Le concile œcuménique Vatican II_1ère session (13 octobre – 8 décembre 1962)

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant trois mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

XXIX Le concile Vatican II_1ère session (13 octobre – 8 décembre 1962)

 

Les commissions

 

Le 13 octobre la première « congrégation générale » (réunion plénière de l’Église universelle) est présidée par le cardinal Tisserant, doyen du Sacré Collège. Se produit alors un «coup de théâtre», préparé par des échanges entre plusieurs archevêques représentatifs d’épiscopats européens, choqués par la mainmise des bureaux romains sur l’assemblée des évêques : les cardinaux Achille Liénart, de Lille, et Joseph Frings, de Cologne, contestent vigoureusement

le cardinal Liénart

la composition des commissions préparatoires et les méthodes de travail prévues par la curie romaine, qui conduisent à un simple enregistrement de textes préfabriqués : ils exigent que le concile puisse délibérer librement. À une immense majorité, les évêques décident alors par un vote de ne pas procéder comme prévu par les commissions préparatoires, mais de se consulter par groupes nationaux et régionaux, ainsi que dans des réunions plus informelles.

Pour débloquer le concile, les cardinaux Léon-Joseph Suenens, Giacomo Lercaro, et Julius Döpfner, trois des quatre modérateurs, semblent avoir été à l’origine d’un changement de procédure immédiatement accepté par Jean XXIII.

Le 16 octobre les commissions conciliaires sont élues à partir des listes proposées par les conférences épiscopales. La plus importante d’entre elles est celle présentée par « l’alliance européenne », constituée autour de la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche, les Pays-Bas et la Suisse : 80 % de ses candidats sont élus.

 

Schéma sur la liturgie

 

La discussion ne pose pas de problèmes majeurs sauf le barrage systématique du card Ottaviani sur l’usage de l’obligation du latin pour la liturgie. L’intervention du Patriarche Maximos IV marque les Pères conciliaires : « La valeur quasi absolue assignée au latin dans la liturgie, l’enseignement et !’administration de l’Eglise latine nous apparait, a nous, Eglise d’Orient, comme assez anormale. Le Christ, après tout, parlait la langue de ses contemporains.  [En Orient), la langue liturgique n’a jamais t’te un problème. Toutes les langues sont liturgiques, comme le dit le Psalmiste: « Louez le Seigneur, tous les peuples. »  Le latin est une langue morte tandis que l’Eglise est vivante, au contraire, et sa langue, véhicule de la grâce du Saint-Esprit, doit également être vivante car elle s’adresse a nous, êtres humains et non aux anges[1]»

Le schéma sur la liturgie est accepté comme base de discussion par 97% des votants

 

Schéma sur les sources de la Révélation

 Après avoir abordé le schéma sur la liturgie qui ne pose pas de problème majeur, les Pères examinent les cinq chapitres du schéma sur la Révélation.

C’est un sujet explosif : qui montre bien la prise de pouvoir du concile sur ses travaux et son ordre du jour

1 La théorie des deux sources
Depuis le concile de Trente il était admis que la Tradition était une source de vérités doctrinales à coté et a égalité, avec celles formulées dans le Nouveau Testament. Cette théorie des « deux sources » était domaine réservé du Pape et de la curie
2 l’inhérence des Ecritures
Toute l’Ecriture , dans tous ses détails, est dictée par Dieu aux auteurs et ne peut donc contenir d’erreur ni religieuse, ni profane
3 l’Ancien Testament
N’a de raison d’être que comme élan vers le Nouveau Testament
4 Le Nouveau Testament
Ils est historiquement vrai dans tous les faits, actes et paroles de jésus tels que rapportés dans les évangiles
5 Les Ecritures dans la vie de l’Eglise
 Autorité de la vulgate considérée comme un élément de la Tradition

Les cardinaux Liénart, Frings, König rejettent le schéma. Léger, Alfrink ,demandent l’élaboration d’un nouveau texte.

     La perplexité envahit les Pères Conciliaires : si certains acceptent le schéma comme base de départ, d’autres le refusent carrément, jugeant sa problématique contraire à l’orientation œcuménique impulsée par Jean XXIII au concile.

Devant cette incertitude, le conseil de présidence propose, le 21 novembre, un vote sur l’acceptation du texte comme base de discussion. Mais la question est posée à l’envers : le texte doit-il être renvoyé en commission ?  La différence est importante, dans la mesure où la majorité des 2/3 est requise. Poser la question ainsi présuppose que le texte est a priori valable et que c’est aux adversaires de faire la preuve de leur nombre. Le résultat est ambigu : 60 % des Pères repoussent le texte. La majorité qualifiée n’est pas atteinte ; en principe, la discussion devrait continuer, malgré le désaveu mathématique. 

     C’est alors que Jean XXIII décide de retirer le schéma et de confier sa refonte à une Commission mixte (Commission doctrinale – Secrétariat pour l’unité des chrétiens), réaffirmant ainsi l’orientation œcuménique initiale.

Ca peut sembler de la « magouille » interne. Mais c’est révélateur de ce qui va être le fonctionnement du concile pendant quatre ans : une lutte entre une minorité conservatrice[2]  et une majorité qui souhaite une ouverture sur le monde moderne[3]. Et derrière cette dispute, c’est œcuméniquement, la possibilité d’un dialogue avec « les hérétiques » (dixit la minorité) qui est en jeu.

Schéma sur l’Eglise

 

Début décembre, quand on en vient à examiner le schéma sur l’Église élaboré par la Commission doctrinale, plusieurs des Pères, dont le card. Montini, archevêque de Milan et futur pape, le jugent insuffisant.

Ce qui est en jeu est la conception même de l’Eglise. Le card. Ottaviani et le Saint-Office (ancien nom du dicastère pour la doctrine de la foi) défendent dans le schéma de Ecclesia une vision purement hiérarchique et cléricale ou les non-clercs sont appelés au mieux les fidèles, des ouailles, ou au pire le troupeau et n’on pas de rôle.

Le problème est qu’au cours du 20ème siècle l’Eglise à découvert les laïcs qui avaient acquis, principalement à travers l’Action Catholique et aussi grâce au travaux de théologiens comme Congar ou Philips,  une certaine visibilité. Et qu’il fallait en dire quelque chose d’intelligent. Ensuite vient la question des membres de l’Eglise. Il s’agit de situer les « autres chrétiens » dit « séparés »

Le card. König dans son intervention demande que soit ajouté un exposé sur « le Peuple de Dieu ». Mgr De Smet, rappelle avec force que « La hiérarchie dans l’Eglise n’est qu’un ministère, un moyen transitoire. La hiérarchie passera, mais le Peuple de Dieu lui, demeurera éternellement. Il souligna que tous les chrétiens jouissaient de la même dignité; le Pape lui même était un parmi les fidèles du christ[4] »

Ce schéma sera lui aussi renvoyé en commission pour être amendé

Bilan de la première session

 

Si le bilan de la première session est maigre – aucun texte n’a été voté –, l’entité conciliaire a commencé à prendre corps : les Pères ont noué des contacts les uns avec les autres et avec les observateurs chrétiens non catholiques.

     Surtout, face à la curie Romaine -et spécialement au card Ottaviani et son âme damnée Sebastiaan Tromp s.j. respectivement préfet et secrétaire du Saint Office, les Pères conciliaires ont pris leur autonomie et mis le concile sur les rails que Jean XXIII désirait.

Les fruits sont à venir.

Dans son discours de clôture, le 8 décembre, Jean XXIII exprime le vœu de voir le concile achevé pour Noël 1963. (En fait in faudra attendre encore jusqu’en 1965)

 

 

[1] O’MALLEY John W.  L’évènement Vatican II. Ed Lessius. Bruxelles 2011 p 190
[2] Les membres de la minorité sont davantage soucieux de conserver le dépôt de la foi dans son intégrité. Ils sont très sensibles aux « dangers » que font courir à celle-ci les « erreurs modernes » que sont le marxisme, l’évolutionnisme et le laïcisme. Ils dénoncent une tendance au relativisme dans le mouvement œcuménique et dans les invitations à accepter la légitimité du pluralisme dans l’Église.
     Ses leaders sont les cardinaux Alfredo OttavianiGiuseppe SiriErnesto RuffiniMichael Browne. Il faut aussi mentionner l’évêque de Segni, Carli, et le supérieur des Spiritains, Marcel Lefebvre. Les membres de la minorité se retrouvent au sein du Coetus Internationalis Patrum.
     L’action de la minorité a donné lieu à des critiques, notamment pour certaines pratiques d’obstruction. Mais il faut noter qu’il s’agissait pour ses membres d’une question de conscience. Dans la mesure où les membres du concile ont toujours souhaité parvenir à un consensus général, de nombreux textes présentent des formules de compromis, dont l’ambiguïté nuit à la qualité
[3] Pour cela ils préconisent, entre autres, une plus grande liberté pour la recherche théologique et exégétique, une plus grande confiance dans le laïcat chrétien, un style de gouvernement moins administratif et plus évangélique et une participation effective des évêques diocésains à la direction de l’Église.
     Ses leaders sont les cardinaux Giacomo LercaroLéon-Joseph SuenensJulius DöpfnerJoseph FringsFranz KönigBernard Jan Alfrink et le patriarche Maximos IV.
[4] PEDOTTI Christine. La bataille du Vatican. 1962-1962. Plon Paris 2012 p 190

Le concile œcuménique Vatican II_1ère session (13 octobre – 8 décembre 1962) Lire la suite »

Le concile Vatican II_Ouverture

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant trois mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

XXVIII  Le concile Vatican II_Ouverture (11 octobre 1962)

 

 

Le concile Vatican II est ouvert le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII devant 2540 patriarches, cardinaux, évêques, supérieurs majeurs. Cette cérémonie publique réunit les représentants de 86 gouvernements, organismes internationaux, et invités. Parmi eux, grande nouveauté, 53 « observateurs chrétiens » non catholiques représentant dix-sept Églises ou fédérations d’Églises ( qui assisteront aux travaux sans droit de parole ni de vote) ce qui en fait réellement, contrairement aux conciles précédents un évènement tourné vers le monde et non replié sur lui-même.

Le résultat sera la promulgation de deux constitutions dogmatiques : sur l’Eglise ( Lumen gentium) et sur la révélation divine (Dei verbum), une constitution sur la liturgie (Sacrosanctum concilium), et une constitution pastorale sur L’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et spes); 9 décrets dont un sur l’œcuménisme (Unitatis redintégratio) et 3 déclarations dont un su la liberté religieuse (Dignitatis humanae) et un sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes (Nostra aetate)

Dans sa présentation des textes du Concile Vatican II[1] Christoph Théobald donne l’architecture du travail accompli :

« Le corpus s’organise en fait autour de trois pôles :

     A première vue, la structure des textes semble être bipolaire : tendue entre I’Eglise et la société, entre la perspective «ad intra » et le rapport de l’Eglise « ad extra ». Mais une analyse plus détaillée met en évidence un troisième pole : il se situe en biais par rapport au plan ecclésiologique et sociétaire, avec des textes très controversés pendant le concile et postérieurement, sur la Révélation et sa transmission, la foi et la liberté de conscience (principalement la constitution Dei Verbum et la déclaration Dignitatis humanae).

     La manière de concevoir la relation à Dieu se répercute dans la manière de se rapporter aux autres. Vatican II est le premier concile à avoir envisagé systématiquement ce type de question en distinguant entre relations œcuméniques (décret Unitatis redintegratio), rapport aux religions non chrétiennes (déclaration Nostra aetate), rapport à  I’ athéisme, et présence dans la société moderne (constitution pastorale Gaudium et spes).

     Ces deux axes du corpus, !’axe théologal (ou axe vertical) et le plan des relations (ou axe horizontal), se croisent finalement dans l’Eglise, dans la conscience qu’elle prend d’elle-même (constitution Lumen gentium), inaugurant -peut-être pour la première fois- ce qu’on a appelé une conversion de l’Eglise, tout comme dans la redéfinition des rapports entre ses principaux acteurs (décrets sur le ministère des évêques et des prêtres, sur la rénovation de la vie religieuse et l’apostolat des laïcs)

Discours d’ouverture

 

Le discours d’ouverture prononcé par Jean XXIII à suscité peu de commentaires. Et pourtant :

« Il faut que, répondant au vif désir de tous ceux qui sont sincèrement attachés à tout ce qui est chrétien, catholique et apostolique, [la] doctrine [de l’Eglise catholique] soit plus largement et hautement connue, que les âmes soient plus profondément imprégnées d’elle, transformées par elle. Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration ; et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral.[3] »

 

Ce que le pape dit, contrairement à tout ce qui était affirmé jusque là, c’est qu’il ne faut pas absolutiser la forme. Et qu’il est urgent d’exprimer la doctrine catholique de façon compréhensible par tous. Le pape insiste sur le « caractère surtout pastoral » — plutôt que doctrinal — de l’enseignement du concile : l’Église doit chercher à enseigner le message du Christ à la lumière de l’évolution constante du monde contemporain.

 

AFP PHOTO / CHRISTOPHE SIMON

 

 

[1] VATICAN II. L’intégralité. Introduction de Christophe Théobald s.j. Coll. Bayard compact. Ed. Bayard Paris 2002. Introduction p V
[2] Réf : Groupe des Dombes : Pour la conversion des Eglises. Ed. Centurion Paris 1991, cité par Christoph Théobald in : VATICAN II. L’intégralité. Introduction de Christophe Théobald s.j. op. cit

Le concile Vatican II_Ouverture Lire la suite »

Jean XXIII et l’ouverture au souffle de l’Esprit-Saint

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant trois mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

XXVII Jean XXIII et l’ouverture au souffle de l’Esprit-Saint

 

Un diplomate atypique

On ne peut comprendre l’action du pape Jean sans se plonger, même superficiellement, dans son parcours.[1]

Angelo Giuseppe Roncalli est ordonné en 1904. Appelé à  la curie romaine en 1921,à la Propaganda Fide (future Congrégation pour l’évangélisation des peuples). Ayant fait un sermon sur « le nationalisme comme amour de la patrie » par opposition à une « militarisation de la nation », il apparait comme rétif à la ligne de dialogue avec Mussolini que suit alors Pie XI.

     Celui-ci s’en débarrasse en le nommant en 1925 archevêque, official puis délégué apostolique en Bulgarie.
Il arrive dans un climat tendu qu’il finira par apaiser en faisant appliquer un principe simple : « les bons sentiments vers nos frères séparés ne sont pas suffisants, si vous les aimez vraiment, donnez-leur le bon exemple et transformez votre amour en action ».
     Délégué apostolique en Grèce et en Turquie de 1934 à 1944, il joue un rôle important dans le sauvetage des réfugiés d’Europe centrale vers la Palestine pendant la guerre, des victimes du nazisme, juifs, surtout mais aussi membres du clergé venus de toute l’Europe et particulièrement de Hongrie et de Bulgarie.
Ces gestes, pour ceux qu’il nomme les « cousins et compatriotes de Jésus » auraient sauvé de 24.000 à 80.000 Juifs, ce qui justifie pour la fondation internationale Raoul Wallenberg de demander son inscription comme juste entre les nations.

 

    Pie XII choisit Roncalli comme Nonce apostolique en France en 1944 peut-être en signe d’agacement, montrant qu’il n’envoie pas à Paris un diplomate de premier rang[2]. Sur place cet « électron libre » agace et déconcerte, tant le gouvernement français que la curie romaine (qui peu à peu se réduit au seul bon vouloir de Pie XII).

Premier observateur du Saint-Siège à l’UNESCO, il est créé cardinal en 1953, au moment de son départ. ll reçoit la barrette de cardinal du président (socialiste) Vincent Auriol, qui en avait fait la demande, au titre d’un ancien privilège des souverains français. 😉 [3]

Il est nommé Patriarche de Venise la même année 1953. Il a 71 ans

 

A la mort de Pie XII, dont le pontificat monarchique a éclipsé la présence de personnalités fortes au sein du Sacré Collège, aucun successeur ne se dégage. Ils ne sont que 53 cardinaux à entrer en conclave le 25 octobre 1958. Après trois jours et dix tours de scrutin infructueux, le cardinal Roncalli, 77 ans, apparait comme un «pape de transition» idéal au terme d’un conclave cherchant à assurer un changement sans rupture.

Il est élu Pape de l’Eglise Catholique en 1958

 

Jean XXIII – 1958

Début du Pontificat

Deux jours après son élection, alors qu’il n’a pas eu connaissance des recherches d’ouvertures de concile des papes précédents, il exprime l’idée de rassembler un concile devant son secrétaire, Loris Capovilla, le 2 novembre 1958[4]

     Dès le début de son pontificat, il met l’accent sur l’aspect pastoral de sa charge ; c’est ainsi qu’il est le premier, depuis Pie IX, à sortir de l’enceinte du Vatican après son élection, ce qui lui permet d’assumer pleinement son rôle d’évêque de Rome.
Il prend solennellement possession de la basilique Saint-Jean-de-Latran le 23 novembre et visite les paroisses romaines.
Le 26 décembre il est le premier Pape Romain à rendre visite aux prisonnier de la prison romaine « Regina coeli »

Avant l’ouverture du concile

     Dès le 25 janvier 1959, jour de clôture de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, Jean XXIII achevant le tour des basiliques majeures de Rome convoque le collège des cardinaux et leur annonce la convocation d’un concile œcuménique en ces termes : « une invitation aimable et répétée à nos frères des Eglises chrétiennes séparées à participer avec nous à ce festin de grâce et de fraternité auquel tant d’âmes aspirent de tout les points de la terre[5] »

On ne peut pas dire que la nouvelle enthousiasme les 17 cardinaux présents !

Commission anté-préparatoires

    Le 17 mai 1959, le pape annonce la création d’une commission anté-préparatoire présidée par le cardinal secrétaire d’État. Les universités catholiques, les Sacrées congrégations et tous les évêques sont alors invités à exprimer leurs conseils et leurs vœux (consilia et vota) sur les sujets à aborder lors du concile.

     En un an, 76,4 % d’entre eux répondent (soit 2 150 réponses). Les principales demandes sont celles d’une meilleure définition du rôle des évêques, d’une clarification du rôle des laïcs dans l’Église et de la place que doit y tenir l’Action catholique. Beaucoup de réponses réclament la condamnation du marxisme, de l’existentialisme et du relativisme doctrinal et moral ( Sur les 84 évêques français qui répondent, une trentaine seulement se préoccupe de l’œcuménisme, pour les autres c’est un non-sujet[6]. Et quant aux évêques italiens, à part quelques-uns qui hasardent qu’il ne faudrait pas trop faire de définitions dogmatiques, notamment pour ne pas créer de nouvelles difficultés dans le dialogue œcuménique, les autres s’en moquent totalement, et sont beaucoup plus préoccupés de la manière dont le Concile pourraient renforcer les pouvoirs de l’ évêque et sanctionner les erreurs modernes, spécialement en matière de mœurs[6]. Bref, on est loin des préoccupations œcuméniques.)

Le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens

     Le jésuite allemand Augustin Bea[8] qui dans les années 50, c’était un grand professeur d’exégèse biblique à Rome, qui avait fait partie du brain trust de Pie XII, dont il était le confesseur est créé cardinal en décembre 1959 et quelques mois plus tard le premier président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens[9] qui est créé le 5 juin 1960. C’est la première fois que le Saint-Siège mettait en place une structure consacrée uniquement aux questions œcuméniques. Ce sera l’une des commissions préparatoires au Concile et aura pour résultat la présence de plusieurs dizaines d’observateurs d’Églises chrétiennes non catholiques

Encyclique Mater et Magistra

Mater et magistra[10] a été écrite à l’occasion du 70eme anniversaire de l’encyclique sociale Rerum novarum du pape Léon XIII. Il fait également référence à l’enseignement social du pape Pie XI dans Quadragesimo anno, et du pape Pie XII dans une émission de radio donnée le 1er juin 1941.
Elle se développe en quatre parties
    • Première partie : Les enseignements de l’encyclique Rerum novarum et ses développements opportuns dans le magistère de Pie XI et de Pie XII
    • Seconde partie : Précisions et développements apportés aux enseignements de Rerum novarum.
    • Troisième partie : Nouveaux aspects de la question sociale.
    • Quatrième partie : Renouer des liens de vie en commun dans la vérité, la justice et l’amour.
C’est une « mise à jour » « aggionamento » de la doctrine sociale de l’Eglise Catholique.

L’aggiornamento de l’Eglise Catholique, c’est précisément la feuille de route que le pape à fixée au concile à venir

 

 

[1] Je recommande pour ceux qui veulent aller plus loin la lecture du livre de Peter Hebblethwaite s.j. : Jean XXIII, le pape du concile (HEBBLETHWAITE Peter. Jean XXIII, le pape du concile. Bayard Editions, Paris 2000 pour l’édition française).
[2] De Gaulle, qui irritait Pie XII, avait exigé le remplacement de Valeri trop compromis avec Pétain
[4] HEBBLETHWAITE Peter. Jean XXIII, le pape du concile. Op.cit. p 338
[5]  Ce que la version officielle transformera en « une invitation renouvelée aux fidèles des communautés séparées à Nous suivre, eux aussi, aimablement, dans cette recherche d’unité et de grâce » in Documentation Catholique 1959, 388,  cité dans HEBBLETHWAITE Peter. Jean XXIII, le pape du concile. Op.cit. p 354
[6] Hilaire Yves-Marie. Les vœux des évêques français après l’annonce du Concile de Vatican II (1959). In: Le deuxième Concile du Vatican (1959-1965) Actes du colloque organisé par l’École française de Rome en collaboration avec l’Université de Lille III, l’Istituto per le scienze religiose de Bologne et le Dipartimento di studi storici del Medioevo e dell’età contemporanea de l’Università di Roma-La Sapienza (Rome 28-30 mai 1986) Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 101-117. (Publications de l’École française de Rome, 113)
[7]Certains évêques italiens sont sensibles aux détails : le Concile devrait interdire les « concours de beauté » et les « campings » qui ne favorisent pas la bonne tenue morale, comme chacun sait. (MOROZZO DELLA ROCCA  Roberto. I « voti » dei vescovi italiani per il Concilio. In: Le deuxième Concile du Vatican (1959-1965) Actes du colloque organisé par l’École française de Rome en collaboration avec l’Université de Lille III, l’Istituto per le scienze religiose de Bologne et le Dipartimento di studi storici del Medioevo e dell’età contemporanea de l’Università di Roma-La Sapienza. Op.cit. p 119-137 www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_act_113_1_3366 )
[8] Fait rare dans l’Eglise Catholique moderne, Augustin Béa est créé cardinal (1959) avant d’être ordonné évêque (1962) https://fr.wikipedia.org/wiki/Augustin_Bea

[10] https://www.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_15051961_mater.html


Jean XXIII et l’ouverture au souffle de l’Esprit-Saint Lire la suite »

Pie XII Le diplomate

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant trois mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

XXVI  Pie XII Le diplomate

« Le monde attendait un prophète, un diplomate est venu »

 

     Eugenio Pacelli  est nonce apostolique pendant la Première Guerre mondiale en Bavière puis en Allemagne, où il assiste à la naissance du parti nazi.
     Négociateur de plusieurs concordats, il est créé cardinal en 1929 puis nommé en février 1930 secrétaire d’État du pape Pie XI.
Il travaille avec lui au quotidien, en particulier sur les relations avec l’Allemagne où Hitler prend le pouvoir avec la complicité du Chancelier du Reich, le catholique conservateur Franz Von Papen.
Le 20 juillet 1933, le cardinal Pacelli signe un concordat[1] avec Franz von Papen, représentant le nouveau Chancelier du Reich allemand Adolf Hitler. L’Allemagne nazie ne respectant pas le concordat, le cardinal Pacelli envoie 55 notes de protestations au gouvernement allemand entre 1933 et 1939…qui ne servent à rien.

En mars 1937, il rédige à la demande du pape, avec le cardinal-archevêque de Munich, le texte de l’encyclique: Mit brennender Sorge condamnant (sans toutefois la nommer) l’idéologie nazie

     Ses capacités de diplomate, sa connaissance de l’Allemagne, et la confiance de Pie XI, (qui meurt en 1939), en font le favori du conclave, qui l’élit peu avant le début de la seconde guerre mondiale le 2 mars 1939.
Il prend le nom de Pie XII

 

L’encyclique Summi Pontificatus

Pie XII donne le cadre théologique et diplomatique de ses prises de position dans sa première encyclique  Summi Pontificatus [2] du 20 octobre 1939.

Il y confirme les condamnations de Pie XI contre les différentes formes de racisme et de nationalisme ou de lutte des classes, dénonçant « l’oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien par la communauté d’origine et par l’égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu’ils appartiennent ». Il s’y dresse, mais sans les nommer, contre le nazisme, le fascisme mais aussi le communisme et le libéralisme sans Dieu [3] comme responsables de la guerre, qui n’apportera pas de solution (« l’esprit de la violence et de la discorde verse sur l’humanité la sanglante coupe de douleurs sans nom »).

L’encyclique cite la Pologne mais ne nomme et encore moins ne condamne ni Hitler ni Staline.

 

La guerre

Une position politique ambigüe 

     La modération de langage si chère aux diplomates, devient ici une faiblesse. La Pologne ne souffre  pas. Elle est envahie et sa population asservie. De même pour les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la France.
     Le positionnement neutre [4] du Vatican revient de fait à protester contre les fascismes mais à collaborer avec eux, directement ou indirectement.

 

Pie XII et le génocide des Juifs

 
     Le pape Pie XI, dans les derniers mois de sa vie, avait commandé la rédaction d’une troisième encyclique, dans laquelle il entendait condamner clairement le racisme et l’antisémitisme, marquer une rupture cinglante avec le IIIe Reich, et appeler les catholiques à protéger les Juifs.
Mais cette encyclique, qui aurait pu changer le cours de l’histoire, restera inachevée.
     En pleine tempête mondiale, Pie XI meurt le 10 février 1939 et Pie XII, décide, sitôt élu, de mettre de côté cette ébauche d’encyclique et entreprend de rétablir des relations plus amicales avec le régime allemand.
On n’y reviendra plus.

     Le Vatican se borne à lutter, par l’intermédiaire de ses nonces, contre les lois raciales qui se multiplient en Italie, en Allemagne, dans les pays satellites comme la Hongrie, la Slovaquie ou la France de Vichy. Ces pressions, réelles, comme celles de Cesare Orsenigo, nonce à Berlin, n’impressionnent pas les autorités allemandes.

     Le 18 septembre 1942, Giovanni Montini substitut à la secrétairerie d’état (et futur Paul VI) lui écrit que « les massacres prennent des proportions effrayantes » et les diplomates américains, anglais, brésiliens, uruguayens, belges et polonais l’avertissent que le « prestige moral » du Vatican est sévèrement compromis par sa passivité face aux atrocités : ils joignent le rapport du bureau de Genève de l’Agence juive pour la Palestine pour convaincre le cardinal Luigi Maglione, secrétaire d’état du Vatican, qui leur avait répondu que les rumeurs n’étaient pas vérifiées.
     Après le rapport précis et accablant du Gouvernement polonais en exil à Londres sur l’extermination des Juifs sur le sol de la Pologne occupée [5] du 10 décembre 1942, toutes les nations alliées, condamnent officiellement l’extermination des Juifs par les nazis et annoncent que les responsables n’échapperont pas au châtiment.
     Harold Tittmann suggère au card. Maglione de faire une déclaration similaire. Le card. Maglione lui répond que le Vatican « ne peut dénoncer publiquement des atrocités particulières »

 

    Toutefois, devant ces faits et ces pressions, le 24 décembre 1942, dans son long message de noël radiodiffusé Pie XII évoque très brièvement « les centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive » et appelle à la paix [6].

« Jusqu’à la fin de la guerre, les interventions du Vatican ne manquent pas, mais elles passent toutes par le canal des chancelleries et des églises locales. Le monde avait besoin d’un prophète, mais c’est un diplomate qui a été élu à la tête de l’Église. Pie XII avait pour principe de ne couper aucun pont avec personne. Peut-on lui en faire grief ? Après guerre, dans les milieux juifs, des témoignages de personnes célèbres – Golda Meir, Albert Einstein, l’historien Pinchas Lapide – attesteront que cette stratégie d’interventions individuelles et discrètes ainsi que la mise en œuvre des réseaux d’assistance de l’Église étaient la seule solution possible et qu’elles ont permis de sauver des milliers de juifs. [7]»

     Le soucis principal de Pie XII et de son secrétaire d’état le Card. Luigi Maglione est plus la prise de pouvoir des communistes et l’arrivée des armées de Staline en Europe de l’ouest que le sort des Juifs, même si son attitude personnelle lors des neuf mois d’occupation allemande de Rome fut exemplaire. [8]

 

L’après seconde guerre mondiale

 

Les avancées œcuméniques sont surtout le fait des Eglises Protestantes, même si des voix catholiques individuelles se font entendre… et abondamment réprimé par Rome.

1948 Création du Conseil Œcuménique des Eglises (COE)

 

  Le Conseil œcuménique des Églises a ses origines dans le mouvement œcuménique des xixe et xxe siècles, dont la Conférence missionnaire d’Édimbourg en 19104. En 1920, une lettre du Synode orthodoxe de Constantinople
invite à la création d’une organisation pour toutes les confessions chrétiennes.

     En 1937, les dirigeants de 100 Églises donnent leur accord, mais la Seconde Guerre mondiale freine le projet.

     En 1948, 147 confessions chrétiennes chrétiennes sont réunies pour la fondation du Conseil œcuménique des Églises et la première assemblée générale à Amsterdam [9].

     L’Église catholique, qui n’est pas membre du COE, a un statut d’observatrice

 

Vraies et fausses réformes de l’Eglise

 

     Vraies et fausses réformes de l’Eglise. Ce livre du dominicain Yves Congar raconte comment l’Eglise est en perpétuel état de réforme, pourquoi elle a besoin de se réformer en permanence. Et Congar ecclésiologue pense qu’il faut faire non pas une théologie de l’institution-Eglise dans la stratosphère, mais une étude de la communauté vivante des fidèles. Du coup il parle de la sainteté de l’Eglise, mais aussi des difficultés, des tentations, le pharisaïsme notamment.

     C’est un livre très audacieux, et pour un œcuméniste, un livre sans complaisance. Congar -malgré son admiration pour Luther (qu’il appelle « un des plus grands génies religieux de toute l’histoire »)- refuse la majuscule à la réforme de Luther. Et il étudie longuement la possibilité d’une réforme sans schisme.  Vraies et fausses réformes de l’Eglise (1950) vaut à Congar les pires ennuis, il est interdit d’enseignement, exilé à Jérusalem puis en Angleterre.

     Quand on regarde les dates, les contextes, on est frappé par la date de parution de Vraies et fausses réformes : 1950. C’est la sinistre « Année sainte » !

 

1950. L’Année Sainte ouvre une ère de glaciation et d’immobilisme farouche

     Une drôle d’année sainte.

De motione œcumenica

     On entre dans la deuxième mi-temps du règne de Pie XII : ère de glaciation et d’immobilisme farouche, qui commence en fanfare avec De motione œcumenica [10] du 20 décembre 1949 sur (contre) l’œcuménisme. Cette instruction du Saint-Office rappelle tous les « dangers » de l’œcuménisme et spécialement l’irénisme, qui « sous le faux prétexte que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous sépare » abîme, a ses yeux, la doctrine catholique.  L’instruction met en garde contre ces « conférences mixtes entre catholiques et non-catholiques », qui sont, dit-elle, bien utiles pour que les non-catholiques connaissent mieux l’Eglise romaine, mais qui « créent facilement pour les catholiques un grave danger d’indifférentisme ».

Humani generis

     Humani generis [11] est promulguée le 15 août 1950, concernant des « opinions et erreurs modernes menaçant de miner les fondements de la doctrine catholique ». Elle s’oppose notamment à la Nouvelle Théologie.

     La Nouvelle Théologie (ou le Ressourcement) est un courant de pensée catholique apparu durant les années 1930, qui exerça une influence déterminante non seulement sur le déroulement de Vatican II mais aussi sur ses conséquences. Ses principaux représentants sont Henri de LubacPierre Teilhard de ChardinHans Urs von BalthasarYves CongarKarl RahnerHans KüngEdward SchillebeeckxMarie-Dominique ChenuLouis BouyerJean DaniélouPierre GanneJean Mouroux et Josef Ratzinger futur pape Benoît XVI.
Elle prône un retour aux sources du christianisme, notamment à travers les Pères de l’Église, et prend ses distances avec l’hégémonie de la scolastique.

 

Les Prêtres-ouvriers  [12]

   Au point de départ, un livre célèbre, La France, pays de mission ? des abbés Daniel et Godin dont la sortie en librairie le 12 septembre 1943 a, au dire des contemporains, éclaté comme une « bombe » dans le milieu catholique.

« [Votre livre] éclaire pour moi tout ce que je sentais confusément, écrit François Mauriac à Yvan Daniel. Peut-être n’osons-nous pas aller jusqu’à la conclusion logique : il faudrait que tout le vieux système saute. Il faudrait que des hommes mariés, s’ils sont ouvriers et saints, puissent être prêtres et distribuer le pardon et le corps du Seigneur à leurs camarades. Il faudrait une explosion formidable qui ferait sauter tout ce qui s’accumule depuis des siècles entre les pauvres et le Dieu des pauvres. Ce sont des vues humaines ; le Christ saura bien vous aider à faire la trouée. En tout cas, au milieu de tant de luttes, de victoires, de fatigues mortelles, redites-vous que vous êtes le Béni du Père, car vous donnez corps et âme à la seule cause qui vaille de vivre et de mourir [13] »

     Il y a des initiatives individuelles de prêtres ouvriers au début du xxe siècle: par exemple Charles Boland, ingénieur puis prêtre liégeois, descend à la mine de Seraing en 1921, Michel Lémonon devient mineur à Saint-Étienne en 1935. Ces prêtres sont confrontés à la déchristianisation et à la misère des ouvriers dans les villes à la suite de la révolution industrielle et en témoignent, et prennent parti.

     L’entre-deux-guerres voit la naissance de l’Action catholique, notamment la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) au sein de laquelle des aumôniers considèrent que la paroisse traditionnelle est devenue essentiellement bourgeoise : les prêtres, centrés sur les problèmes matériels, les exigences liturgiques et la pastorale des œuvres, se sont coupés du milieu ouvrier, perçu comme massivement déchristianisé.
Il appartient dès lors à des militants de les évangéliser tout en prolongeant cet engagement dans des structures syndicales, toujours au nom de leurs convictions religieuses.

 

En 1954 Pie XII sabote « l’expérience des Prêtres-Ouvriers », Jean XXIII l’achève.

     Désapprouvant la proximité croissante des Prêtres-Ouvriers avec le PCF et la CGT, (Toujours cette peur panique du communisme) Pie XII impose en 1954 de fortes restrictions à l’expérience en limitant la durée du travail à trois heures par jour et en interdisant l’engagement syndical.

(En 1959 Le pape Jean XXIII, très attaché à la conception traditionnelle du sacerdoce décide une suppression complète du travail en usine et étend cette mesure aux prêtres marins de la Mission de la mer.)

Yves Congar

          Vraies et fausses réformes de l’Eglise (1950) vaut à Congar les pires ennuis. Mais en même temps – et bien au-delà de l’anecdote –  le nonce à Paris, qui s’appelle Angelo Roncalli, s’est procuré ce livre de Congar, et il l’a lu et annoté… avec passion, parce que le livre raconte que ce n’est pas un péché de penser que l’Eglise catholique doive se réformer. Et cette idée-là touche beaucoup le nonce de Paris.

     Et puis un autre Monsignore, qui s’appelle Giovanni-Battista Montini, proto-secretaire d’état de Pie XII, a demandé personnellement à Congar de lui offrir un exemplaire du livre, parce que comme le livre est interdit et épuisé, on ne le trouve plus. Il veut le lire, et il le lit lui aussi avec passion.

Fin de règne

     A partir de 1954 la santé de Pie XII, physique et mentale va déclinant se reposant dans les mains d’un médecin indélicat et la prise de pouvoir d’une gouvernante toute puissante (Mère Pascalina) qui favorisent l’immobilisme des institutions

     Les jugements des témoins s’en ressentent (pour un diplomate, il est « fatigué, pétrifié dans sa gloire » [14]). Dans ses dernières années, il est confronté à des visions, confiées au card. Tardini, dont une de Jésus citée par l’Osservatore Romano. Pie XII aurait eu trois fois dans les jardins du Vatican la vision du miracle du soleil de Fátima. Cela attire le propos ironique du cardinal Tisserant (« Que voulez vous, c’est de son âge »). Il meurt le  9 octobre 1958

D’après Jean Guitton, il aurait dit de lui-même qu’il était « le dernier pape Pie », l’« ultime chaînon d’une longue dynastie ». Et c’est un jugement très pertinent. « Issue des modèles dépassés du XIXeme siècle, la centralisation romaine aura atteinte, sous son long règne de dix neuf ans, son apogée avec tous ses excès. Mais elle brille de ses derniers feux. Pie XII c’est à la fois l’apothéose et la fin d’une époque [15] »

 

Et puis vient le jour où Mgr Roncalli va s’appeler Jean XXIII et Mgr Montini deviendra Paul VI.
Et les choses changeront enfin.

 

[3] NDLR : Le libéralisme « avec Dieu » serait-il plus acceptable ? Jen doute fort !
[4] De Gaulle définira Pie XII avec un respect non dénué de double sens : « sous la bienveillance de l’accueil et la simplicité du propos je suis saisi par ce que sa pensée a de sensible et de puissant. Pie XII juge chaque chose d’un point de vue qui dépasse les hommes, leurs entreprises, leurs querelles. Mais il sait ce que celles-ci leur coûtent et souffre avec tous à la fois. […] Pour lui tout dépend donc de la politique de l’Église, de son action, de son langage, de la manière dont elle est conduite. C’est pourquoi le Pasteur en fait un domaine qu’il se réserve personnellement et où il déploie les dons d’autorité, de rayonnement, d’éloquence que Dieu lui a impartis. Pieux, pitoyable, politique, au sens le plus élevé que puissent revêtir ces termes, tel m’apparaît, à travers le respect qu’il m’inspire, ce pontife et ce souverain » De Gaulle Charles, Mémoires de guerre : l’unité (1942-1944), vol. II, Paris, Plon, 1956.
[5] Le Rapport Raczynski. Note du ministre des Affaires étrangères Edward Raczynski du 10 décembre 1942, « The Mass Extermination of Jews in German occupied Poland, Note addressed to the Governments of the United Nations on December 10th 1942 » publiée ensuite (dès le 30 décembre 1942) par le ministère polonais des Affaires étrangères à l’attention du grand public, sous forme d’une brochure : https://www.projectinposterum.org/docs/mass_extermination2.htm .
[7] TINQ Henri art : Vatican : l’heure de vérité sur les silences de Pie XII dans Le Point.fr publié  le 01/03/2020 in  https://www.lepoint.fr/societe/vatican-l-heure-de-verite-sur-les-silences-de-pie-xii-01-03-2020-2365103_23.php#11 Voir aussi du même auteur : Ces papes qui ont fait l’histoire, Ed. Perrin Paris 2007 coll. Tempus, pp 235-242
[8] le cardinal Maglione assure que « l’avenir de l’Europe dépend d’une résistance victorieuse de l’Allemagne sur le front russe. L’armée allemande est le seul rempart possible contre le bolchevisme. Si celui-ci s’écroule, le sort de la culture européenne est scellé »in : FRIEDLANDER Saul,  L’Allemagne nazie et les Juifs 1939-1945 Chapitre IX. Octobre 1943-mars 1944,  Les années d’extermination., sous la direction de FRIEDLANDER Saul. Le Seuil, Paris 2008  coll. L’Univers historique, p. 665-736. URL : https://www.cairn.info/les-annees-d-extermination-l-allemagne-nazie-et-le–9782020202824-page-665.htm
[10] https://laportelatine.org/formation/magistere/instruction-de-motione-oecumenica  Le texte est signé du cardinal Marchetti-Selvaggiani (1871-1951)  ami personnel de jeunesse de Pie XII (qu’il était seul au monde à tutoyer) alors secrétaire du Saint-Office (n.b. jusqu’à la réforme de 1965, la congrégation est dirigée par un Secrétaire, c’est le pape qui est de jure le préfet) – et co-signé par l’assesseur Alfredo Ottaviani. Bref, l’aile marchante !  Pour comprendre dans quel climat tombe l’instruction, il faut aussi regarder l’important dossier publié quelques semaines plus tôt (DC n°1062, 12 février 1950, c. 199-226) – notamment l’article du Figaro (11 janvier 1950) intitulé « L’année du grand retour » signé par le Pasteur Boegner (l’un des six présidents du COE), en réponse au message de Noël radiodiffusé de Pie XII : https://www.vatican.va/content/pius-xii/it/speeches/1949/documents/hf_p-xii_spe_19491224_radiomessage-holy-year.html )
Tout en reconnaissant que l’appel de Pie XII est « d’une émouvante chaleur », Boegner rappelle que « l’émotion ne suffit pas » en la matière, et de constater que l’Eglise romaine se présente toujours comme la « détentrice exclusive de la vérité chrétienne », et que « toute exigence de vérité ressentie hors d’elle n’est à ses yeux que l’effet trompeur d’une orgueilleuse illusion ». Le printemps 1950 n’annonce guère d’été œcuménique.
[13] Cité dans : CUCHET Guillaume, Nouvelles perspectives historiographiques sur les prêtres-ouvriers (1943-1954) in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2005/3 (no 87), pages 177 https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2005-3-page-177.htm?contenu=article
[14] HILAIREYves-Marie. Histoire de la papauté : 2000 ans de mission et de tribulations. ed. Tallandier Paris, p 463
[15]TINQ Henri. Ces papes qui ont fait l’histoire. op. cit. p 248

Pie XII Le diplomate Lire la suite »

Pie XI entre ouverture et immobilisme

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant un mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

Pie XI entre ouverture et immobilisme

 

     Erudit, théologien, cardinal en 1921, il est élu l’année suivante comme candidat de compromis, et montre très vite son autorité indépendante, en refusant au camp conservateur de renvoyer Gasparri et en choisissant, à l’inquiétude des libéraux, de prendre la tiare sous le nom de Pie XI.

Il aime dire « j’aime tellement les traditions que j’en crée de nouvelles ».

 

 Pontificat

Il innove en donnant sa bénédiction « ubi et orbi » (à la cité et au monde) de la loggia extérieure de la basilique Saint-Pierre, ce qui constituait symboliquement, un geste politique  considérable, après l’isolement des papes de Pie IX à Pie XI se déclarants « prisonniers du Vatican[1] »depuis le  20 septembre 1870   

     Il insiste sur le rôle des laïcs : « tous les fidèles sont appelés à collaborer [à l’apostolat], car tous peuvent travailler dans la vigne du Seigneur », (aux évêques colombiens le 14 février 1934). Concrètement, il accorde son appui à l’Action catholique et aux institutions de jeunesse comme la Jeunesse ouvrière chrétienne, fondée par l’abbé Joseph Cardijn.

 Au plan politique

     Les accords du Latran de 1929 règlent la question de états pontificaux en créant un état souverain qui a pour nom Cité du Vatican.

  Dès la fin de 1925, il s’oppose férocement au mouvement monarchiste de l’Action française[2]. Sa condamnation des totalitarismes de droite comme de gauche est sans appel :

          • Mit brennender Sorge[3] contre l’idéologie du NSDAP (Parti nazi d’Allemagne) et son racisme[4] ;
          • Non abbiamo bisogno[5]  condamnant (plus mollement) le fascisme italien ;
          • Divini Redemptoris[6]  sur le communisme athée.

 

     En contrepoint, cette politique sur la scène internationale va se traduire par des compromis de plus en plus périlleux. Onze concordats[7] sont signés entre l’Eglise Catholique Romaine et différents états entre 1922 et 1935 dont  celui signé par le cardinal Eugénio Pacelli avec le IIIeme Reich d’Adolf Hitler en 1933, mais aussi avec l’Italie fasciste de Mussolini.

     Le 6 septembre 1938, alors que le gouvernement italien prépare les lois raciales  fascistes, Pie XI déclare à un groupe de pèlerins belges : « Par le Christ, et dans le Christ, nous sommes de la descendance spirituelle d’Abraham. Non, il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme. Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre et de prendre les moyens de se protéger contre tout ce qui menace ses intérêts légitimes, mais l’antisémitisme est inadmissible. Nous, chrétiens, nous sommes spirituellement des sémites[8] »

     Hélas, si la presse laïque s’en fait l’écho, ni l’Osservatore Romano, ni par Radio Vatican n’en font mention…

 

Sa vision de l’unité des chrétiens

     On peut dire -pour ne pas faire d’erreur de perspective en relisant l’histoire passé avec nos connaissances d’aujourd’hui- qu’elle est strictement limitée à la position la plus traditionnelle de l’Eglise Catholique.

     L’encyclique Mortalium animos[9] du 6 janvier 1928 « Sur les véritables principes de l’unité des chrétiens »  souhaite le retour au sein de l’Église Catholiques Romaine de ceux « qui ont eu le malheur de s’en séparer » et tente de mettre un coup d’arrêt a toute velléité de dialogue

 

Cependant l’Esprit Saint travaille.

 

Les conversations de Malines [10]

 

     En ce XXe siècle commençant, l’idée œcuménique fait son chemin, à l’initiative de la sphère protestante avec les grands rassemblements du mouvement « Foi et constitution » d’Edimbourg[11] (1910) plus tard de Stockholm[12] (1925), de Lausanne[13] (1927) qui mettent en contact le monde anglican anglo-américain avec les calvinistes, les luthériens et aussi les orthodoxes.

On est également dans la suite de cette Grande Guerre qui a beaucoup rapproché les aumôniers militaires de différentes religions au sein des unités, mais aussi dans les camps d’officier notamment, des catholiques, des protestants et des orthodoxes.

Et puis se pose aux églises la question de la concurrence dans les pays de mission qui est un contre témoignage.

     L’occasion d’une avancée est fournie par la conférence anglicane de Lambeth de 1920, qui lance un vibrant appel à l’unité chrétienne. Cet  appel de Lambeth a été communiqué au pape et à un certain nombre d’évêques catholiques.

   Le Père Portal a été immédiatement frappé de ce fait nouveau, dont l’importance ne semblait pas avoir été perçue en milieu catholique et, soucieux d’en profiter pour relancer l’idée de contacts entre les deux Églises en vue d’explorer les possibilités éventuelles d’un rapprochement, il eut l’idée d’y intéresser le cardinal Mercier, archevêque de Malines-Bruxelles, qui avait reçu cet appel et répondu personnellement à l’archevêque de Cantorbéry

Portal, après un premier contact, lui écrivit une longue lettre[14] , où il développait ses vues en rappelant ce qu’avaient été en réalité les tentatives des années 1890 : «Dans la pensée des initiateurs du mouvement, la question des Ordres [c’est-à-dire la validité des ordinations anglicanes] n’était choisie que comme un terrain de rencontre où anglicans et catholiques pourraient examiner ensemble non seulement la valeur des Ordres mais toutes les questions qui les séparent »

Le card. Mercier avait déjà fait une démarche auprès de Benoit XV qui n’avait pas répondu.[15] Mais à l’automne, Portal et Halifax décidèrent de revenir à la charge et réussirent à rallier le card. Mercier à l’idée d’entretiens dans son palais épiscopal avec quelques représentants de l’Église d’Angleterre, pour de simples « conversations » privées, visant à se documenter réciproquement et ne pouvant dès lors donner lieu à aucune publicité.

Ces conversations ont lieu effectivement, à quatre reprises, de 1921 à 1926, sur deux ou trois jours chaque fois, entre des représentants des deux églises, avec beaucoup de respect et d’amitié. Il est convenu que chaque parti présente des exposés qu’on mettrait ensuite en débat, en essayant de faire la lumière sur les divergences doctrinales, et en centrant le travail sur la nature de l’Eglise.

 

 

Le card. Mercier en ayant référé au pape Pie XI, la réponse du pape, qui évoqua le souvenir de ses rencontres avec des scholars d’Oxford et avec des orthodoxes russes se déclara convaincu de leur entière bonne foi, et fut tout à fait positive : «Je ne vois que du bien à ces réunions » de Malines. Sauf qu’il y avait erreur sur le fond de la démarche de Mercier-Portal-Halifax[16]

A partir de la 3ème conversation, à Noël 1923, ces échanges œcuméniques deviennent connus du grand public, et une certaine opposition se manifeste. Le Cardinal, qui est critiqué dans son propre diocèse, publie en janvier 1924, une lettre pastorale restée célèbre, dans laquelle il écrit : « Pour rien au monde, je ne voudrais autoriser un de nos frères séparés à dire qu’il a frappé en confiance à la porte d’un évêque catholique romain et que cet évêque catholique romain a refusé de lui ouvrir. »

Lorsque la mort, la même année 1926, du cardinal Mercier, en janvier, et celle de l’abbé Portal, en juin, met fin aux conversations de Malines, on peut dire que ces rencontres n’ont pas fait réellement bouger les lignes théologiques et ecclésiales, mais elles restent fortement symboliques par la méthode employée dans ces conversations bilatérales. Le  cardinal Mercier écrit dans une lettre de janvier 1924 :

Les hommes sont faits pour s’aimer les uns les autres et il n’est pas rare que des cœurs mutuellement étrangers qui auraient pu, à distance, se croire ennemis, goûtent, à se comprendre, un charme pénétrant qu’ils n’auraient pas soupçonné.
Et il ajoute  le rapprochement des cœurs n’est pas l’unité de la foi, mais il y dispose.

     

Les intuitions de Dom Lambert

Octave Beauduin, est belge, jeune prêtre à l’époque de Rerum Novarum, il s’engage en 1899 dans la congrégation des prêtres du travail, par sensibilité à la détresse religieuse et humaine de la classe ouvrière. Et puis sa quette spirituelle le mène chez les moines bénédictins du Mont-César à Louvain

Il devient Dom Lambert Beauduin. Il a 33 ans.

il  y trouve au  monastère des ouvertures inattendues. Jusque-là, comme quasiment tous les prêtres de paroisse, il n’avait vu dans la liturgie selon ses propres souvenirs qu’une « série de prescriptions minutieuses et arbitraires imposées, croirait-on, pour exercer la patience de ceux qui les étudient et les accomplissent ».

Au Mont-César, le prieur est Dom Columba Marmion (que Jean-Paul II a béatifié en l’an 2000) un maître spirituel grâce à qui le jeune Dom Lambert commence à pénétrer la richesse de l’Ecriture sainte, de la prière chorale, de la liturgie dans son ensemble. Et le jeune moine, comprenant l’impact que la liturgie peut avoir dans la formation chrétienne et la vie quotidienne de l’Eglise, lance, un véritable « mouvement liturgique » dans le clergé paroissial, avec l’encouragement de ses supérieurs et du Cardinal Mercier.

     Bientôt, il est envoyé à Rome en 1921 pour faire un cours de liturgie à l’institut Saint-Anselme : par un de ses élèves Dom Olivier Rousseau[17], il est mis en contact avec l’émigration russe – qui fuit le bolchévisme. Découverte émerveillée du monde orthodoxe.
      Il y a une attention très grande portée par l’Eglise catholique (de France notamment) au monde orthodoxe, avec un certain nombre d’œuvres entreprises pour favoriser les rapprochements, ou simplement déjà aider les exilés russes
     Un projet élaboré par le P. Lambert, appuyé par le cardinal Mercier et présenté à Pie XI par un jésuite influent, le P. Michel d’Herbigny, aboutit à la publication en mai 1924 de la lettre apostolique Equidem Verba par laquelle le pape donne mission à l’ensemble de l’Ordre bénédictin de travailler au rapprochement avec le monde orthodoxe.

Cet appel restera presque sans écho. En fait, l’ordre bénédictin en tant que tel refuse de s’impliquer, mais Dom Lambert Beauduin obtient de ses supérieurs l’autorisation de fonder un « monastère de l’Union », où l’on vivra la liturgie selon les deux rites, latin et oriental, et où l’on travaillera la question du rapprochement des Eglises.

 

Le Monastère de l’Union à Amay sur Meuse

     Grâce à sa famille, qui n’est pas dans la gêne, Dom Lambert achète l’ancien carmel d’Amay-sur-Meuse, où son « monastère de l’Union » ouvre ses portes le 25 novembre 1925. Avec dom Ildefonse Dirkx cédé par le Mont-César, le Père L. Gillet, qui assistera le fondateur pendant trois mois

Trois mois plus tard est fondée la revue Irénikon

D’entrée de jeu, dom Lambert Beauduin met les choses au point: «Ni prosélytisme, ni bienfaisance, ni conception impérialiste», lit-on en sous-titre dans un article-programme de la revue, bien trop risquée dans ces années 20, qui va lui faire rapidement des ennemis.

      Il aurait pu s’en douter déjà lorsque paraît, le 8 janvier 1928, l’encyclique Mortalium animos [9]. Au fond, ce n’est pas le monde oriental qui fait peur à Pie XI, mais plutôt ces grandes conférences œcuméniques de Stockholm ou de Lausanne, qui laissent présager que les Eglises issues de la Réforme vont se fédérer – il y a des rapprochements, notamment dans le monde anglo-américain-  qui font peur au Saint-Siège[18].

     L’encyclique brocarde une espèce de « panchristianisme » illusoire, fondée sur un prétendu humanisme et un indifférentisme doctrinal très dangereux. Cette encyclique est un vrai choc dans les milieux qui travaillent à l’amitié entre les différentes confessions, un vrai coup d’arrêt aux entreprises œcuméniques naissantes[19].

    Dom Lambert se sent visé par l’encyclique, parce qu’il n’est pas dans la ligne, et menacé (il faut dire que son ami et protecteur le cardinal Mercier est mort depuis deux ans). Il décide, quant à lui, de patienter en attendant des jours meilleurs[20].
Mais ce sont des jours pires qui arrivent : Des affrontements se font jour quant à la vocation de la communauté. Alors que dom Lambert Beauduin veut l’affirmer comme un essai de véritable communion, les autorités épiscopales, dont Mgr d’Herbigny, souhaitent avancer dans un sens plus prosélyte, et constituer un monastère uniate.
Cette vision ne correspond pas à celle de dom Lambert qui, réputé pour son caractère bien trempé, le fait savoir haut et fort ce qui l’amène à être exclu de l’abbaye en 1932, puis interdit de séjour en Belgique.

     Pendant cette longue période, ses idées feront peu à peu leur chemin : « Travailler aujourd’hui patiemment pour les générations futures et prendre d’abord le temps de se connaître mutuellement. » Avec le génie qui le caractérise, Beauduin pose les jalons successifs du long cheminement vers l’unité : « se connaître, se comprendre, s’estimer, s’aimer ». Ces quatre balises figurent telles quelles dans six œuvres de dom Lambert et en outre plusieurs fois ailleurs sous des formes équivalentes: c’est dire l’importance qu’il attribue à cette méthode.

     En 1951, à l’âge de 78 ans, réhabilité (officieusement) par Rome, Beauduin pourra prendre place discrètement à l’hôtellerie de son monastère déménagé à Chevetogne[20].

Il y décédera le 11 janvier 1960

Suites œcuméniques autour du Monastère de l’Union d’Amay-sur-Meuse (en 1939 à Chevetogne):

      • l’abbé Couturier, oblat du monastère, devient l’apôtre de la semaine de prière pour l’Unité et réunit, en 1937, à l’abbaye cistercienne de Notre-Dame des Dombes une équipe œcuménique de théologiens qui deviendra, en 1942, le « Groupe des Dombes ».
      • début d’août 1932, séjourne à l’hôtellerie du monastère, tout à fait par hasard en même temps que l’abbé Couturier, un jeune dominicain. Il s’appelle Yves-Marie Congar. Son ouvrage justement célèbre « Chrétiens désunis » (1937)  s’inspirera assez largement de conférences de dom Clément Lialine, moine d’Amay.
      • Très prudemment, la revue Irénikon continue à nourrir la réflexion.
      • En 1950 (enfin !) l’objectif propre de Chevetogne en tant que « Monastère de l’Union » sera reconnu par Rome.

 

Les semaines de l’abbé Couturier

La jeune communauté bénédictine a été privée brusquement de son fondateur, elle est suspectée par Rome dans ses moindres actions et les jours de la revue Irénikon, sont menacés plus d’une fois. Mais elle continue son chemin, avec un recrutement assez baroque, mais très riche en personnalités fortes[21].

     Dans le jardin de l’hôtellerie du monastère à l’été 1932, il y a un prêtre séculier, d’une cinquantaine d’années, qui marche dans l’allée. Il est arrivé le 16 juillet, pour passer un mois de repos et de retraite. Il vient de Lyon, où il est professeur de sciences au collège des Chartreux. Il s’appelle Paul Couturier[22]. C’est un homme ouvert, grand lecteur de Teilhard de Chardin dont il aime l’idée d’une humanité tout entière unie dans le Christ. C’est la première fois qu’il vient à Amay, qui lui a été recommandé par un ami lyonnais.

Celui qui va devenir le grand apôtre français de l’œcuménisme ne sait alors quasi rien des questions œcuméniques – sauf qu’il s’occupe activement depuis 1923 de l’aide aux russes orthodoxes réfugiés à Lyon, et qu’il est touché par leur belle liturgie. Au monastère d’Amay, cet été-là, l’abbé Couturier passe un mois enchanteur, pratique la liturgie grecque ou slave de la chapelle byzantine du monastère, lit et prend des notes dans la bibliothèque, et converse avec les moines en contemplant la douce vallée de la Meuse.

Lorsqu’il quitte Amay, au mois d’août, il emporte certes des icônes russes et des numéros d’Irénikon dans sa valise, mais dans son cœur il emporte la certitude œcuménique d’avoir à travailler et à prier toute sa vie pour l’union des Eglises, avec une méthode, celle qu’il vient de découvrir dans le testament spirituel du cardinal Mercier, qu’on lui a fait lire : Pour s’unir,  il faut s’aimer, pour s’aimer, il faut se connaître, pour se connaître il faut aller à la rencontre l’un de l’autre.

Paul Couturier fait profession en 1933 comme oblat du Monastère de l’Union.

À son retour, il organise un triduum de prière pour l’unité des chrétiens à Lyon, en janvier 1933. En 1934, c’est une octave de prière qui s’étend du 18 au 25 janvier et s’inscrit dans le sillage de l’octave pour l’unité créée par sous l’impulsion du Révérend Spencer Jones, un anglican, et du Révérend Paul Watson, un épiscopalien, converti au catholicisme. Le but de la semaine de prière était alors la conversion à Rome de tous les chrétiens séparés. Pie X, Benoît XV, Pie XI, avaient encouragé cette pratique.

     Seulement, l’abbé Couturier voit bien que cette prière, si l’on insiste à temps et à contretemps sur le « retour au bercail des chrétiens séparés » ne sera jamais qu’une prière de catholiques, qui prient pour les autres chrétiens. Or, ce qu’il a compris à Amay, c’est qu’il faut prier non pas pour les autres mais avec les autres.
Pour rendre cette semaine de prière vraiment œcuménique, il faut en élargir l’esprit. « Ni la prière catholique, dit-il, ni la prière orthodoxe, ni la prière anglicane, ni la prière protestante ne suffisent. Il les faut toutes, et toutes ensemble ».
 
     Couturier n’est pas (et ne sera jamais) un théologien de l’œcuménisme mais c’est un spirituel qui a réfléchi, et des 1935, il commence à publier des textes pour assurer l’esprit de cette prière[23].
Lui parle des « bases psychologiques :
  1. l’universalité,
  2. le respect de la spécificité confessionnelle,
  3. l’humilité et la pénitence.  Sur ce troisième point, dans un contexte d’après l’encyclique Mortalium animos, il faut admirer la hardiesse de son invitation faite aux catholiques à reconnaître à la fois leurs propres fautes contre l’unité dans le présent, et celles de leur Eglise dans le passé.
     Le succès de la Semaine de prières pour l’unité a été assez large dès le départ – même s’il n’a pas été unanime. Dans beaucoup de villes on a célébré cette semaine de prière, souvent accompagnée de conférences sur les autres confessions.
     Ce qui est intéressant, c’est que la semaine de prière est d’abord une proposition faites aux catholiques. Mais à partir de 1935, c’est vraiment une organisation conjointe avec les autres confessions, même s’il n’y a pas avant 1948 de célébrations encore interconfessionnelles (chacun prie encore la même semaine, mais de son côté). 
     A partir de 1936, on voit le synode national des églises réformées l’adopter [24], les archevêques anglicans la recommander officiellement à leurs fidèles en 1939. Et puis en 1942, le mouvement « Foi et Constitution » (qui va être inclus dans le COE lors de sa création officielle en 1948) change la date de son propre octave de prière (traditionnellement à la Pentecôte depuis 1920) pour adopter les dates proposées par l’abbé Couturier (18-25 janvier).
     Enfin, à partir de 1960, le Secrétariat pour l’unité des chrétiens (qui vient d’être créé à Rome) co-organise, chaque année la semaine, son thème, son déroulement, en lien étroit avec le Conseil Œcuménique des Eglises [25].

Yves Congar, le théologien

 

     Dans les allées du parc d’Amay-sur-Meuse, dans ce début d’août 1932, nous allons croiser, séjournant aussi à l’hôtellerie du monastère, tout à fait par hasard en même temps que l’abbé Couturier, un personnage absolument capital de l’œcuménisme catholique français.

     Il s’agit d’un jeune dominicain. Il s’appelle Yves-Marie Congar, il a 28 ans, il vient d’être ordonné prêtre, très bien formé : étudiant à l’Institut catholique avec  l’abbé Lallement, puis chez les dominicains du Saulchoir, lié avec les P. Couturier, Dubarle, et surtout Marie-Dominique Chenu qui devient son ami pour la vie ;
     En contact aussi avec l’Allemagne de Luther qu’il a visitée et qu’il aime[26], avec le grand théologien suisse protestant Karl Barth, et enfin dans les milieux parisiens qu’il approche, avec Mounier, Lev Gillet, Berdiaev.
Le jeune P. Congar a connu et fréquenté tous les chrétiens intelligents du premier XXe siècle.

Tout ce bouillonnement à la fois intellectuel et spirituel, chez ce jeune dominicain, fait jaillir en lui ce cri, face à ce qu’il observe, dans son Eglise : « Mon Dieu, pourquoi votre Eglise, qui est unique, sainte et vraie, a-t-elle souvent ce visage austère et décourageant, alors qu’elle est en réalité pleine de jeunesse et de vie ? « » Et au cœur de cette profession de foi, il y a déjà la question qui va le hanter toute sa vie, qui est celle de l’unité de l’Eglise. Dans son Journal du Concile (24 novembre 1962), il y a cette note : « Mon Dieu, qui m’avez fait comprendre, dès 1929-1930, que si l’Eglise changeait de visage, si elle prenait simplement son vrai visage, si elle était tout simplement l’Eglise, tout deviendrait possible sur la voie de l’unité[27]. »

Et naturellement, en ce début des années 30, parce qu’il veut connaître le terrain et visiter les lieux où l’on se soucie d’un renouveau de l’ecclésiologie et de l’unité des chrétiens, son chemin passe par Amay-sur-Meuse. Je cite : « Le monastère occupait un ancien carmel. On y était à l’étroit. Les livres de la bibliothèque débordaient dans les couloirs. L’Office et l’eucharistie étaient célébrés simultanément en rite latin et rite oriental (…). Je me documentais à la bibliothèque et j’eus avec plusieurs des Pères attachés à l’œuvre des conversations qui me révélaient quelque chose des profondeurs, soit de la tradition orientale, soit des problèmes de l’unité. C’est alors que je me liai avec Dom Clément Lialine d’une amitié qui a duré jusqu’à sa mort et qui m’a infiniment apporté. Dom Lialine avait un extraordinaire don d’amitié. Chez lui, le moine, le Slave, avec sa faculté de lire au-dedans des choses, l’homme étonnamment cultivé, curieux et informé, l’ami fidèle et délicat, ne faisaient qu’un (…) [28].

    « Un prêtre de Lyon se trouvait en même temps que moi au monastère d’Amay, l’abbé Paul Couturier. Je me rappelle très bien telle conversation d’alors, dans l’allée du jardin. L’abbé Couturier me développa une vue de l’Eglise d’une inspiration assez bergsonienne : il y avait dans l’Eglise « un élan de vie »…[29]

     En 1937, il publie un livre fondamental, qui s’intitule Chrétiens désunis. Principes d’un œcuménisme catholique[30]. Ce livre forme le premier volume d’une nouvelle collection éditions du Cerf intitulée « Unam Sanctam ». Le but du livre est de prouver que le problème de l’unité chrétienne n’est pas une simple question de retour des « dissidents » à l’unité romaine. Pour Congar, il n’y aura pas d’œcuménisme sans un élargissement des cœurs, et même une « dilatation maximale de la catholicité »: c’est-à-dire que plus on est catholique, en extension et en compréhension, plus on pourra inclure un jour les valeurs chrétiennes authentiques dont vivent les frères « séparés ».

 

[2] L’Action française, est jugée coupable d’irréligion ‘(Bien qu’amplement soutenue auparavant par le clergé français). L’ allocution consistoriale de Pie XI du 20 décembre 1926, en guise de clôture d’une série de condamnations plus ou moins indirectes, interdit explicitement toute participation au mouvement, de même que la lecture de ses publications. Neuf jours plus tard, les écrits de Charles Maurras, fondateur du mouvement, étaient mis à l’Index de même que le journal « Action française ».
[7] TINCQ Henri. Ces papes qui ont fait l’histoire. Coll. Tempus, Ed. Perrin Paris 2007 pp200-204
[10] Pour plus de détails voir : AUBERT Roger. Les conversations de Malines (1921-1926). Le cardinal Mercier et le Saint-Siège. In: Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques, tome 53, 1967. pp. 87-159. www.persee.fr/doc/barb_0001-4133_1967_num_53_1_54761 
[11] La Conférence missionnaire mondiale d’Édimbourg est traditionnellement considérée comme le point de départ symbolique du mouvement œcuménique contemporain. Historiquement parlant, cela peut se discuter ; car c’est depuis 1854 en tout cas que se sont tenues à intervalles irréguliers des conférences missionnaires dont certaines portaient le titre d’« œcuméniques », comme la plus importante, celle de New York, en 1900  Concernant l’impact des mouvements missionnaires sur l’œcuménisme. À l’origine, la conférence en Écosse (imaginée dès l’année 1907 et proposée par les Américains) aurait dû porter le titre de « 3e Conférence œcuménique », mais le comité international préparatoire estima qu’il devait être abandonné, pour deux raisons qui ne manquent pas d’intérêt si elles sont relues après cent ans : a)- les sujets abordés auraient dû être plus larges ; b)- un certain nombre d’Églises historiques comme les catholiques ou les orthodoxes. auraient dû participer. (https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses1-2010-1-page-71.htm?ref=doi )
[12] La conférence de Stockholm ne conduisit pas à la réunification des Églises chrétiennes mais elle posa sûrement les bases d’une intervention dynamique des Églises dans les affaires de ce bas monde. DIMANOPOULOU-COHEN Pandora. Art Le mouvement du christianisme pratique dans le contexte d’entre-deux guerres : entre science, religion et idéologie in :  https://books.openedition.org/pur/154452?lang=fr#ftn18
[13] HDGSON Leonard. Le Mouvement de Lausanne : son Passé, son Présent et son Avenir . In: Études théologiques et religieuses, 9e année, n°4-5, 1934. pp. 191-208 in : www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1934_num_9_4_1306
[14] Citée en annexe II in :  AUBERT Roger. Les conversations de Malines (1921-1926).op cit p 128-130
[15] AUBERT Roger. Les conversations de Malines (1921-1926).op cit p 92-93
[16] « Le Saint Père a pleinement approuvé ce que Votre Éminence a fait jusqu’ici. Tâcher d’éclairer nos frères qui sont dans l’erreur, disait-il, et de les amener ainsi à la vérité et à l’unité, c’est bien faire œuvre d’apostolat, non seulement permise, mais très méritoire. Les apôtres ne faisaient pas autre chose. » in : AUBERT Roger. Les conversations de Malines (1921-1926).op cit Annexe VII p134
[17] Olivier Rousseau (1898-1984). Entre à l’abbaye de Maredsous en 1916, études au Mont-César (Louvain) puis à Saint-Anselme (Rome). Admirateur du mouvement liturgique fondé par dom Beauduin en 1909, il est initié par lui à Rome aux projets en faveur de l’union des Eglises. En 1930, il peut le rejoindre à Amay-sur-Meuse. Il y sera maître des novices (pendant 18 ans), vite associé, puis responsable d’Irénikon (ce jusqu’en 1971). Il jouera un rôle actif à Vatican II (influence dans la rédaction des textes sur la liturgie, l’épiscopat, les églises locales…).
[18] Voir l’analyse de Dom O. Rousseau, « Pourquoi une introduction à l’œcuménisme », dans Irénikon, t. XXXII, 1959, p. 23-47, qui fait remarquer qu’après ce coup d’arrêt, Pie XI, dans la deuxième partie du pontificat, se consacre davantage aux Missions.
[19] Lev Gillet, très découragé, passe à l’orthodoxie. Naturellement, ce n’est pas la seule raison du passage de L. Gillet, qui connaissait de nombreux russes, par la captivité pendant la Grande Guerre
[21] Il est vrai que Beauduin disait : « Des individus parfaits, juxtaposés, délivrez-nous Seigneur » (Archives d’Amay-Chèvetogne, lettre de dom Lambert à un prieur, 14 mars 1924).
[23] P. Couturier, « Psychologie de l’octave des prières du 18 au 25 janvier », dans Revue apologétique, décembre 1935, p. 648-703
[24] Une note de Congar dans l’avant-propos de Chrétiens désunis (1937) expose ceci : « Le synode national des églises réformées de France, réuni du 23 au 25 juin 1936, a adopté à l’unanimité le vœu suivant : Le synode national, apprenant qu’un effort d’intercession pour l’unité de l’Eglise serait fait le quatrième dimanche après Noël dans de nombreux milieux orthodoxe, anglicans et catholiques romains, a) accueille avec émotion et avec joie cette initiative b) et propose aux pasteurs de l’Union d’orienter ce jour-là le culte dominical vers l’ « unité » chrétienne et en particulier de joindre les prières de l’Eglise Réformée de France à celles des autres fractions de l’Eglise universelle .
[25] On peut signaler aussi que Jean XXIII choisit de faire l’annonce de la convocation du concile Vatican II en janvier 1959, pendant la Semaine de prière pour l’Unité, date évidemment hautement symbolique..
[26] Voir dans Une vie pour la vérité. Jean Puyo interroge le P. Congar, Paris, Centurion, 1975, p. 58-64, où le P. Congar admet : « L’Allemagne, je l’ai toujours rencontrée » donnant ensuite de nombreux détails sur son admiration pour Luther (« un des plus grands génies religieux de toute l’histoire », p. 59, « Luther est un géant », p. 61).
[27] Dans Mon Journal du Concile, 24/11/1962. in FOUILLOUX, Étienne. “frère Yves, cardinal Congar, dominicain, itinéraire d’un théologien.” Revue Des Sciences Philosophiques et Théologiques, vol. 79, no. 3, 1995, pp. 379–404. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/44408338. Accessed 21 Feb. 2024..
[28] Dom Clément (Constantin) Lialine (1901-1958) était né dans une famille fervente orthodoxe de Saint-Petersbourg (son père, le général Lialine, avait épousé une fille naturelle du Grand Duc Constantin Nikolaïevitch, le bénédictin était donc l’arrière-petit-fils du tsar Nicolas II !). Etudiant à l’institut d’agronomie de Gembloux, il s’était converti au catholicisme et était entré à Amay en 1928. In : Van PARYS Michel, « Dom Clément Lialine, théologien de l’unité chrétienne », dans Irénikon, 2003, vol. 76, 2-3, p. 240-269.
[29] Yves Congar, Chrétiens en dialogue, contributions catholiques à l’œcuménisme, Paris, Cerf, « Unam Sanctam » n° 50, 1964, p. XVIII-XIX.
[30] CONGAR Yves (Fr Marie Joseph) Chrétiens désunis. Principes d’un œcuménisme catholique . Coll Unam Sanctam 1.Ed. du Cerf Paris 1937

Pie XI entre ouverture et immobilisme Lire la suite »

De la guerre à la guerre 1914-1945

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant un mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

XXIV Benoit XV et la Guerre

 

Les 60 cardinaux électeurs vont liquider le clan anti-moderniste de la curie conduit par De Lai et Merry Del Val, et élire le 3 septembre 1914 Giacomo della Chiesa 59 ans, Cardinal-Archevêque de Bologne, qui prend le nom de Benoit XV.

Il hérite d’une situatuion médiocre avec des moyens diplomatiques qui sont médiocres, à l’image des relations médiocres de Pie X avec les états laïcs.

Seuls 14 états ont une représentation auprès du Vatican.

 

Apaisement de la crise moderniste

 

« …A l’égard ensuite des questions, où, sans détriment de la foi ni de la discipline, on peut discuter le pour et le contre, parce que le Saint-Siège n’en a encore rien décidé, il n’est interdit à personne d’émettre son opinion et de la défendre ; mais que dans ces discussions on s’abstienne de tout excès de langage, qui pourrait offenser gravement la charité ; que chacun soutienne son avis librement, mais qu’il le fasse avec modération, et ne croie pas pouvoir décerner aux tenants d’une opinion contraire, rien que pour ce motif. »

Dès sa première encyclique Ad beatissimi apostolorum principis [1] Benoit XV siffle la fin de la récréationMême si la commission biblique continue à s’aventurer à des affirmations imprudentes, l’encyclique Siritus Paraclitus[2]  invite -et c’est une vraie rupture avec le pontificat précédent- à lire les Ecritures Saintes : « Pour Nous, Vénérables Frères, à l’exemple de saint Jérôme, jamais Nous ne cesserons d’exhorter tous les chrétiens à faire leur lecture quotidienne principalement des très saints Evangiles de Notre-Seigneur, ainsi que des Actes des Apôtres et des Epitres, de façon à se les assimiler complètement. » même si elle continue à condamner la méthode historico-critique[3]

En 1917, le Code de droit canonique mis en chantier sous Pie X est promulgué

Le serment anti-moderniste est maintenu.

 

La guerre de 1914-1918

 

Dès le 3 septembre Benoit XV a vécu dans la conscience aiguë de la tragédie de la guerre et n’a eu qu’un but, le rétablissement de la paix : le 8 septembre il publie une exhortation  apostolique sans langue de bois : « Nous avons été frappé d’une horreur et d’une angoisse inexprimables par le spectacle monstrueux de cette guerre, dans laquelle une si grande partie de l’Europe, ravagée par le fer et le feu, ruisselle de sang chrétien. »[4]

Les puissances centrales ne comprennent pas pourquoi le pape refuse de soutenir officiellement l’Autriche-Hongrie, seul pays officiellement catholique, et l’Allemagne, qui compte les très catholique Bavière et Rhénanie, contre des États visiblement anticatholiques : la protestante Angleterre, « oppresseur » de l’Irlande, la Russie,  schismatique, « oppresseur » quant à elle de la Pologne, mais aussi la France, « foyer de l’athéisme ».

Les positions de Benoit XV ne seront jamais comprises ni acceptées alors qu’elles sont les seules tenables. Chacun le souhaite dans son camp et l’accuse d’être dans l’autre…«Il a exhorté à maintes reprises les peuples à conclure une paix juste, et offert ses bons offices ou sa médiation en vue d’une pacification générale. Ses échecs successifs ne l’ont jamais amené à renoncer pendant le conflit, malgré l’incompréhension presque totale à laquelle il s’est heurté. Ses désirs de neutralité -bien plus, d’impartialité- ont été vécus dans les deux camps opposés comme un manque de courage politique : on était persuadé qu’il y avait bien choix, celui de l’autre camp, que le pape n’exprimait pas par hypocrisie. Car la haine de l’ennemi est constitutive de la croisade, et le pape, paradoxalement, ne peut la diriger, lui qui a des enfants dans les deux camps.[5] »

Le 1 aout 1917 il envoie une « lettre aux chefs des peuples belligérants »[6] qui sera très mal reçue parce que trop raisonnable dans un moment déraisonnable. « L’impossibilité mentale de reconnaître dans l’ennemi, vu comme responsable des atrocités, du viol du territoire, un chrétien -plus, un catholique- explique en grande partie l’incompréhension des belligérants, catholiques ou non, face au pape »[7]

Sur le terrain

 

     Une situation fortuite va ouvrir des horizons œcuméniques et même interreligieux inattendus : « Au front, les aumôniers des « minoritaires » (protestants et juifs) trouvent une place plus importante en proportion que leurs effectifs en chiffres absolus. Car les hommes d’Églises, qu’ils soient catholiques, protestants ou juifs, font le même métier, ils consolent, encouragent, assistent…. Quelle que soit leur foi, ils partagent la même, la foi en la victoire, et cela explique la multiplications de rencontres, improbables avant la guerre. Non seulement les croyants des différentes confessions peuvent mener un dialogue impossible jusque-là, mais encore ils côtoient des agnostiques voire des libres-penseurs, qui, pour leur part, se trouvent confrontés à la foi, voire à l’acte de foi. Une fois admise la part de la propagande édifiante, demeure la vraie nouveauté de ces rencontres spirituelles ancrées dans l’énergie commune du patriotisme et du rejet de l’ennemi.[8]»

L’autre va devenir un peu moins différent

 

Après la guerre

     Le pape se montre très pessimiste sur le règlement du conflit.

Dans son encyclique Pacem, Dei munus pulcherrimum[9] du 23 mai 1920, il désapprouve le traitement jugé trop humiliant réservé à l’Allemagne « Il est superflu de démontrer longuement que la société humaine subirait les plus graves dommages si la signature de la paix laissait subsister de sourdes haines et des rapports hostiles entre les nations. » et condamne le découpage opéré par le traité de Versailles « Si presque partout on a mis, en quelque façon, un terme à la guerre, si l’on a signé des traités de paix, on n’a pas extirpé les germes des anciennes discordes ; et vous ne doutez pas, Vénérables Frères, que toute paix est instable . »

Au sortir de la guerre, le cardinal Gasparri s’efforce de renouer les liens entre le Saint-Siège et les nations. Le nombre d’États représentés au Vatican augmente, ainsi que les nonciatures à l’étranger.

  • La France finit également par se réconcilier avec le Saint-Siège : Benoît XV canonise Jeanne d’Arc le 16 mai 1920 et à cette occasion, Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires étrangères et représentant extraordinaire de la France lors des cérémonies, rencontre le cardinal Gasparri et Benoît XV, première étape au rétablissement des relations diplomatiques entre les deux États, qui aura lieu en mai 1921.
  • Le premier concordat de la série sera signé avec la Lettonie le 30 mai 1922

Le pape Benoît XV meurt brutalement le 22 janvier 1922, après sept ans de pontificat, à l’âge de 67 ans

 

 

[3] En 1923, sous le pontificat suivant, Le Manuel biblique de Vigouroux sera mis à l’Index, et le P. Lagrange se vera empêché de publier ses travaux sur la Genèse. Le sulpicien Jules Touzard subira également les foudres du Saint-Office pour avoir mis en doute l’attribution à Moïse en personne des livres du Pentateuque : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ex%C3%A9g%C3%A8se_historico-critique_de_la_Bible#:~:text=L’ex%C3%A9g%C3%A8se%20historico%2Dcritique%20de,production%20ainsi%20que%20leurs%20destinataires.
[4]Exhortation apostolique Ubi primum. Appel à la paix entre les belligérants : https://laportelatine.org/formation/magistere/exhortation-apostolique-ubi-primum
[5] BECKER Annette. L’histoire religieuse de la guerre 1914-1918. In: Revue d’histoire de l’Église de France, tome 86, n°217, 2000. Un siècle d’histoire du christianisme en France. pp. 539-549. DOI : https://doi.org/10.3406/rhef.2000.1431 www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_2000_num_86_217_1431
[7] BECKER Annette. L’histoire religieuse de la guerre 1914-1918 op. cit.
[8] BECKER Annette. L’histoire religieuse de la guerre 1914-1918 op.cit.

De la guerre à la guerre 1914-1945 Lire la suite »

Le début du 20eme siècle : Pie X (1903-1914)

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant un mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

XXIII Le début du 20eme siècle : Pie X ou la rupture avec la société moderne

 

     À la mort de Léon XIII, le conclave élit un inconnu à la surprise générale : le patriarche de Venise, Giuseppe Sarto (68 ans) -un ancien curé de campagne, devenu patriarche de Venise à son corps défendant-  premier pape moderne issu des milieux populaires. (Il faut dire que les jeux ont été faussés avec la maladroite intervention de l’Autriche-Hongrie qui par la voix d’un cardinal polonais, a en effet publiquement récusé l’un des favoris [1].)
     Le nouvel élu prend le nom de Pie « en souvenir des Pie qui ont souffert avant lui au 19°s pour avoir courageusement luttés contre les sectes et les erreurs polluantes[2] ». Henri Tincq dit avec raison que «  Lhomme qui vient d’être élu à la charge suprême n’est pas fait pour affronter ces temps d’orage. Il fallait un géant. Or le conclave a désigné une image pieuse »[3]

 

l’interprétation des Ecritures

 Une rafale de texte tente de faire barrage à toute interprétation scientifique qui pourrait faire apparaître une interprétation nouvelle des écrits bibliques. Pie X créé donc une commission biblique pontificale pour étudier les différents points de vue et rendre des avis pour le moins conservateurs.

 

Pontificat

     Le nouveau pape affiche tout de suite une politique conservatrice, incapable de mesurer que le monde à changé.
En matière administrative, il se montre pourtant réformateur :
  • refonte du droit canonique, qui aboutit à la promulgation du Code de droit canonique de 1917.
  • Publication du Catéchisme de la doctrine chrétienne(Catéchisme de Pie X ),
  • réforme de l’organisation de la curie romaine.

Un monde en crise

La crise en France

     En 1905, l’Assemblée nationale vote la loi de séparation des Églises et de l’État. Or, l’Église catholique « a peine à abandonner l’idée d’une alliance de l’État et de l’Église, ou d’une position privilégiée du catholicisme religion vraie, dans l’État. Mais d’autre part, elle a également peine à accepter les règles du débat public. Surtout quand le débat porte sur les réalités mêmes de la foi, comme c’est le cas pour les sciences religieuses ». C’est donc une Église fragilisée et traumatisée qui va devoir affronter « la mise en question de son passé et des textes fondateurs par une histoire et une exégèse, qui semblent pactiser avec l’adversaire extérieur »[5].

    Globalement bien accueillie par les juifs et les protestants , la loi est combattue par le pape Pie X, bien que la majorité des  évêques français conseille de se plier à la loi (encyclique Vehementer nos[6] du 11 février 1906, allocution consistoriale Gravissimum du 21 février, et encyclique Gravissimo officii munere[7] du 10 août, (Que le chanoine Louis Duchesne baptise malicieusement « Digitus in oculo »: « doigt dans l’œil » reflétant en cela l’acceptation de la laïcité par une partie du clergé et du laïcat français.). 

     Cette opposition du pape à la loi française a pour conséquence de compromettre la création des associations cultuelles, prévues par la loi, et de faire transférer les biens immobiliers de l’Église au profit de l’État.

La crise au Portugal

     Le siècle est d’abord marqué par la proclamation de la République portugaise () : décrets anti-ecclésiastiques, confiscation des biens et propriétés de l’Église, fin des jours fériés religieux, suppression de l’enseignement de la doctrine chrétienne, loi de séparation de l’Église et de l’État (1911), mais très vite aussi début de dictatures.

 

Un pontificat en crise

Crise moderniste

     L’activité des exégètes protestants ne permet plus de considérer les évangiles canoniques comme une source unique non plus que comme un témoignage historique.
Le modernisme est à l’époque une tendance théologique considérée par les courants  intransigeants, comme déviante et menant à l’hérésie.
     Dans la constitution apostolique Lamentabili sane exitu [8] de 1907, Pie X condamne formellement 65 propositions dites « modernistes », rappelées dans l’encyclique Pascendi [9].Celle-ci rejette notamment les thèses du Père Alfred Loisy qui est excommunié. 
le cardinal Merry del Val mène la chasse contre Loisy (1908) pour modernisme théologique, contre Sangnier et le sillon (1910) pour modernisme social-politique.
     Les condamnations romaines « ont pour effet de constituer, de façon arbitraire, un ensemble cohérent à partir d’une galaxie fort hétérogène d’auteurs relevant de disciplines différentes et rarement d’accord entre eux sur tout. »[10]

 

Alfred Loisy
     L’abbé Loisy est déjà bien convaincu que la lecture fondamentaliste qui a cours alors dans l’Église catholique n’est pas  tenable. Il achève sa formation à l’École des Hautes Études et au Collège de France et devient professeur d’ Écriture sainte à l’Institut catholique de Paris.
     Parallèlement à son enseignement, il crée une petite Revue d’Enseignement biblique pour diffuser ses idées. Son propos n’est pas seulement exégétique -procéder à une étude scientifique des textes bibliques-  il ambitionne de renouveler de fond en comble la théologie catholique.
     Les menaces s’accumulent au-dessus de la tête de Loisy. Les services du Vatican créent le terme « modernisme » pour dénoncer toute recherche théologique ou exégétique qui leur paraît pactiser avec « le monde ». Ils lancent une véritable chasse aux sorcières à l’encontre de tous les fidèles suspects de cette « hérésie ». Il est sévèrement interdit aux fidèles de lire par eux-mêmes la Bible et un « serment antimoderniste » est exigé des futurs prêtres.
Plusieurs ouvrages de Loisy sont inscrits à l’ Index ; un décret pontifical condamne plusieurs de ses thèses.
Finalement, en 1908, il est excommunié
    Le résumé de la position antimoderniste est donné dans le motu proprio Sacrorum antistitum[11] de 1910, encore appelé serment antimoderniste, que chaque prêtre est tenu de prononcer jusqu’à sa suppression en 1967.
     Parallèlement, Pie X encourage personnellement la constitution du réseau dit « La Sapinière » sorte de barbouzes pontificaux, créé par le cardinal Benigni et destiné à lutter contre les catholiques soupçonnés de « modernisme »[12]

 

« Relations » avec les autres confessions chrétiennes et religions

Quelques exemples de la diplomatie vaticane de l’époque :
      • Recevant Théodore Herzl en 1904 venu lui demander son appui pour la création d’un état juif en Israël:  » En tant que chef de l’Eglise, je ne peux vous dire autre chose. Les juifs n’ont pas reconnu notre Seigneur, c’est pourquoi nous ne pouvons pas reconnaître le peuple juif. « [13]
      •  A Théodore Roosewelt en visite à Rome, il fait savoir qu’il ne sera reçu que s’il renonce à visiter la communauté méthodiste.
      • Sa haine des protestants éclate dans l’encyclique Editæ Sæpe du 26 mai 1910 : « Au sein de ces calamités, l’on voyait s’élever des hommes orgueilleux et rebelles, ennemis de la croix du Christ… hommes aux sentiments terrestres, ayant pour dieu leur ventre (Philip. III, 18, 19). Ceux-ci s’appliquaient, non à corriger les mœurs, mais à nier les dogmes ; ils multipliaient les désordres, relâchaient, pour eux et pour les autres, les freins apportés à la licence, méprisaient ouvertement la direction autorisée de l’Eglise, et, mettant à profit les passions des princes ou des peuples plus corrompus, en ruinaient avec une sorte de violence tyrannique la doctrine, la constitution, la discipline. Puis, imitant ces impies à qui est adressée la menace : Malheur à vous qui appelez mal le bien et bien le mal (Is. v, 20), ils ont appelé réforme ces révoltes séditieuses et cette perversion de la foi et des mœurs, se donnant à eux-mêmes le titre de réformateurs »[14]

 

Bilan

     Ni diplomate ni savant, Pie X a fait ce qu’il avait appris à faire et ce qu’il savait faire en homme de terrain proche des gens. Et on lui doit de fort belles choses sur la communion eucharistique [15] sur la communion précoce des enfants [16], sur la liturgie [17].
     Il doit beaucoup de sa raideur au cardinal Merry del Val (Rafael Merry del Val y Zulueta Wilcox ) son secrétaire d’état antifrançais.
C’est sur un homme âgé et épuisé que surviennent les nuages annonciateurs de la guerre. Adversaire de la France laïque et moderniste, de la Russie orthodoxe et de l’Allemagne protestante, mal à l’aise avec l’Italie, son seul vrai soutient est l’Empereur d’Autriche.

La guerre éclate et s’étend à toute l’Europe dans les premiers jours d’août 1914.

Pie X meurt le 20 août 1914 (à 79 ans). Il est canonisé en 1954

 

[1] Cet incident met fin à l’« exclusive », la possibilité pour un État catholique de récuser un postulant.
[2] Cité par Henri TINCQ in : Ces papes qui ont fait l’histoire. Ed. P0errin Paris 2007 p 128
[3] Henri TINCQ. Ces papes qui ont fait l’histoire. Ed. P0errin Paris 2007 p 130
[4] Ministre de l’instruction publique (1885) Président du Conseil (1902-1905)
[5] COLIN Pierre.L‘Audace et le Soupçon : La crise du modernisme dans le catholicisme français (1893-1914), Desclée De Brouwer, Paris 1997 (ISBN9782220038537)
[10] LAGREE Michel. Article sur:  Pierre Colin, L’audace et le soupçon. La crise du modernisme dans le catholicisme français, 1893-1914 . In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57ᵉ année, N. 2, 2002. pp. 498-500 consulté le 15/02/2024
[12] Ce réseau secret (Sodalitium Pianum (c’est-à-dire la « Compagnie de Pie ») avait principalement pour but l’expression d’un courant « intégriste » au sein de l’Église catholique, expressément opposé au « modernisme ». Il fut officiellement dissous en 1921.

Le début du 20eme siècle : Pie X (1903-1914) Lire la suite »

XXII La fin du 19eme  siècle

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant un mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

XXII La fin du 19eme  siècle. 

 

Eglise catholique

 

Le raidissement de Léon XIII a plusieurs causes :

    • l’ échec d’une politique de conciliation avec la république française (Deux décrets du 29 mars 1880 disposent que la Compagnie de Jésus, doit être dissoute dans les trois mois et que les autres congrégations auraient trois mois pour déposer une demande d’autorisation sous peine de dissolution[1]) remise en cause du concordat de 1801 etc…
    • la liberté d’interprétation dans les études bibliques : ça avait plutôt bien commencé (ouverture du fond des archives vaticanes) en 1893, encyclique Providentissimus deus[2] en 1997, mais pressé par les conservateurs de la curie il fait machine arrière en 1899 : «Nous avons donnés dans Notre Encyclique Providentissimus Deus, dont nous désirons que les professeurs donnent connaissance à leurs disciples, en y ajoutant les explications nécessaires. Ils les mettront spécialement en garde contre des tendances inquiétantes qui cherchent à s’introduire dans l’interprétation de la Bible, et qui, si elles venaient à prévaloir, ne tarderaient pas à en ruiner l’inspiration et le caractère surnaturels[3] ».

et des conséquences qui vont se développer sous Pie X :

    • Sur le dialogue avec les autres Eglises en 1896 : Apostolicae Curae sur la nullité des ordinations anglicanes
    • Sur la censure des livres en 1897 : Officiorum ac munerum

Léon XIII s’éteint en 1903, pasteur estimé d’une Eglise qui se recroqueville sur elle-même au niveau dogmatique, exégétique, théologique ; dont le dialogue avec la société civile se tend en Italie, en France, et en Europe en général, excepté avec l’Allemagne du puissant parti Zentrum et auprès de la monarchie Austro-Hongroise.

 

 

Communion anglicane

Création de l’Armée du salut en 1878 en Angleterre

     Elle naît en pleine révolution industrielle, à la fin du 19eme siècle, par le pasteur méthodiste[4]   anglais William Booth, scandalisé par le spectacle des foules ouvrières qui s’entassent dans les quartiers pauvres de l’Est londonien.

     Pour lui, le changement s’opère en chaque individu. Le progrès social, politique et économique doit découler d’une profonde transformation intérieure de l’homme, réconcilié avec lui-même par la puissance de l’Évangile.
     William Booth estime par ailleurs qu’avant de parler à quelqu’un de religion, il faut lui proposer des conditions de vie décentes, d’où l’investissement social du mouvement salutiste, et sa devise aux trois S, « soupe, savon, salut ».
     Depuis 1891, durant le mois de décembre, l’Armée du salut organise une collecte de fonds dans la rue, les Marmites de Noël 

 

[4] Le méthodisme est un courant du protestantisme issu d’un schisme d’avec l’Église anglicane, regroupant de nombreuses Églises d’orientations diverses, mais qui trouvent leur inspiration dans la prédication de John Wesley au XVIIIeme siècle. (https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9thodisme#:~:text=Le%20m%C3%A9thodisme%20est%20un%20courant,Wesley%20au%20XVIII%20e%20si%C3%A8cle.)

XXII La fin du 19eme  siècle Lire la suite »

Les débuts de l’œcuménisme : les jardins de Madère

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant un mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

19eme  siècle. Les débuts de l’œcuménisme

 

Les jardins de Madère

le petit commencement de l’engagement œcuménique de quelques catholiques à l’époque contemporaine en décembre 1889, se situe dans un jardin, à Funchal, dans l’île de Madère au large du Portugal. Deux hommes marchent côte à côte en s’entretenant.

     Le plus jeune s’appelle Fernand Portal, il a 34 ans [1]. Il est français, cévenol, fils de cordonnier. Il est entré à 19 ans chez les Lazaristes pour être missionnaire. l a été ordonné prêtre en 1880.
Il croyait qu’on allait l’envoyer en Chine. Mais sa santé qui est fragilisée depuis 1878 par une infection pulmonaire l’oblige à renoncer à cette voie. Après une dizaine d’années de professorat dans divers grands séminaires méridionaux à Tours, à Oran, à Lisbonne, à Nice et à Cahors, des hémoptysies l’obligent à un séjour au soleil.
     Cette année-là 1889, il a été envoyé à Madère pour remplacer l’aumônier de l’Hospice Marie-Amélie. Il s’embête ferme.

 

     L’autre homme, un peu plus âgé (50 ans), qui marche à côté de lui, s’appelle Charles Lindley Wood, plus connu sous son titre de Lord Halifax [2]. Il séjourne à Madère pour soigner son fils Charles, tuberculeux.

     Ce lord anglais et anglican, est un personnage passionnant, d’une famille tout à fait considérable : il a étudié au collège d’Eton puis à l’université d’Oxford et se prépare à embrasser la carrière publique, quand il est saisi par le réveil religieux qui agite son université et l’Église d’Angleterre à l’époque.
Compagnon du futur Édouard VII, il consacre sa vie à la promotion du réveil anglo-catholique dans l’Église d’Angleterre et à l’union des Églises et, dès 1867, il occupe la présidence du groupe d’études anglo-catholiques de l’English Church Union à la tête duquel il reste longtemps. C’est un mouvement dans la ligne du Mouvement d’Oxford, qui se propose de ramener l’Eglise d’Angleterre à son identité catholique (pas « romaine ») par un renouveau théologique et liturgique, (et dont un des plus éminent membre est John Henry Newman (1801-1890) qui se convertit au catholicisme en 1845 et sera créé cardinal.)

La rencontre entre les deux hommes, ce prêtre lazariste intelligent et ouvert pour son temps, grand lecteur de Newman et de Mohler et puis ce laïc anglican si proche du catholicisme, va faire merveille. Les deux hommes, passionnés d’histoire des dogmes et sensibles à la division des églises, entament une grande amitié – qui va durer près de 40 ans.

Jardins de l’Hospice Marie-Amélie

Ces conversations privées de Madère ont fait naître, surtout chez Portal pour qui elles sont un déclic, un désir d’œuvrer à l’union des deux églises. En 1890, Portal a proposé à Lord Halifax de se convertir au catholicisme, mais devant le refus très net de l’anglais, il a compris que l’entreprise à mener, bien plus intéressante, était de nouer un dialogue, sur un pied d’égalité, entre l’Eglise romaine et la Communion anglicane.

« Il y a la conduite providentielle de Dieu, mais il y a aussi un aspect qui touche à celui auquel je veux m’attacher ; la rencontre est rencontre d’un autre. Celle de Halifax par Portal a été celle d’un autre monde spirituel, le monde de l’anglo-catholicisme. L’Église […] ne reconnaissait les autres que comme extérieurs à la cité de la vérité, comme adversaires à réfuter et à combattre. Le Père Portal […] s’est vu ouvrir […] l’accès à un autre monde spirituel. Assez « autre » pour ne pas être réduit à l’identique, assez homogène et conforme pour qu’on pût parler d’union. Avec ces deux traits, on a déjà la logique de « l’Église anglicane unie, non absorbée… Portal doit à l’amitié d’Halifax d’avoir compris des choses qu’aucun livre ne peut apporter « .[3]  

 

la validité des ordinations anglicanes

Fernand Portal œuvre dès lors avec son ami lord Halifax à cette idée de réunion des Églises et obtient l’approbation personnelle du pape Léon XIII pour prendre contact avec des personnalités de l’Église anglicane. Pour provoquer une rencontre entre catholiques et anglicans, il lance un débat sur la validité des ordinations anglicanes qui semblait être un terrain possible d’entente. Fernand Portal présente en guise d’amorce au débat théologique une petite brochure intitulée Les ordinations anglicanes en décembre 1893 à laquelle répond un opus rédigé par des théologiens anglicans sous l’impulsion d’Halifax.

     En fait, Portal est assez réaliste, il croit moins à une union des deux églises qu’à un débat fraternel entre elles, en quoi peut-être consiste l’œcuménisme. Il a écrit ceci : « Ma pensée, c’est qu’il faut opérer un rapprochement, nous mettre en contact pour nous connaître, et le jour où nous serons amis, où nous nous aimerons, nous pourrons parler de choses théologiques »[4].
     La publication de ces brochures suscite de vives réactions et pour la première fois, la presse se faisait l’écho d’un débat œcuménique. Léon XIII réunit alors une commission pontificale chargée d’étudier de façon plus approfondie les ordres anglicans, comptant parmi ses membres des personnalités qui deviendront acteurs dans la crise moderniste tel Mgr Merry del Val ou le Père Duchesne.

Côté Portal et Halifax, on espère beaucoup[5].

     La décision pontificale est brutale et, par la publication de la bulle Apostolicae Curae [6] du 18 septembre 1896, elle déclare les ordinations conférées selon le rite anglican entièrement nulles. La commission a conclu pour les ordinations de l’Eglise d’Angleterre à un défaut de forme et d’intention. « De notre propre mouvement et de science certaine, nous prononçons et déclarons que les ordinations conférées selon le rite anglican ont été et sont absolument vaines et entièrement nulles… »

     Une déclaration un peu raide, mais en réalité une position « tutioriste », c’est-à-dire plus tranchée que nécessaire peut-être, mais par précaution, pour éviter de déclarer valides des ordres qui ne le seraient finalement pas. 

     Du côté de Portal, cependant, positif et optimiste, la réaction est courageuse : L’avenir est aux pacifiques, écrit-il à son ami anglais, ce que vous avez fait, vous et les vôtres, pour la réunion de la chrétienté, sera l’éternelle gloire de l’Eglise anglicane.

 

Raidissement catholique

     Ia revue Anglo-romaine est interdite. Portal doit partir pour le grand séminaire de Châlons-sur-Marne sur ordre de son supérieur général.

     Rappelé à Paris pour diriger le nouveau Séminaire universitaire Saint-Vincent-de-Paul, il fait de l’endroit un lieu d’ouverture et d’échanges, n’hésitant pas à inviter des anglicans, des protestants ou des incroyants.
     Il fonde alors une nouvelle revue, la Revue catholique des Églises, pour faire connaître les travaux de son cercle d’études et qui compte d’éminents collaborateurs. Il fonde également l’association des Dames de l’Union, sans vœux et sans costume particulier, dont la vocation est de se consacrer aux enfants et aux pauvres et dont il veut faire les « messagères de l’Unité par la Charité ».
     Il se retrouve alors à nouveau, en 1908, sous les foudres du Vatican à travers le cardinal Merry del Val devenu entre-temps secrétaire d’État du pape Pie X, qui ordonne que le père Fernand Portal, soupçonné de modernisme, soit démis de ses fonctions avec interdiction définitive de publier et de parler en public. Fernand Portal doit abandonner son poste de supérieur et cesser la parution de sa revue. Ce qui n’empêchera pas M. Portal, bientôt officieux aumônier des étudiants normaliens à Paris, d’engendrer quantité de vocations œcuménistes, Antoine Martel, Jean Guitton, Pierre Pascal, Yves Congar etc. et de frayer avec tout le monde, de Clémenceau à Teilhard de Chardin.

 

[2] Lord Halifax (1839-1934) est une figure étonnante. Son amitié avec le prince de Galles (futur Edouard VII) aurait dû l’entraîner dans la carrière politique. Mais il s’est voué toute sa vie à l’Eglise anglicane. Il a été, à la demande de Pusey, président de l’English Church Union (de 1867 à sa mort). Cette Union avait été fondée en 1844 pour défendre les intérêts de l’Eglise anglicane conçus dans le sens tractarien. Elle fusionnera, juste avant la mort de Lord Halifax, avec l’Anglo-catholic Congress. L’ecclésiologie « catholique » de l’E.C.U. n’admettait pas cependant la primauté et l’infaillibilité, même si Lord Halifax, à titre personnel, admettait la primauté romaine divina providentia, c’est-à-dire comme une réalité historique providentielle, mais non pas ex jure divino. V. l’article de Catholicisme, tome V (1962) signé… d’Y. Congar ! (JACQUEMET Gabriel , Directeur de publication. Catholisicme T5. Ed. Letouzey et Ané Paris, 1962)
[3] Yves Congar, Revue Unité des Chrétiens n°22, p. 4
[4] Cité par Jean Calvet, Mes souvenirs sur Monsieur Portal, dans R. Ladous, op. cit. p. 93.
[5] Il est évident que la promulgation par Léon XIII le 29 juin de cette année 1896 de l’encyclique Satis cognitum sur l’unité de l’Eglise, qui parle non pas d’union des églises mais exclusivement de « ramener les brebis égarées au bercail » ne devait tout de même pas laisser beaucoup d’espoir sur l’issue des travaux.

 

Les débuts de l’œcuménisme : les jardins de Madère Lire la suite »