestants ou juifs, font le même métier, ils consolent, encouragent, assistent…. Quelle que soit leur foi, ils partagent la même, la foi en la victoire, et cela explique la multiplications de rencontres, improbables avant la guerre. Non seulement les croyants des différentes confessions peuvent mener un dialogue impossible jusque-là, mais encore ils côtoient des agnostiques voire des libres-penseurs, qui, pour leur part, se trouvent confrontés à la foi, voire à l’acte de foi. Une fois admise la part de la propagande édifiante, demeure la vraie nouveauté de ces rencontres spirituelles ancrées dans l’énergie commune du patriotisme et du rejet de l’ennemi.[8]»
L’autre va devenir un peu moins différent
Le pape se montre très pessimiste sur le règlement du conflit.
Dans son encyclique Pacem, Dei munus pulcherrimum[9] du 23 mai 1920, il désapprouve le traitement jugé trop humiliant réservé à l’Allemagne « Il est superflu de démontrer longuement que la société humaine subirait les plus graves dommages si la signature de la paix laissait subsister de sourdes haines et des rapports hostiles entre les nations. » et condamne le découpage opéré par le traité de Versailles « Si presque partout on a mis, en quelque façon, un terme à la guerre, si l’on a signé des traités de paix, on n’a pas extirpé les germes des anciennes discordes ; et vous ne doutez pas, Vénérables Frères, que toute paix est instable . »
Au sortir de la guerre, le cardinal Gasparri s’efforce de renouer les liens entre le Saint-Siège et les nations. Le nombre d’États représentés au Vatican augmente, ainsi que les nonciatures à l’étranger.
Le pape Benoît XV meurt brutalement le 22 janvier 1922, après sept ans de pontificat, à l’âge de 67 ans
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XXIII Le début du 20eme siècle : Pie X ou la rupture avec la société moderne
En 1905, l’Assemblée nationale vote la loi de séparation des Églises et de l’État. Or, l’Église catholique « a peine à abandonner l’idée d’une alliance de l’État et de l’Église, ou d’une position privilégiée du catholicisme religion vraie, dans l’État. Mais d’autre part, elle a également peine à accepter les règles du débat public. Surtout quand le débat porte sur les réalités mêmes de la foi, comme c’est le cas pour les sciences religieuses ». C’est donc une Église fragilisée et traumatisée qui va devoir affronter « la mise en question de son passé et des textes fondateurs par une histoire et une exégèse, qui semblent pactiser avec l’adversaire extérieur »[5].
Globalement bien accueillie par les juifs et les protestants , la loi est combattue par le pape Pie X, bien que la majorité des évêques français conseille de se plier à la loi (encyclique Vehementer nos[6] du 11 février 1906, allocution consistoriale Gravissimum du 21 février, et encyclique Gravissimo officii munere[7] du 10 août, (Que le chanoine Louis Duchesne baptise malicieusement « Digitus in oculo »: « doigt dans l’œil » reflétant en cela l’acceptation de la laïcité par une partie du clergé et du laïcat français.).
Cette opposition du pape à la loi française a pour conséquence de compromettre la création des associations cultuelles, prévues par la loi, et de faire transférer les biens immobiliers de l’Église au profit de l’État.
La guerre éclate et s’étend à toute l’Europe dans les premiers jours d’août 1914.
Pie X meurt le 20 août 1914 (à 79 ans). Il est canonisé en 1954
Le début du 20eme siècle : Pie X (1903-1914) Lire la suite »
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Léon XIII s’éteint en 1903, pasteur estimé d’une Eglise qui se recroqueville sur elle-même au niveau dogmatique, exégétique, théologique ; dont le dialogue avec la société civile se tend en Italie, en France, et en Europe en général, excepté avec l’Allemagne du puissant parti Zentrum et auprès de la monarchie Austro-Hongroise.
Elle naît en pleine révolution industrielle, à la fin du 19eme siècle, par le pasteur méthodiste[4] anglais William Booth, scandalisé par le spectacle des foules ouvrières qui s’entassent dans les quartiers pauvres de l’Est londonien.
XXII La fin du 19eme siècle Lire la suite »
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Les jardins de Madère
le petit commencement de l’engagement œcuménique de quelques catholiques à l’époque contemporaine en décembre 1889, se situe dans un jardin, à Funchal, dans l’île de Madère au large du Portugal. Deux hommes marchent côte à côte en s’entretenant.
L’autre homme, un peu plus âgé (50 ans), qui marche à côté de lui, s’appelle Charles Lindley Wood, plus connu sous son titre de Lord Halifax [2]. Il séjourne à Madère pour soigner son fils Charles, tuberculeux.
La rencontre entre les deux hommes, ce prêtre lazariste intelligent et ouvert pour son temps, grand lecteur de Newman et de Mohler et puis ce laïc anglican si proche du catholicisme, va faire merveille. Les deux hommes, passionnés d’histoire des dogmes et sensibles à la division des églises, entament une grande amitié – qui va durer près de 40 ans.
Ces conversations privées de Madère ont fait naître, surtout chez Portal pour qui elles sont un déclic, un désir d’œuvrer à l’union des deux églises. En 1890, Portal a proposé à Lord Halifax de se convertir au catholicisme, mais devant le refus très net de l’anglais, il a compris que l’entreprise à mener, bien plus intéressante, était de nouer un dialogue, sur un pied d’égalité, entre l’Eglise romaine et la Communion anglicane.
« Il y a la conduite providentielle de Dieu, mais il y a aussi un aspect qui touche à celui auquel je veux m’attacher ; la rencontre est rencontre d’un autre. Celle de Halifax par Portal a été celle d’un autre monde spirituel, le monde de l’anglo-catholicisme. L’Église […] ne reconnaissait les autres que comme extérieurs à la cité de la vérité, comme adversaires à réfuter et à combattre. Le Père Portal […] s’est vu ouvrir […] l’accès à un autre monde spirituel. Assez « autre » pour ne pas être réduit à l’identique, assez homogène et conforme pour qu’on pût parler d’union. Avec ces deux traits, on a déjà la logique de « l’Église anglicane unie, non absorbée… Portal doit à l’amitié d’Halifax d’avoir compris des choses qu’aucun livre ne peut apporter « .[3]
Fernand Portal œuvre dès lors avec son ami lord Halifax à cette idée de réunion des Églises et obtient l’approbation personnelle du pape Léon XIII pour prendre contact avec des personnalités de l’Église anglicane. Pour provoquer une rencontre entre catholiques et anglicans, il lance un débat sur la validité des ordinations anglicanes qui semblait être un terrain possible d’entente. Fernand Portal présente en guise d’amorce au débat théologique une petite brochure intitulée Les ordinations anglicanes en décembre 1893 à laquelle répond un opus rédigé par des théologiens anglicans sous l’impulsion d’Halifax.
Côté Portal et Halifax, on espère beaucoup[5].
La décision pontificale est brutale et, par la publication de la bulle Apostolicae Curae [6] du 18 septembre 1896, elle déclare les ordinations conférées selon le rite anglican entièrement nulles. La commission a conclu pour les ordinations de l’Eglise d’Angleterre à un défaut de forme et d’intention. « De notre propre mouvement et de science certaine, nous prononçons et déclarons que les ordinations conférées selon le rite anglican ont été et sont absolument vaines et entièrement nulles… »
Une déclaration un peu raide, mais en réalité une position « tutioriste », c’est-à-dire plus tranchée que nécessaire peut-être, mais par précaution, pour éviter de déclarer valides des ordres qui ne le seraient finalement pas.
Du côté de Portal, cependant, positif et optimiste, la réaction est courageuse : L’avenir est aux pacifiques, écrit-il à son ami anglais, ce que vous avez fait, vous et les vôtres, pour la réunion de la chrétienté, sera l’éternelle gloire de l’Eglise anglicane.
Ia revue Anglo-romaine est interdite. Portal doit partir pour le grand séminaire de Châlons-sur-Marne sur ordre de son supérieur général.
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